L’exposition des cyclistes aux pollutions atmosphérique et sonore en milieu urbain. Comparaison empirique de plusieurs villes à travers le monde
Par Jérémy Gelb, étudiant au doctorat en études urbaines à l’INRS
Août 2020
*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.
Contexte de la recherche
Le vélo connaît une renaissance en ville depuis le début du XXIe siècle. En effet, de nombreux facteurs comme la revitalisation et la densification des centres urbains, l’augmentation des prix du carburant, le renforcement du paradigme de la transition écologique, l’aménagement d’infrastructures cyclables et de systèmes de vélo-partage ont directement contribué à redonner au vélo sa fonction utilitaire en plus de récréative.
Au niveau individuel, les avantages du vélo sont nombreux: flexibilité, faible coût, augmentation de l’activité physique, réduction des risques de maladies cardiovasculaires et augmentation du bien-être. Ces bénéfices se transposent directement au niveau collectif. Comparativement à la voiture, le vélo contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre, la pollution sonore, la congestion routière, et à réduire les coûts de santé. Le vélo constitue donc une solution de premier plan dans une perspective de transport durable.
Cependant, les cyclistes constituent une population particulièrement exposée aux pollutions atmosphérique et sonore. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation:
- L’absence d’habitacle pour protéger les cyclistes
- La proximité directe avec le trafic routier, induit par l’installation fréquente de voies partagée et de bandes cyclables ainsi que les politiques de partage de la route
- La plus forte ventilation des cyclistes du fait de leur activité physique, impliquant mécaniquement une absorption supérieure de polluants atmosphériques
Il en résulte une situation d’injustice en transport : les cyclistes sont surexposés à des nuisances qu’ils ne produisent pas. Cela s’ajoute au fait que dans de nombreuses villes, la place accordée au transport actif est encore dérisoire comparativement à celle de la voiture. Cette situation constitue un frein à une plus large adoption du vélo comme mode de transport en milieu urbain.
Cette thèse se penche sur la multi-exposition des cyclistes aux pollutions atmosphérique et sonore. Elle permettra de mieux comprendre les facteurs de l’environnement urbain contribuant à la surexposition des cyclistes. Ces informations pourront autant être utiles à des décideurs planifiant de futures infrastructures cyclables, qu’à chaque cycliste cherchant à favoriser sa santé et sa sécurité.
Cependant, cette question est complexe car les contextes d’exposition des cyclistes varient grandement d’une ville à l’autre. Les réponses à apporter en matière de réduction de l’exposition des cyclistes pourraient ne pas être les mêmes dans toutes les villes, ce qui implique d’adopter une approche comparative
Méthodologie
Cette recherche se base des collectes de données extensives, réalisées par l’équipe du Laboratoire en équité environnementale. Pour chaque ville étudiée, entre 3 et 4 participants ont roulé plus de 1000 km, équipés de sonomètres (mesurant l’exposition au bruit), de capteurs de pollutions (mesurant la concentration de NO2 et de particules fines), de vêtements biométriques (mesurant la ventilation) et de montres GPS (pour enregistrer leur position). Les parcours établis ont pour objectif de couvrir densément un maximum du territoire de chaque ville. Actuellement, des données ont été collectées à Paris, Lyon, Montréal, Québec, Toronto, Copenhague, Hô Chi Minh-Ville, New Delhi, Mumbai, Mexico, Auckland et Christchurch.
L’analyse statistique de ces données permet de construire des modèles prédictifs de la multi-exposition des cyclistes. Ces informations peuvent être utilisées de nombreuses manières : cartographie de l’exposition attendue, planification des futures infrastructures cyclables et génération d’itinéraires minimisant l’exposition.
Résultats
L’analyse des données est encore en cours, mais trois articles ont déjà apporté des éléments de réponses.
Premièrement, nous avons enregistré une faible corrélation entre l’exposition au bruit et à la pollution atmosphérique des cyclistes, indiquant qu’il s’agit de deux phénomènes distincts. En effet, la pollution atmosphérique s’accumule dans le temps, contrairement au bruit dont la dispersion est immédiate. Paradoxalement, l’exposition des cyclistes au bruit est encore très peu étudiée.
Deuxièmement, nous avons observé qu’à Paris l’exposition des cyclistes au bruit dépendait plus largement du micro-environnement que de la pollution d’arrière-plan et inversement pour la pollution atmosphérique. De ce fait, réduire l’exposition des cyclistes par l’aménagement sera beaucoup plus efficace pour le bruit que pour la pollution atmosphérique. À titre d’exemple, nous avons noté qu’en moyenne un cycliste roulant dans zone piétonne bénéficiait d’une réduction anecdotique de 5 µg/m3 de NO2, mais aussi d’une réduction de son exposition au bruit de 4 décibels (une division par deux du niveau sonore).
Troisièmement, des écarts très importants d’exposition ont été mesurés entre les villes du Nord global et les villes du Sud global. Si ces résultats doivent encore être approfondis, ils soulignent la situation précaire des cyclistes circulant vivant dans ces villes du Sud très polluées, souvent contraints à utiliser ce mode de transport. Paradoxalement, ce sont également ces villes qui sont le moins étudiées.
En conclusion, il est possible de réduire significativement l’exposition des cyclistes aux pollutions atmosphériques et sonores. Inclure ces dimensions dans les pratiques de planification et d’aménagement contribuera donc directement à encourager la pratique du vélo et à réduire la situation actuelle d’injustice en transport vécue par les cyclistes, et particulièrement marquée dans les villes du Sud global.
Cette recherche est effectuée sous la direction de Philippe Apparicio (INRS) au Laboratoire d’équité environnementale (LAEQ) et bénéficie d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).