Crédits photo : Alexandra Nadeau, 2021
Crédits photo : Alexandra Nadeau, 2021

Compte rendu – 8e Rencontres VRM – Adapter la ville aux changements climatiques : expérimentations et apprentissages

Mars 2022

Par Alice Bonneau, étudiante à la maîtrise (INRS), Hélène Madénian (étudiante au doctorat (INRS), Flandrine Lusson étudiante au doctorat (INRS), Anne-Marie D’Amours, étudiante à la maîtrise (INRS),  Étienne Poulin, diplomé à la maîtrise (INRS), Sophie L. Van Neste, professeure (INRS), Geneviève Cloutier, professeure (Université Laval) et Michel Rochefort, professeur (UQAM)

Mise en contexte

Cet événement d’une journée (26 novembre 2021) avait pour objectif d’ouvrir des discussions collectives sur les pratiques urbaines d’adaptation aux changements climatiques. En se focalisant sur les expérimentations réalisées dans les villes du Québec, des acteurs et actrices communautaires, des gestionnaires de la sphère publique et des spécialistes de l’urbain se sont rencontrés autour de plusieurs tables de discussion afin d’échanger sur leurs pratiques et d’en apprendre de nouvelles.

Trois grandes conversations ont rythmé la journée :

  • Apprendre à transformer les normes, les institutions, les manières de faire
  • Justice climatique et valorisation des pratiques locales d’adaptation
  • Apprendre avec la recherche-action

Les Rencontres VRM constituent une occasion d’échanges entre chercheurs, chercheuses et autres parties prenantes qui s’intéressent aux questions touchant au développement des communautés et à l’aménagement des quartiers et des villes. Organisées depuis 2010, ces rencontres visent à encourager et à favoriser les échanges entre les communautés scientifique et professionnelle des milieux gouvernemental et associatif.

Plus de 85 personnes, aux profils diversifiés, se sont inscrites à cette huitième édition des Rencontres. L’événement a accueilli des représentant·e·s du milieu municipal local et régional, d’organismes communautaires, d’organisations non gouvernementales, du secteur de la santé publique, de groupes et mouvements citoyens, d’entreprises de services-conseils et de la recherche et de l’enseignement.

Si la majorité réside dans la grande région de Montréal, d’autres ont pu témoigner de leur expérience à Québec, Sherbrooke, Drummondville et Gatineau. Plus de la moitié est ou a été impliquée dans une démarche pilote ou expérimentale en lien avec les changements climatiques. Les principaux enjeux abordés dans ces démarches étaient le verdissement, la mobilité, le risque d’inondation et les inégalités. Ces participant·e·s ont mentionné la mobilisation citoyenne, la gouvernance, la participation, la remise en question des façons de faire parmi les sujets qui stimulent leur réflexion sur l’adaptation aux changements climatiques.

Conversation 1 – Justice climatique et valorisation des pratiques locales d’adaptation

Par Anne-Marie D’Amours, étudiante à la maîtrise en études urbaines (INRS)

Lors de cette première conversation, il est question d’explorer les liens existant entre les impacts des changements climatiques et les enjeux sociaux et territoriaux. Les quatre présentations proposent des éléments de réponse à la question : comment concrétiser des formes d’adaptation justes et sensibles à ces éléments, tout en reconnaissant et soutenant les pratiques locales?

La professeure en études urbaines à l’INRS Sophie Van Neste et Étienne Poulin, étudiant à la maîtrise, ouvrent cette première conversation. Ils présentent les résultats d’une recherche du Labo Climat Montréal menée dans le secteur Lachine-Est et portant sur l’action communautaire pour faire face aux vagues de chaleur. La recherche part du constat que l’enjeu des vagues de chaleur est moins traité que d’autres aléas climatiques dans le langage expert de l’adaptation, de même que dans les pratiques de planification urbaine. Il existe des acteurs et actrices invisibles de l’adaptation dont les pratiques et le savoir-faire semblent sous-valorisés. Après avoir introduit les différents facteurs de vulnérabilité faisant en sorte que les vagues de chaleur affectent certaines populations plus que d’autres, Étienne Poulin illustre comment des pratiques communautaires de soutien social contribuent – directement et indirectement – à accroître la résilience de populations vulnérables aux vagues de chaleur. Il souligne toutefois le fait que ces pratiques ne viennent pas d’organismes travaillant spécifiquement sur des enjeux environnementaux et qu’elles ne sont souvent pas « nommées » comme des pratiques d’adaptation aux changements climatiques. Les deux chercheurs notent en revanche que tout ce qui contribue à réduire l’isolement social et accroître les liens sociaux de proximité – présence d’espaces publics, vitalité commerciale, sentiment de sécurité, espaces climatisés accessibles, parcours de mobilité – peut grandement contribuer à réduire la vulnérabilité à la chaleur.

Ainsi, les initiatives qui tissent le lien social et veillent à la sécurité des résident·e·s lors des vagues de chaleur devraient être valorisées et reconnues comme pratiques d’adaptation. Mme Van Neste et M. Poulin observent toutefois des contraintes auxquelles se heurte le secteur communautaire telles qu’un manque d’incitatifs au verdissement et le fait que plusieurs des pratiques répertoriées nécessitent une grande quantité de ressources humaines et financières. Le message semble donc clair : il convient de reconnaître cet apport du milieu communautaire et de fournir suffisamment de ressources à ses intervenant·e·s afin d’en faire d’efficaces acteurs de l’adaptation. Une recherche plus extensive est en cours sur ces pratiques communautaires d’adaptation aux vagues de chaleur à Montréal.

