Par Salomé Vallette
Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, quelles sont les étapes qui vous ont menée au sein des commissions permanentes de la Ville de Montréal?
Je détiens un baccalauréat (2008-2011) en études internationales de l’Université de Montréal. Après avoir obtenu mon diplôme, j’étais en réflexion sur la continuité de mes études. Puis, j’ai réalisé que l’avenir de l’humanité se passerait dans les villes. C’est aussi à cette période-là où on entendait que plus de 50% des gens vivaient en ville. De plus, à la fin de mon baccalauréat, j’avais fait un échange étudiant à Bruxelles et j’y avais vécu beaucoup de harcèlement de rue. J’ai donc eu envie d’explorer ces questions dans une maîtrise en urbanisme. Je me suis inscrite à l’Université de Montréal (2013-2015) et j’ai demandé à la professeure Danielle Labbé si je pouvais travailler avec elle sur ses projets de recherche. À ce moment-là, elle menait une étude au Vietnam qui s’appelait Hanoi Youth and Public Spaces sous la direction de Julie-Anne Boudreau. J’ai été engagée pour travailler sur ce projet avec d’autres collègues et c’était un projet de recherche partenariale, notamment des partenaires « terrain » au Vietnam. Dans le cadre de ce projet sur les jeunes et l’espace public, j’ai proposé de travailler plus spécifiquement sur les jeunes femmes et les espaces publics. Ainsi, mon projet de maîtrise a porté sur l’appropriation des espaces publics par les jeunes femmes à Hanoi. Cette expérience a été un tournant, parce que j’ai découvert le travail de la recherche et j’ai vraiment apprécié le Vietnam. C’est pour cela que j’ai continué au doctorat! C’était aussi une période où mes collègues qui finissaient la maîtrise en urbanisme avaient beaucoup de difficulté à trouver un emploi. Pour le doctorat (2016-2023, à l’INRS) je voulais creuser les questions sur les femmes et la ville. En fait, l’élément qui m’a permis de trouver mon sujet de thèse, c’est quand je me suis rendu compte qu’il y avait, au Vietnam, des organisations internationales qui travaillaient sur le sujet des femmes et la ville. En même temps, je trouvais que les conférences internationales urbaines en parlaient de plus en plus. Donc, j’ai essayé de voir s’il y avait un lien entre les deux. C’était vraiment le point de départ de mon projet de doctorat qui s’intitule Discours international sur l’approche des femmes et les villes et sa traduction au Vietnam.
En parallèle au doctorat, j’ai travaillé sur différents mandats de recherche. J’ai travaillé avec différentes organisations et notamment sur le projet de recherche Tryspaces, le projet de recherche de ma directrice de thèse, Julie-Anne Boudreau. C’est un projet sur les jeunes et la transgression dans l’espace public à Paris, Hanoi, Mexico et Montréal, qui vient de se terminer (2023). J’ai aussi travaillé comme chercheuse en résidence à l’Institut du Nouveau Monde grâce à une bourse du FRQSC. J’ai notamment fait de la recherche documentaire pour les travaux de l’organisme. J’ai également travaillé avec l’Université Saint-Paul (Ontario) sur un projet sur le logement et les personnes aînées.
