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Crédits photos : Vivre en Ville, 2024

Compte rendu – Rendez-vous des Collectivités viables, « Équité et territoire : pour des milieux de vie justes »

12 juin 2024

Par Pascale Chagnon, étudiante au doctorat en ATDR, Université Laval et Rachel Nadeau, étudiante au doctorat en droit, Université Laval

Un événement organisé par Vivre en Ville

Présentation

L’édition 2024 du Rendez-vous Collectivités viables a eu lieu le 12 juin au Marché Bonsecours, à Montréal, avec une participation record, toutes éditions confondues, de près de 500 personnes. Cet évènement annuel, organisé par l’organisme Vivre en Ville, cherchait à approfondir le rôle de l’organisation des milieux de vie dans la dimension territoriale des inégalités. C’est par le biais de cinq perspectives, faisant chacune l’objet de conférences et de panels, que cet objectif a été abordé : milieu vécu, espace public, quartier, ville et région ainsi que transition socioécologique.

La journée a aussi été l’occasion pour Vivre en Ville de présenter son initiative la plus récente en matière d’équité, la réalisation d’un portrait diagnostique des iniquités territoriales dans le Grand Montréal, dont la publication est attendue à l’automne. Observant les iniquités à l’échelle territoriale, et non individuelle, ce portrait diagnostique s’inscrit dans un contexte où, comme souligné par la directrice principale de Vivre en Ville, Jeanne Robin, l’organisation des milieux de vie est considérée comme un déterminant majeur de la santé et de la qualité de vie.

Toujours sous le thème de l’équité, soulignons l’initiative Chaises des générations présentée par Laure Colin-Bosvieux, de l’organisme Mères au front. Ces chaises, fabriquées par des jeunes, visent à rappeler aux dirigeant·e·s leurs responsabilités envers les générations futures. Plusieurs de ces chaises sont désormais placées dans des salles de conseils municipaux à travers le Québec.

Mot d’ouverture

L’évènement a été ouvert par Robert Beaudry, conseiller municipal de Ville-Marie, à Montréal, membre du conseil exécutif et responsable de l’urbanisme, de l’itinérance et de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Cette première conférence a bien donné le ton au reste de la journée. Tout en restant optimiste, elle portait sur plusieurs problématiques d’équité vécues au sein de la ville de Montréal, où les situations de crise du logement, d’itinérance et de santé publique touchent de nombreuses personnes. L’élu a mis de l’avant les actions qui sont entreprises par l’Administration de la ville pour travailler de front avec les milieux communautaire et associatif, en mettant en branle de grands chantiers de construction de logements abordables, entre autres dans le cadre du programme Loger+, qui permet de limiter la spéculation immobilière sur ces nouveaux logements. Il a également mentionné le nouveau Plan d’urbanisme et de mobilité (PUM) de la ville, qui avait été publié la veille de l’évènement. Monsieur Beaudry tenait à souligner l’importance de la planification simultanée de ces deux facettes de la ville pour favoriser l’équité sur le territoire. Ce plan vise à agir sur des secteurs prioritaires plus exposés aux conséquences des changements climatiques et planifie l’amélioration du transport actif et en commun dans la ville (tramway, autobus, SRB, métro, pistes cyclables, etc.).

Perspective 1. Milieu vécu

Conférence « Construire la ville juste »

Le premier bloc des cinq séances de la journée s’est amorcé avec la conférence de Toni Griffin, fondatrice de UrbanAC et de Just City Lab, et professeure à la Graduate School of Design de Harvard. Sa présentation mettait l’accent sur l’importance de jumeler la création au cadre parfois rigide de l’aménagement, sur l’importance de sortir des structures contraignantes pour pouvoir innover et s’attaquer aux inégalités de nos sociétés. La conférencière mentionnait huit points à adopter pour être plus en mesure de planifier des milieux justes :