Le micro est ensuite passé à Irène Cloutier, conseillère en planification au Bureau de la transition écologique et de la résilience à la Ville de Montréal, et à Lydia Gaudreau, chargée de projets, Pôles de résilience communautaire au programme Tandem. Leur intervention vise à présenter ce projet pilote lancé par Tandem et établi, à partir de l’été 2021, dans cinq quartiers montréalais. De manière générale, le programme Tandem a pour objectif de « contribuer au développement […] de quartiers paisibles et sécuritaires, en favorisant la mobilisation des citoyens et des organismes du milieu par des activités de promotion, d’information et de prévention liées à la sécurité urbaine ». Le projet pilote fait partie d’un des axes d’intervention du programme, soit la sécurité civile face aux aléas, dont la pandémie, les inondations et les vagues de chaleur. Adoptant une approche transversale afin de favoriser davantage l’inclusion sociale, le projet vise à mettre en place des « pôles de résilience communautaire ». Il a comme but principal de rejoindre les populations vulnérables et part de l’hypothèse selon laquelle la résilience peut être atteinte grâce à une amélioration de la cohésion sociale et des relations de voisinage. Si jusqu’à présent les interventions étaient déployées en réaction aux risques et aléas, ce projet est plutôt orienté vers la prévention. L’accent est donc mis, d’une part, sur le travail en partenariat avec différents acteurs et actrices du milieu (CIUSSS, organismes communautaires, citoyen·ne·s, etc.) afin de comprendre comment adéquatement s’insérer dans le milieu en question; d’autre part, sur l’éducation au moyen d’ateliers et d’autres activités de sensibilisation. Encore dans la première année du programme, l’implantation des pôles de résilience communautaire fait face à différents enjeux, notamment le décloisonnement de certains mandats, la mise en lien de personnes, groupes et services n’ayant pas l’habitude de travailler ensemble, l’arrimage avec le milieu communautaire et la promotion de la capacité d’action citoyenne.

Manuel Moreau, agent de développement social et territorial à la Table de quartier Solidarité Mercier-Est, prend ensuite la parole pour présenter une initiative communautaire visant, cette fois, à soutenir directement les populations vulnérables lors des vagues de chaleur en répertoriant les zones fraîches et les haltes fraîcheur du secteur. Afin de mettre le projet en contexte, il brosse un bref portrait sociodémographique du quartier. Il en ressort que Mercier-Est est un quartier enclavé et exposé aux différentes nuisances engendrées par la proximité d’industries, du port et des grands axes routiers. M. Moreau mentionne aussi la présence d’un grand nombre de personnes âgées ainsi que l’augmentation récente de la population en situation d’itinérance, lesquelles constituent deux groupes particulièrement vulnérables lors d’épisodes de chaleur accablante. Il souligne certes la présence importante de parcs dans le quartier, mais attire l’attention de l’auditoire sur une manifestation concrète d’injustice environnementale : en comparant une carte des îlots de chaleur à celle des indices de défavorisation, il démontre comment les ménages à faibles revenus sont concentrés dans les zones les plus chaudes du quartier.

Élaboré en collaboration avec le CIUSSS et différents organismes partenaires, le projet pilote de l’été 2021 vise justement à répertorier les différentes haltes fraîcheur et à faire circuler l’information quant à leur existence. Le document produit consiste en une carte où sont identifiés les différents parcs et zones d’ombre, mais aussi les organismes se portant volontaires pour rendre accessibles leurs locaux climatisés et distribuer des bouteilles d’eau à des usagers et usagères dans le besoin. La prochaine étape du projet, et ce qui contribue grandement à son originalité, est d’approcher les propriétaires de commerces pour que leurs établissements deviennent aussi de potentielles haltes fraîcheur. Bien qu’elle en soit encore à ses balbutiements, cette initiative inspire à travailler en concertation et à solliciter la participation d’actrices et d’acteurs moins traditionnels afin de mobiliser les ressources existantes et les rendre disponibles aux populations vulnérables.

Finalement, le docteur David Kaiser, médecin responsable de la santé environnementale à la Direction de la santé publique de Montréal, entame la dernière contribution à cette conversation en posant la question suivante à l’auditoire : « À quoi rêvons-nous quand on parle de justice climatique? » Il l’invite également à se positionner : si nous sommes ici, à cet événement, c’est que nous faisons partie des gens privilégiés et que c’est donc à nous que revient la responsabilité d’agir sur les injustices socio-environnementales. En faisant état de la grande précarité dans laquelle vivent certaines populations marginalisées (défavorisation, logements insalubres ou trop chauds, etc.), il rappelle que « l’adaptation est parfois un cauchemar ». En effet, ces populations s’adaptent bel et bien; toutefois, les injustices persistent. Il convient donc selon lui de faire éclater le binaire nous/eux et de se demander au service de qui nous faisons de la recherche. Les gens doivent faire partie de la solution. Les privilèges doivent être mis au service des populations, des communautés, et les facteurs structuraux dont proviennent les inégalités doivent être pris en compte. Enfin, le Dr Kaiser n’en appelle pas moins qu’à un changement radical de nos sociétés, lequel passerait par la décroissance, la valorisation du travail terrain, la reconnaissance de l’expertise des citoyen·ne·s et du milieu communautaire de leur territoire. Il conclut sur une note à la fois poétique et inspirante : notre approche doit cesser d’être régie par la peur ou l’éco-anxiété comme trauma collectif, mais plutôt par le rêve, parce que « former un rêve, c’est cultiver l’espoir ».