J’ai aussi été membre du Conseil des Montréalaises, une instance consultative de la Ville de Montréal qui donne des avis à la Ville sur les enjeux d’égalité hommes-femmes et d’égalité entre toutes les femmes. Il y a deux dossiers sur lesquels j’ai beaucoup aimé travailler, l’avis Vers une ville féministe qu’on a déposé en 2020 et l’avis Pour une transition écologique juste et féministe, qui a été déposé en 2022. L’expérience au sein du Conseil des Montréalaises était vraiment très intéressante. Écrire des avis et des recommandations pour la Ville, c’est directement en lien avec mon travail aujourd’hui. Puis, j’ai travaillé avec Femmes et Villes international (FVI), qui est une organisation internationale basée à Montréal et qui travaille sur les enjeux de genre dans les villes. Avec FVI, j’ai aussi obtenu un mandat auprès de la Banque interaméricaine de développement à Georgetown, la capitale du Guyana. Avec ma collègue, on a donné des formations sur l’organisation de marches exploratoires sur la sécurité des femmes dans les espaces publics et on a produit un rapport énonçant des recommandations. J’ai aussi travaillé avec Concertation Montréal sur le projet MTElles, qui porte sur la participation démocratique et égalitaire des femmes dans les instances démocratiques et communautaires à Montréal. Dans le cadre du projet MTElles, on a testé différentes manières de favoriser la participation des femmes dans la participation publique. On a rédigé une trousse d’outils pour expliquer à quoi il faut penser dans l’organisation d’une assemblée publique, par exemple, pour s’assurer de favoriser la participation de tous et toutes. J’ai aussi travaillé avec l’organisme Relais-Femmes comme formatrice en analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+) où j’ai donné des formations à différentes équipes de la Ville de Montréal. Cela m’a permis de connaître encore plus Montréal. Enfin. j’ai aussi effectué des activités de transfert de connaissances de l’ADS+ en participation publique. Ces mandats m’ont donné toutes les compétences qui m’ont amenée à postuler au poste de coordonnatrice – soutien aux commissions permanentes de la Ville de Montréal. J’y suis depuis juillet 2022.
Pouvez-vous nous parler un peu plus des commissions permanentes et de votre rôle?
À Montréal, il y a 11 commissions auxquelles siègent les élu·e·s. Ce sont aussi bien des conseillier·ère·s de villes, des conseiller·ère·s d’arrondissements, des maires et mairesses d’arrondissements et des maires et mairesses des villes liées. Les commissions permanentes relèvent du conseil municipal ou du conseil d’agglomération en fonction du dossier qui est étudié. Les 11 commissions permanentes se penchent sur différents dossiers pour éclairer la prise de décision des élu·e·s et elles vont travailler sur des dossiers soit à huis clos, soit en faisant des consultations publiques.
Pour ma part, je m’occupe principalement de deux commissions, la Commission sur le développement social et la diversité montréalaise et la Commission sur la culture, le patrimoine et les sports. Je suis aussi en appui sur trois autres commissions, la Commission sur le transport et les travaux publics, la Commission de la présidence du conseil, qui s’occupe plus des enjeux de participation citoyenne, et la Commission sur l’examen des contrats de la Ville. Cette commission travaille de façon confidentielle.
Dans le cadre de mes fonctions, je suis chargée d’organiser les travaux des commissions. Par exemple, s’il y a un dossier qui est traité en huis clos, il s’agira pour moi d’organiser les rencontres avec les services de la Ville qui sont interpellés, puis d’écrire le rapport et les recommandations à la fin. Ça peut aussi être d’organiser des assemblées publiques. Par exemple, dans la dernière année, j’ai organisé des assemblées publiques sur différents bilans de politique ou de plan d’action de la Ville, notamment le bilan de la Politique de développement culturel 2017-2022. Dans le cadre d’une étude publique, on invite la population montréalaise à prendre connaissance de ce bilan, puis à donner ses commentaires et poser ses questions sur ce bilan avant que la Ville propose une nouvelle politique ou un nouveau plan d’action. Je travaille aussi sur des consultations publiques. Dans ce cas, il y a toute la partie de planification de la consultation, notamment le choix de l’outil de participation à utiliser pour consulter la population. Il y a des séances d’audition des opinions, la réception de mémoires, des questionnaires, des groupes de discussion (focus groups), des ateliers consultatifs, etc. Mon travail consiste à planifier tous ces outils de participation, d’organiser les activités et d’analyser les opinions recueillies. Enfin, la partie de mon travail qui est relative à la rédaction des rapports et des recommandations est étroitement liée à mon expertise en recherche.
Quels sont les aspects de votre travail que vous aimez le plus? Est-ce que vous rencontrez certaines limites?