  1. Devenir à l’aise avec les tensions : le changement demande toujours le courage de sortir du cadre et de remettre en question le statu quo;
  2. Utiliser le langage de la justice : l’utilisation des mots diffère selon la population questionnée, il faut comprendre ce que les mots veulent dire pour les personnes qui sont concernées;
  3. Savoir qui est concerné : la justice doit être distributive, procédurale, restaurative et interactionnelle et inclure toutes les populations;
  4. Partager le pouvoir : toutes les communautés doivent être impliquées, il faut arrêter de voir les approches ascendante (bottom-up) et descendante (top-down) en opposition;
  5. Rêver plus fort! Utiliser sa créativité, son art, pour rêver à mieux et faire entendre sa voix;
  6. Retourner le territoire à la population : il faut posséder le territoire pour y appartenir et se sentir concerné par sa gestion;
  7. Faire un suivi : collecter des données pour faire un suivi de l’efficacité des mesures mises en place, comme l’efficacité des places publiques pour favoriser le sentiment de communauté;
  8. Réinventer ses praxis : intégrer plusieurs formes de théories et de pratiques pour avoir des approches intégratives.
Panel « Regard croisés sur les iniquités territoriales »

Cette conférence était suivie du premier panel de la journée. Trois intervenantes travaillant dans des milieux défavorisés ont pris la parole à tour de rôle pour présenter les initiatives auxquelles elles prennent part. D’abord, Fatima Gabriela Salazar Gomez a présenté Hoodstock, un organisme travaillant sur la justice sociale à Montréal-Nord, quartier défavorisé de l’île de Montréal. Elle mentionnait l’importance de développer la mobilité dans le quartier pour en favoriser la vitalité, alors qu’actuellement il est difficile d’aller faire son épicerie à quelques kilomètres seulement de sa résidence, puisque les rues et le transport en commun sont prévus pour faciliter les mouvements vers les quartiers centraux. Les infrastructures de mobilité active ne sont également pas pensées pour le transport utilitaire et le peu de végétation peut rendre la marche dangereuse lors des grandes chaleurs l’été.

Garcia Adam a ensuite pris la parole pour présenter les barrières à une alimentation saine dans le quartier Limoilou, à Québec. En plus de la difficulté d’accès économique aux aliments, dans un contexte inflationniste n’aidant pas, les barrières physiques sont également très présentes. En effet, de très nombreux déserts alimentaires existent dans les quartiers de la basse-ville de Québec. Les ménages sans voiture doivent donc marcher de nombreux kilomètres, parfois traverser des boulevards ou autoroutes, contourner des obstacles sur les trottoirs qui ne sont pas adaptés aux personnes à mobilité réduite, ou payer d’importantes sommes pour prendre un taxi, car les autobus municipaux limitent le nombre de sacs par personne à bord, ne permettant donc pas de transporter une épicerie complète. La culpabilité ressentie à ne pouvoir s’offrir une alimentation saine, ou à ne pas avoir de compétences culinaires, est par ailleurs transversale aux autres problématiques.

Ensuite, Suzanne Loiselle, locataire de la résidence pour personnes aînées du Mont-Carmel, à Montréal, est venue présenter le combat qu’elle mène avec d’autres résident·e·s pour contrer les avis d’éviction qu’ils se sont vu distribuer au début de l’année 2022. Les enjeux de justice sociale, la moyenne d’âge des résident·e·s étant de plus de 75 ans, les enjeux juridiques, politiques, financiers et médiatiques ont été abordés. L’importance du soutien citoyen et du milieu communautaire que les résident·e·s ont reçu a énormément aidé la lutte juridique avec le propriétaire, et bien qu’elle soit encore en cours, elle est tranquillement en voie d’être gagnée, cas après cas. Madame Loiselle a terminé sa présentation en mentionnant l’importance de renforcer la loi visant à protéger les personnes aînées. Elle souhaite également que les résidences pour personnes âgées ne suivent plus le modèle privé afin d’être moins vulnérables face à des promoteurs qui ne pensent pas au bien-être des résident·e·s.