Conversation 2 – Apprendre avec la recherche-action » _builder_version

Par Alice Bonneau, étudiante à la maîtrise en études urbaines (INRS)

Cette conversation vise à explorer comment les ateliers de laboratoire vivant, de prospective et de concertation peuvent participer au développement de capacités d’adaptation aux changements climatiques. Les trois présentations ont pour but de communiquer les apprentissages et les défis des démarches qui associent la communauté de recherche aux acteurs et actrices du milieu, et de se demander comment améliorer ces démarches et accroître leurs retombées.

Alexis Guillemard, doctorant en études urbaines à l’UQAM et stagiaire du Labo Climat Montréal, présente d’abord l’expérience d’ateliers de laboratoire vivant sur l’adaptation aux changements climatiques à l’aide de deux cas : celui du Labo Climat Montréal et celui du Living Lab d’adaptation aux changements climatiques des espaces côtiers et touristiques (LLacc) de Rivière-du-Loup. Cette présentation vise, plus spécifiquement, à exposer l’apport des laboratoires vivants dans le changement de posture des chercheurs et chercheuses en contexte de recherche-action. Les laboratoires vivants sont définis comme un système d’acteurs et d’actrices diversifiés réunis pour explorer et expérimenter des solutions centrées sur l’individu au cœur d’un territoire, d’un secteur économique, d’un produit ou encore d’un enjeu. Ils prennent la forme d’ateliers qui mobilisent des méthodes visant à co-créer et à explorer des solutions ancrées dans le contexte réel, dans l’optique de créer des liens entre la recherche, les ateliers et l’univers personnel ou professionnel des participant·e·s. À travers la présentation des ateliers réalisés et des outils utilisés dans les deux cas, le présentateur met en lumière le fait qu’un laboratoire vivant peut : mettre de l’avant l’emprise et la capacité d’agir sur les changements climatiques, favoriser les apprentissages sur les effets locaux des changements climatiques et les moyens d’adaptation existants; et, à travers la collaboration d’un large spectre d’acteurs et d’actrices, créer des liens entre différents services, échelles de gouvernance, territoires et institutions.

Myriam Grondin, directrice de Concert’Action Lachine, présente ensuite la place de l’adaptation aux changements climatiques dans une démarche de concertation appelée l’Atelier Lachine-Est, mise en place dans le cadre de la planification du réaménagement de Lachine-Est. La démarche, coordonnée par l’organisme Concert’Action Lachine, fait partie d’une nouvelle structure de gouvernance partagée mise sur pied par la Ville de Montréal. Elle visait à faire participer, au cours de six groupes de travail thématiques, la société civile au développement d’un programme particulier d’urbanisme (PPU) pour le secteur Lachine-Est. La présentatrice insiste d’ailleurs sur la diversité des participant·e·s : le milieu lachinois, représenté par ses « experts locaux » (organismes communautaires, groupes de défense d’intérêts et citoyens); promoteurs et propriétaires immobiliers; milieu des affaires; institutions publiques; et membres du personnel professionnel de la Ville de Montréal et de l’arrondissement de Lachine. Bien que chaque groupe de travail ait porté sur une thématique particulière comme l’innovation écologique et le patrimoine, l’adaptation aux changements climatiques a été abordée de façon transversale dans l’ensemble des rencontres. Le fait d’avoir la participation récurrente de certaines personnes et un calendrier serré a permis de bâtir et mettre les éléments en perspective d’un atelier à l’autre. La présentatrice mentionne d’ailleurs que le fait de commencer les groupes de travail avec le thème de l’innovation écologique avait peut-être permis de nourrir les réflexions sur l’adaptation aux changements climatiques au cours des rencontres subséquentes. Par exemple, dans l’atelier Patrimoine, culture et design, il a été question de gestion de l’eau et de transport actif et collectif; dans l’atelier Logement, équipements publics et communautaires, la mutualisation des espaces verts a été discutée; et dans l’atelier Développement économique, les îlots de chaleur ont été abordés. Finalement, parmi les 94 objectifs issus des six ateliers, 21 sont issus de l’atelier Innovation écologique parmi lesquels la résilience aux eaux pluviales, le verdissement, les aspects sociaux de la résilience, la connectivité des plantations, ou encore la gouvernance participative et la mutualisation.

Clara Guillemin, chargée de projet pour Chemins de transition, présente ensuite les leçons tirées d’une initiative de codesign prospectif visant à apprendre à anticiper l’avenir pour mieux choisir la transition. Chemins de transition a effectivement comme prémisse qu’il est possible de choisir la transition, et non de la subir. Comme point de départ, Chemins de transition propose de valoriser les connaissances actuelles sur le territoire québécois en créant des espaces d’échange entre les différents secteurs, pour que ces derniers puissent se comprendre et travailler de façon concertée. Ce sont donc les ateliers de codesign qui sont choisis. Ceux-ci sont présentés comme un outil à mi-chemin entre la prospective et un dispositif de participation, qui permettrait de poser un diagnostic à partir de scénarios prospectifs. Une variété de personnes ont été invitées à participer, afin de représenter différentes réalités territoriales. Les leçons tirées de l’initiative sont les suivantes : bien qu’elle constitue une compétence difficile à développer, se projeter dans le futur est une capacité essentielle. Le fait d’imaginer l’avenir permet de dépasser le syndrome de l’imposteur ainsi que la hiérarchisation des savoirs, puisque les savoirs vécus et expérientiels sont valorisés. Finalement, le fait de confronter les rêves aux constats sur la situation présente, lors des échanges, permet de choisir des chemins de transition plus éclairés.