Ce que j’aime beaucoup de mon travail, c’est la diversité des dossiers sur lesquels je travaille. Par exemple, je travaille sur la participation électorale, sur l’accessibilité universelle, sur les jeunes ou encore sur des dossiers touchant la culture, le patrimoine, le sport. J’adore ça, vraiment, ça vient nourrir ma curiosité! C’est peut-être, d’ailleurs, le fil conducteur de tout ce que j’ai fait : une grande curiosité! J’aime aussi le fait qu’on ait une perspective assez large de ce que fait la Ville, parce qu’on interpelle différents services. Par exemple, pour le dossier de la traversée des rues, nos recommandations touchent autant le service de l’urbanisme ou celui de la mobilité que le service qui s’occupe du déneigement ou encore des travaux municipaux. Aussi, j’aime beaucoup quand une commission entame un nouveau dossier, parce que je peux me plonger dans ce nouveau sujet. Je lis les avis, ce qui a pu être écrit sur le sujet dans les dernières années. Ce sont des sujets d’actualité, des sujets toujours intéressants, comme la consultation sur la manière dont les enfants se rendent à l’école. C’est un aspect de la recherche que, évidemment, j’apprécie! Et puisque notre travail et celui des commissions permanentes, c’est d’éclairer la prise de décision, d’écrire des recommandations, j’aime cette position où on pousse la Ville à aller plus loin. Il y a toujours une volonté de faire mieux et c’est le fun de travailler dans cette perspective-là. Et puis, j’apprends tellement, avec l’expertise des professionnel·le·s de la ville qui ont des connaissances très poussées. Je trouve que c’est un beau milieu pour des personnes qui viennent des études supérieures, et c’est valorisé aussi. J’aime mon équipe, j’apprends beaucoup et on s’entraide, on a un bel esprit d’équipe. J’adore cet aspect-là du travail. Quand j’ai un doute, je pose une question à un ou une collègue.J’aime aussi travailler avec la population lorsqu’on organise des assemblées publiques.
Pour les limites, il y a plusieurs étapes, il y a beaucoup de monde à convaincre, ça peut être lent pour faire évoluer certaines pratiques, surtout quand on essaye de les changer. C’est un autre rythme parce que justement tu dépends des autres, donc chaque équipe, chaque personne a son propre rythme. Aussi, autant j’aime qu’on ait des dossiers différents dans lesquels se plonger, autant j’aimerais avoir plus de temps. Pour faire une recherche plus approfondie, faire une vraie revue de la littérature, etc., et s’assurer que nos recommandations soient les plus appuyées possible, autant sur les opinions qu’on a reçues que sur ce que la recherche a à dire. Il y a aussi les démarches administratives, qui grugent du temps sur la recherche.
Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?
Je consulte plusieurs sources d’information internes de la Ville, les communautés de pratique, on a des « chats » et il y en a un qui est particulièrement actif où tout le monde partage diverses informations. Il s’agit d’une très bonne source d’information. Je suis aussi des organismes dont le travail peut inspirer le mien, notamment l’OCPM, le Centre d’écologie urbaine de Montréal, Vivre en Ville. Pour les dossiers sur les femmes, je suis toujours les travaux du Conseil des Montréalaises, évidemment, mais aussi la Table des groupes de femmes de Montréal. J’assiste à des webinaires lorsqu’ils sont en lien avec mon travail en participation publique ou avec les dossiers sur lesquels je travaille. Je suis aussi des groupes de recherche, notamment le CRIEM (Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises), la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine et je suis également certaines personnes sur LinkedIn. Sinon, pour l’actualité urbaine en général, pour les grandes tendances, ce sont les journaux, par exemple The Guardian, qui offre la section Cities avec des articles intéressants sur différents dossiers.
Pour les prochaines années, je pense que le tournant amorcé vers la participation citoyenne se poursuivra. C’est évident que la pertinence des voix citoyennes pour éclairer la prise de décision n’est pas remise en question, mais on est à un moment où l’on veut aller chercher le public qui ne participe pas. Il y a beaucoup de barrières à la participation aux différentes consultations publiques. Je pense que dans les prochaines années, l’accent sera mis là-dessus. Comment fait-on pour rejoindre les personnes qui ne vont pas venir, par exemple dans notre cas, à l’hôtel de ville pour donner leur opinion? C’est un approfondissement de l’ADS+ dans la participation publique. Je pense que ça va beaucoup évoluer dans les prochaines années. On a quand même des responsabilités à cet égard.