Plénière 1 – Agir sur les inégalités dans les démarches d’adaptation : défis et potentiels des approches collaboratives

Par Alice Bonneau, étudiante à la maîtrise en études urbaines (INRS)

Lors des discussions par table, on invite les participant·e·s à échanger sur les questions suivantes :

  • Dans vos démarches d’adaptation, quelle place occupent les inégalités?
  • Qu’est-ce que les acteurs et actrices « invisibles » peuvent nous apprendre pour l’adaptation aux changements climatiques?

En réponse à la première question, plusieurs représentant·e·s du milieu municipal mentionnent que les inégalités sont rarement ou difficilement prises en compte, ou ne le sont pas du tout, dans leur travail en matière d’adaptation aux changements climatiques. Ils et elles considèrent pourtant qu’il s’agit d’une question importante et se questionnent donc à savoir ce qui rend si difficile, en pratique, le lien entre l’adaptation et la justice sociale. Plusieurs difficultés sont évoquées, à commencer par le fait que dans les municipalités, l’adaptation aux changements climatiques est d’abord traitée selon une approche technique et relative aux infrastructures, rendant les inégalités invisibles. D’autres mentionnent un sentiment d’impuissance lorsque vient le temps d’agir; sachant que l’action climatique peut exacerber les inégalités, comment peut-on alors s’assurer que les pratiques d’adaptation ne contribuent pas à les renforcer? À titre d’exemple, un fonctionnaire évoque la volonté de sa municipalité de rééquilibrer les investissements dans les équipements et infrastructures pour prioriser les zones particulièrement vulnérables aux aléas climatiques. Les risques de gentrification pouvant découler de ce type d’adaptation constituent toutefois des retombées négatives de l’intervention, selon ce participant.

Néanmoins, des pistes de solution sont nommées, justement en lien avec la seconde question sur les acteurs « invisibles ». La reconnaissance des populations invisibles et de leurs besoins constitue une première étape, selon les participant·e·s, pour garder en tête les impacts des pratiques d’adaptation sur celles-ci. Selon les participant·e·s, comme les acteurs « invisibles » sont en contact avec la réalité du terrain et sont donc les mieux à même de relever les problèmes concrets qu’ils vivent, ils peuvent mettre en évidence des éléments auxquels les expert·e·s/spécialistes ne pensent pas. Un autre intervenant du milieu municipal mentionne d’ailleurs que le fait de travailler avec ces acteurs permettrait de comprendre davantage les besoins et attentes d’un grand nombre de personnes et de se dégager des volontés d’une « minorité bruyante », qui serait plus typiquement entendue. Pour prendre en compte ces acteurs « invisibles » et leurs préoccupations, des membres de la fonction publique suggèrent par exemple d’identifier des acteurs relais, soit des personnes importantes dans leur milieu, qui peuvent porter la voix des acteurs qui ne peuvent s’impliquer et qui sont trop peu entendus. Plusieurs perçoivent d’ailleurs les acteurs communautaires comme des porte-parole tout désignés des acteurs « invisibles ». Certains acteurs communautaires présents rappelaient toutefois qu’ils ont déjà d’importantes responsabilités et n’ont pas forcément les ressources pour porter cette voix – une réalité que la pandémie aura particulièrement mise en évidence, puisque plusieurs organismes avaient des situations urgentes à gérer. D’autres soulignent l’opportunité d’apprendre des constats tirés de la pandémie pour aller chercher ces acteurs. 

Malgré la volonté d’intégrer les acteurs « invisibles » et leurs préoccupations, certaines contraintes subsistent. Des participant·e·s mentionnent effectivement les barrières de la langue pour les communautés issues de l’immigration, ainsi que d’autres défis de communication liés au manque d’accessibilité du jargon utilisé par les acteurs plus visibles de l’adaptation. La prise en compte du niveau de littératie des acteurs « invisibles », lorsque ceux-ci sont approchés, constitue donc une piste de solution selon les participant·e·s. Le rôle et la responsabilité des chercheuses et chercheurs dans la transmission de ce type d’information et le transfert de ces connaissances ont d’ailleurs été mis de l’avant, en plus d’une réflexion sur le langage utilisé dans le domaine de l’adaptation en général.

L’enjeu de la reconnaissance de l’historique des relations entre différentes parties prenantes est également soulevé. On donne des exemples de l’exclusion de certaines communautés et des frustrations liées aux dynamiques entre certaines organisations, ou à l’intérieur d’une même organisation. Ces processus peuvent affecter la prise en compte de différentes formes de savoirs et d’expériences. Nous pouvons penser aux relations entre les équipes de planification et de travaux publics dans les municipalités, par exemple, pour ce qui est d’aménagements végétalisés et « d’infrastructures vertes ». Bien que ce soit à un tout autre niveau, des groupes ou secteurs peuvent aussi avoir été oubliés dans le choix de certaines interventions dans les villes et communautés. Des participant·e·s mettent donc l’accent sur l’importance de reconnaître ces relations parfois tendues afin que les relations futures se poursuivent sur de meilleures bases. Par ailleurs, les participant·e·s soulignent l’importance de la crédibilité des démarches visant à approcher ces populations. Cette crédibilité pourrait notamment passer par la reconnaissance du fait que ces populations et leurs besoins puissent changer et qu’il faille s’y adapter, ou encore par le fait de s’engager pour que les actions entreprises soient pérennes. En ce sens, on mentionne l’importance de recueillir de la rétroaction auprès des populations concernées.

Ensuite, pendant la seconde partie des discussions par table, on invite les participant·e·s à échanger sur les questions suivantes :

  • Quels sont les défis et les bénéfices des approches collaboratives?
  • Comment ce type de démarches peut-il accroître les capacités en matière d’adaptation?

C’est surtout l’apport des approches collaboratives aux démarches visant à apprendre des acteurs invisibles qui retient l’attention. Les participant·e·s semblent voir un grand potentiel dans ce type d’approches, et particulièrement dans la concertation, pour surpasser les défis liés à l’intégration des populations invisibles et à la place des inégalités dans les pratiques d’adaptation aux changements climatiques. Certain·e·s croient par exemple que les approches collaboratives seraient pertinentes pour identifier de « super citoyen·ne·s » et de « super fonctionnaires » (des acteurs relais, comme le formulent d’autres participant·e·s), ou encore pour permettre l’adaptation des projets aux réalités vécues.

D’autres s’inquiètent toutefois des mouvements de personnel dans les services municipaux, au sein des organismes communautaires, et même chez la population citoyenne. Ces personnes se questionnent effectivement sur les moyens de pérenniser les initiatives, en faisant qu’elles ne relèvent pas seulement de quelques individus. Les approches living lab semblent susciter l’enthousiasme de quelques participant·e·s, qui les évoquent comme moyen de faire constater aux acteurs leurs différents leviers et leur pouvoir d’agir. Dans l’ensemble, on reconnaît toutefois que les approches collaboratives nécessitent de repenser les façons de faire actuelles de même que l’attribution de ressources aux projets, puisqu’elles impliquent des coûts et du temps supplémentaires.

Conversation 3 – Apprendre à transformer les normes, les institutions, les manières de faire

Par Hélène Madénian, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

L’objectif de cette conversation est d’aborder les succès, les blocages et les conditions favorables à la transformation des normes et institutions à travers des projets pilotes pour favoriser l’adaptation. Trois présentations traitent de ces sujets à travers des questions réglementaires et de pratiques urbanistiques, avec des exemples concrets de projets : la planification du secteur Lachine-Est à Montréal et deux projets de la firme d’urbanisme à but non lucratif l’Arpent, à Baie-Saint-Paul et à Saint-Sauveur. 

Tout d’abord, Michel Rochefort, urbaniste et professeur au Département d’études urbaines et touristiques (UQAM), présente les grands défis que pose l’adaptation aux changements climatiques d’un point de vue réglementaire. Ceux-ci peuvent être classés en deux catégories : les défis liés aux innovations réglementaires et les défis liés aux valeurs qui devraient guider nos approches en matière d’encadrement de projets. Eu égard au contenu de nos différents règlements, des innovations sont nécessaires et se mettent actuellement en place pour agir sur de nouveaux enjeux ou agir différemment sur des enjeux déjà connus. Pour respecter les limites prévues aux différentes lois concernées, ces innovations demandent de réfléchir en dehors de nos réflexes et de nos façons de faire habituelles. Ces innovations doivent également permettre d’agir de façon multiscalaire pour prendre en compte les effets cumulatifs des changements climatiques. Or, on agit encore trop souvent localement, territoire par territoire, projet par projet, au lieu d’avoir une vision d’ensemble. Enfin, nos processus d’encadrement doivent s’inscrire dans une dynamique d’innovation sociale visant à intégrer les différentes parties prenantes (services municipaux, citoyen·ne·s, promoteurs, etc.) en amont des projets, mais également pendant et après le projet. Par exemple, dans certains projets, on pourrait se demander si l’entretien des infrastructures vertes devrait être fait par la population citoyenne ou par les travaux publics. En ce qui concerne les valeurs qui devraient guider nos approches en matière d’encadrement de projets, la tendance est à la recherche d’une plus grande flexibilité. On privilégie le discrétionnaire au normatif, favorisant ainsi une approche projet par projet qui s’appuie, la plupart du temps, sur un processus de négociation entre le promoteur et l’administration qui délivre le permis. Or, bien qu’elle permette d’améliorer certains projets, cette flexibilité cache deux enjeux d’importance souvent évacués des réflexions. D’une part, l’équité entre les projets sur un même territoire est rendue difficile, car chaque projet dépend grandement des parties prenantes et des rapports de pouvoir en place à un temps donné. Mais qui plus est, elle ne permet pas d’assurer l’équité entre les territoires et de répondre efficacement aux effets cumulatifs mentionnés précédemment. D’autre part, cet urbanisme négocié a également comme effet d’engendrer un certain manque de transparence. Souvent mal compris par la population, à tort ou à raison en fonction des projets considérés, cet encadrement discrétionnaire et ces effets apportent un certain scepticisme qui pourrait nuire à la dynamique d’innovation sociale nécessaire à la réponse climatique.

Martine Simard-Longtin, conseillère en aménagement au Service de l’urbanisme et de la mobilité à la Ville de Montréal, prend ensuite la parole et présente le processus de planification de l’écoquartier de Lachine-Est. Cette friche industrielle de 60 hectares au riche passé patrimonial est planifiée pour encadrer un développement durable depuis plusieurs années. Maintenant planifié comme « Écoquartier », Lachine-Est est un laboratoire sur plusieurs plans : il s’agit du site d’échange avec le Labo Climat Montréal, mais aussi d’un laboratoire de concertation avec le milieu et d’innovations écologiques dans un territoire avec une maîtrise foncière détenue surtout par des intérêts privés, ce qui soulève des défis de gouvernance et d’encadrement du développement. Après un premier aménagement sur une partie du secteur qui a entraîné une forte mobilisation citoyenne en 2015, un nouveau processus de planification a été mis en place afin d’aboutir à un plan d’ensemble du quartier. Premièrement, des ateliers thématiques avec la société civile visaient à déterminer les objectifs que l’élaboration du Programme particulier d’urbanisme (PPU) devrait prendre en compte. Deuxièmement, un bureau partagé a été mis en place pour impliquer la société civile dans la planification. Les travaux de ce bureau ont mené à la production d’un plan d’aménagement concret pour le secteur. Troisièmement, plusieurs services municipaux ont collaboré au sein de comités techniques pour instaurer des mécanismes (réglementation, gestion de projet ou autres) permettant de s’assurer que les objectifs et les principes d’aménagement établis dans le plan d’ensemble seront respectés. Ce processus a ensuite permis au Service de l’urbanisme et de la mobilité à la Ville de Montréal de rédiger le PPU de Lachine-Est. Parmi les points saillants du PPU, un important verdissement : l’écoquartier sera structuré autour d’une trame verte et bleue ayant un réseau de parcs et d’espaces publics reliés par des corridors verts. On prévoit 22 % de parcs et d’espaces verts, au lieu des 10 % habituels, pour répondre aux besoins des 15 000 nouveaux ménages. En matière de gestion des eaux, on adopte une approche intégrée de l’eau qui souhaite innover et être ambitieuse dans la rétention des eaux de pluie de surface, la prise en compte de la topographie, la mise en réseau des infrastructures vertes, ainsi que l’expérimentation d’un principe de mutualisation des infrastructures entre le public et le privé. Martine Simard-Longtin conclut sa présentation sur le besoin de prendre le temps de planifier – cinq ans dans le cas de Lachine-Est –, mais aussi de continuer la réflexion tout au long du projet qui peut durer des dizaines d’années, afin d’adapter au fur et à mesure les cadres législatifs et les façons de travailler. Pour Mme Simard Longtin, comme pour Martin Roy, la création d’un écoquartier doit être portée par la volonté et l’implication des sphères civile, politique et professionnelle.

Samuel Descôteaux-Fréchette et Charlotte Ratelle-Montfils, urbanistes à l’Arpent, présentent deux projets qui se sont attaqués aux défis de la transition écologique. Le premier est le Plan directeur du parc agroalimentaire de Baie-Saint-Paul, pour lequel il a été choisi d’assurer une importante présence d’infrastructures vertes pour atténuer les incompatibilités entre usages industriels et usages résidentiels environnants, réduire l’effet des îlots de chaleur et des surverses, soutenir la biodiversité, accroître l’indépendance alimentaire, et pour l’agrément. Parmi les infrastructures prévues : une esplanade verte, des bandes végétalisées autour du projet, des bandes végétalisées entre les différentes entreprises, des plantations dans les espaces de stationnement et des noues végétalisées aux abords de l’axe de camionnage. L’originalité de ce projet réside dans le fait que c’est un espace industriel, lieu qui n’est souvent pas considéré dans les questions de transition écologique. Habituellement, il y a une utilisation extensive et minéralisée de l’espace et une faible considération des aspects écologiques. Il existe également une perception selon laquelle les infrastructures vertes dans les parcs industriels seraient inutiles, superflues ou même des obstacles physiques aux activités.

Le deuxième cas présenté est le Plan d’action en environnement de Saint-Sauveur. Cette municipalité a comme principales caractéristiques d’être une ville de villégiature qui connaît une forte pression pour l’expansion immobilière et une grande dépendance à l’automobile. Les objectifs du Plan sont de réduire la dépendance à l’automobile en consolidant le périmètre d’urbanisation et en limitant l’étalement urbain, de même que de préserver la qualité et l’intégrité des milieux naturels en augmentant la superficie de territoires naturels protégés et en contenant la perte de couvert forestier. Les forêts du territoire de Saint-Sauveur étant principalement sur le domaine privé, elles sont susceptibles d’être utilisées pour de nouvelles constructions. Afin de démontrer l’importance de la préservation des forêts, deux outils ont été utilisés. D’une part, l’approche par les services écosystémiques, qui permet de montrer que la forêt sauveroise absorbe 997 kt de CO2/an et neutralise environ 300 t de pollution atmosphérique, ce qui représente un service écologique de quelque 160 000 $/an. D’autre part, le concept de forêt intérieure, défini comme un habitat privilégié de la faune forestière, voire indispensable à la survie de certaines espèces, montre que la forêt sauveroise compte 19 km2 de forêts d’intérieur, par rapport à 35 km2 pour l’ensemble de son couvert forestier, arboricole et arbustif. Malgré ces données probantes, il a été difficile de sensibiliser les décideurs à la cause de la biodiversité et la préservation du couvert forestier, qui reste assez intangible. Ceci a eu pour conséquence par exemple de ne pas retenir la proposition de bannir le gazon dans certains types d’aménagement. Le cas de Saint-Sauveur met en lumière un certain rapport marchand à l’environnement et les limites d’une planification « écologique » du territoire. En conclusion, l’Arpent rappelle qu’il est important d’informer et de sensibiliser les parties prenantes quant aux bénéfices de l’aménagement écologique, de développer une culture municipale de la transition écologique où la transversalité est importante et de reconnaître et valoriser les paliers régional et national qui sont en soutien des municipalités.

Plénière 2 – Ce qu’on apprend des projets pilotes

Par Alice Bonneau, étudiante à la maîtrise en études urbaines (INRS)

Au cours de la dernière plénière, on invite les participant·e·s à échanger autour des questions suivantes :

  • Qu’est-ce que les projets pilotes vous apprennent sur le partage des responsabilités entre les différents acteurs?
  • En matière de changement de pratiques, quels projets, histoires ou cas vous inspirent? Pourquoi?

Les participant·e·s font part des moyens permettant, à leur avis, de pérenniser les projets pilotes, ou d’en tirer des apprentissages même si les projets en question n’ont pas le succès escompté, ou s’ils évoluent différemment de ce qui avait été anticipé. Sur le plan organisationnel, plusieurs soulignent l’importance d’effectuer des suivis; de documenter l’ensemble des étapes des projets (avant, pendant et après) de même que les responsabilités des personnes impliquées; et de tenir des rencontres, ultérieurement à la réalisation des projets, afin de revenir sur ces expériences et de mettre en lumière les apprentissages à en tirer. À leur avis, il s’agirait également d’un moyen d’assurer un meilleur partage de connaissances entre différentes organisations qui mettent en œuvre des projets pilotes. Ce faisant, certains projets pourraient peut-être avoir une plus grande portée, en inspirant et en fournissant des pistes et manières de faire pour de nouveaux projets. Il faut « apprendre à apprendre » des expérimentations passées.

Pour l’instant, plusieurs constatent qu’il ne semble pas y avoir de culture du suivi ni de culture du financement pour la pérennisation de projets pilotes. Un représentant du milieu communautaire mentionne, à titre d’exemple, les projets de résilience sociale de son organisme, qui ne dispose malheureusement pas des ressources pour documenter, partager et valoriser les apprentissages liés à ces projets. Il y a également la question de la transmission des informations et de la mémoire des projets qui se pose, dans la mesure où des acteurs clés quittent leurs fonctions. Autour de la table, on mentionne par ailleurs l’importance de faire durer la participation citoyenne une fois le projet terminé, en continuant à impliquer les personnes qui se montrent engagées, lesquelles contribuent aussi à cette mémoire des apprentissages et des défis rencontrés.

En plus de ces défis, on remarque que le projet pilote peut être paradoxal du point de vue de l’engagement des pouvoirs publics. D’un côté, on relève que l’approche peut être une manière de se désengager, de laisser expérimenter sans devoir faire de promesses sur la suite. Le projet pilote peut être attrayant pour une administration, car il ne menace pas les structures en place. Toutefois, celui-ci peut créer des précédents et mettre au jour de nouvelles pratiques. Des questions se posent toutefois sur la prise de responsabilités : qui prend le ballon et agit à partir des leviers, opportunités et contraintes que révèlent les expérimentations? Pour nombre de participant·e·s, les projets pilotes doivent inspirer de nouveaux devis et cadres réglementaires, développés durant les projets pilotes et nourris des apprentissages qui en découlent. Un fonctionnaire municipal mentionne l’exemple d’un projet pilote de saillies de trottoirs végétalisées, réalisé à Montréal, qui a ensuite été encadré avec un devis technique pour les travaux publics en arrondissement, pour pouvoir le reproduire ailleurs dans la ville. Plus largement, les projets pilotes peuvent participer à transformer la culture institutionnelle et les pratiques usuelles dans les administrations, en participant à la formation et à l’appropriation des enjeux. Il faut par contre les ressources nécessaires pour que l’expérience ne soit pas frustrante et ne rebute pas les personnes qui voudraient s’y engager.

C’est aussi dans l’accompagnement et la mise en relation d’expérimentations que les acteurs peuvent renforcer et élargir leur portée. Les municipalités peuvent agir en soutien à des initiatives communautaires et de la société civile, où les usagères, usagers, résidentes et résidents sont stimulés par leur pouvoir d’agir dans leurs milieux de vie. Des participant·e·s semblaient voir du potentiel dans l’approche par les communs pour mieux tirer profit des projets pilotes. L’exemple de la ville de Bologne, qui s’est dotée d’une charte des communs urbains et d’une entité indépendante en appui aux initiatives citoyennes de revitalisation d’espaces et d’infrastructures urbains, a d’ailleurs été mentionné par un ancien élu municipal comme idée inspirante. Parmi d’autres exemples québécois, on a nommé la gouvernance partagée mise en place pour le projet de réaménagement de Lachine-Est et qui inspire le projet d’écoquartier de Louvain-Est, à Montréal, de même que le projet pilote de ruelles bleues-vertes, à Montréal. Plusieurs groupes facilitent des projets citoyens et contribuent à faire circuler des apprentissages, comme le Réseau Demain le Québec de la Fondation David Suzuki, les organismes communautaires, les initiatives autour du verdissement et de corridors verts.

Néanmoins, les expérimentations demeurent parfois prises dans des contraintes liées à des innovations sur les plans technique ou réglementaire. Certain·e·s participant·e·s expriment des réserves en ce qui a trait aux innovations sur plusieurs fronts dans les projets pilotes. Un participant mentionne par exemple que l’on peut rapidement se buter à des obstacles lorsque trop d’éléments se veulent innovants et sont hors-normes dans un projet. D’autres évoquent aussi le risque de détournement et d’instrumentalisation de projets pilotes pour des raisons de financement ou de visibilité politique. Enfin, il ressort clairement des échanges que la multiplication des projets pilotes ne devrait pas être un frein aux changements systémiques. De plus, d’autres modes d’action sont parfois nécessaires, en parallèle des projets pilotes, comme le montre l’engagement de certain·e·s pour la protection de milieux naturels et d’espaces verts essentiels à la résilience de nos territoires, comme d’anciens terrains de golf en banlieue.

Synthèse avec Maxime Pedneaud-Jobin, ancien Maire de la Ville de Gatineau, auteur et conférencier

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

Maxime Pedneaud-Jobin, ancien maire de Gatineau (2013-2021) et auteur du livre Passer de la ville à la cité, nous a fait l’honneur de sa présence en revenant sur les grandes conversations de cette journée. Trois enjeux sont aujourd’hui primordiaux pour lui : la justice climatique, la valorisation des pratiques locales et les inégalités Nord-Sud. Il a pris l’exemple de sa ville, Gatineau, pour montrer les lacunes actuelles de la gestion locale des changements climatiques. Il en souligne plusieurs exemples. D’abord, la non-prise en compte des personnes qui doivent quitter leur logement en contexte d’inondation et le peu, voire l’absence de suivi de leur réalité de vie après ce départ forcé. Il pointe aussi du doigt les normes qui ne sont plus adaptées ou valables face aux réalités actuelles et à l’évolution de nos sociétés, en particulier sur les constructions et sur la gestion des risques. Il note particulièrement le travail majeur des organismes communautaires qui sont au front pour gérer immédiatement les sinistres et les personnes sinistrées, apporter de l’aide, fournir un hébergement ou encore des couvertures. Si la Ville intervient telle « l’armée » dans ces situations d’urgence, ce sont ensuite les organismes communautaires qui s’occupent de prendre soin des communautés.

Ainsi, d’après lui, le renforcement des capacités de résilience passe par la consolidation du tissu communautaire et par la confiance accordée aux citoyen·ne·s, car elles et ils sont là, répondent aux besoins lorsqu’une aide est sollicitée et « une communauté qui s’entraide est l’un des outils les plus puissants qui existent ». Cette entraide se renforce grâce au sentiment d’appartenance et au sens du lieu, tous deux de forts leviers d’engagement qui sont fondamentaux pour préparer la prochaine crise. Selon lui, ils permettent de se rassembler autour d’une vision commune à laquelle chacun·e s’identifie. Mais cette vision communautaire locale ne doit pas s’extraire d’une vision globale des impacts des changements climatiques. M. Pedneaud-Jobin conseille de parfois se méfier du local, car les petits intérêts économiques et individuels « grignotent » par-ci par-là sur les grands objectifs : « Il faut qu’on se donne les outils pour se protéger de nous-mêmes ». Pour cela, les élu·e·s ont besoin d’être accompagné·e·s, en particulier par les équipes de recherche, qui peuvent apporter des apprentissages approfondis et des mises en perspective sur la réalité et qui ont une voix qui porte. S’il faut partager davantage les recherches existantes et faire un « militantisme de contenu » pour mettre la recherche au service de bonnes politiques publiques, il lui apparaît que le municipal doit aussi être plus étudié. De nombreux enjeux sont gérés par les villes, comme celui du vivre-ensemble : « Ici, à Gatineau, certaines familles ont peur d’aller à la Mosquée ». Il faut donc mieux réfléchir à l’inclusion des individus et encore davantage des plus démunis. Mais il faut aussi donner un réel pouvoir décisionnel aux citoyen·ne·s et en priorité aux populations autochtones.

« Les maisons font la ville, mais les citoyen·ne·s font la cité! »

Pour arriver à une communauté soudée, Maxime Pedneaud-Jobin nous explique qu’il faut aussi changer la culture institutionnelle, ce qui passe par l’accompagnement de projets innovants, et parfois par la modification de règlements. Il termine son intervention en disant que l’utilisation d’un langage commun favorise le changement de cette culture et qu’il ne faut pas hésiter à engager des firmes externes, pour sensibiliser les différents acteurs, y compris dans les municipalités. Faire appel à une contre-expertise et changer la culture, notamment des promoteurs immobiliers, est une piste à suivre.

Conclusion

Après une journée riche en présentations et en échanges, voici certains points pouvant donner lieu à des apprentissages et à leur pérennisation afin d’adapter les villes aux changements climatiques :

  • Valoriser le soutien aux organismes locaux, travaillant sur le terrain et avec une diversité de profils citoyens, de façon à maintenir le lien, la confiance – d’éviter les nombreux mouvements de personnel – et faire évoluer les démarches dans l’espace et dans le temps;
  • Identifier des acteurs relais, des interlocuteurs et interlocutrices clés, dans les groupes et dans les organisations, de manière à faciliter l’échange d’informations pertinentes et de diffuser les projets;
  • Prendre le temps, en début de démarche, d’informer toutes les parties prenantes et d’expliquer les potentiels et les défis associés aux interventions d’adaptation;
  • Assurer un suivi et documenter les étapes.
Pour aller plus loin

Résultats du Labo Climat Montréal

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