Perspective 2. Espace public

Panel « Design inclusion et cohabitation »

La seconde partie de l’avant-midi s’est entamée avec un deuxième panel, celui-ci portant sur l’inclusion et la cohabitation. Trois intervenantes ont encore une fois pris la parole à tour de rôle, en commençant par Marie Turcotte, directrice générale de Ex-Aequo, un organisme montréalais qui vise à faciliter les déplacements des personnes à mobilité réduite. Celle-ci avançait que des améliorations sont régulièrement faites en matière d’accessibilité. Par exemple, il y a quelques années, les terrasses sur les trottoirs limitaient la mobilité de plusieurs utilisateurs et utilisatrices, alors qu’une meilleure réglementation limite maintenant ces désagréments, ou que les terre-pleins au milieu de grandes routes possèdent de plus en plus d’abaissements de trottoirs (communément appelés « bateaux ») qui facilitent l’action d’y monter pour s’arrêter à mi-chemin, et possèdent en plus des plaques podotactiles. Cependant, de nouveaux enjeux se présentent aussi rapidement. Les avancées de trottoir, par exemple, qui se veulent une façon de ralentir la circulation automobile, coupent souvent la vue aux enfants ou personnes en fauteuil roulant lorsque la végétation est haute. Les pistes cyclables qui se trouvent entre les arrêts d’autobus et le trottoir limitent également l’accessibilité des personnes en fauteuil roulant, puisqu’il n’est pas facile de descendre de la rampe des autobus dans cette situation.

Barbara Fillion, ergothérapeute et agente de planification, de programmation et de recherche à la santé publique de Montréal, est venue parler de l’importance de s’adapter au vieillissement de la population. Pour s’assurer que tout le monde a l’option de vieillir chez soi dans un environnement sécuritaire, confortable et indépendant, il faut mettre en place des approches par groupe d’âge, les 65 ans n’ayant pas les mêmes besoins que les 90 ans. Ainsi, les approches en santé publique doivent valoriser la participation sociale des aîné·e·s pour favoriser la création et le maintien de leurs liens sociaux. De plus, en ce qui concerne les aménagements, ils doivent être pensés pour favoriser les déplacements de cette population, en prévoyant des aires de repos, des endroits ombragés ou de l’éclairage, des toilettes publiques, etc., et ainsi faciliter l’accès aux espaces verts et autres places publiques, qui permettent une socialisation.

Finalement, Olivia Daigneault Deschênes, architecte chez Architecture sans frontières Québec, a abordé le cas des personnes en situation d’itinérance. Elle a d’abord mentionné que bien que l’on parle de plus en plus d’itinérance visible dans les villes, une grande partie de la problématique reste cachée, particulièrement chez les femmes et les jeunes, parce que ces personnes sont plus souvent dans les refuges, ou se logent temporairement chez des connaissances. Une autre cause de l’invisibilisation de l’itinérance provient des aménagements hostiles. Ainsi, il est important de travailler à mettre en place des espaces accueillants pour ces gens, qui leur permettent de préserver leur intimité tout en comblant leurs besoins hygiéniques de base. Le regard normatif sur l’accès aux espaces publics doit être déconstruit, alors que la mise en place d’un meilleur filet social doit permettre de limiter l’augmentation de cette marginalisation.

Le panel s’est terminé avec une discussion entre les trois intervenantes sur le travail en vase clos. Les trois présentant des problématiques variées, venant avec leur lot de besoins en matière d’aménagement, il a été mentionné qu’il est important de ne pas penser seulement à l’un ou à l’autre au moment d’aménager des villes. En effet, un aménagement inclusif pour les personnes à mobilité réduite va souvent aider les personnes âgées, et l’aménagement de bancs dans les places publiques pour que les aîné·e·s puissent prendre des pauses aide également les gens en situation d’itinérance.

Conférence « Réévaluer les retombées des investissements dans l’espace public »

L’avant-midi s’est conclu sur une conférence de Hanna Love, membre boursière au Bass Center for Transformative Placemaking de l’organisme américain Brookings Institution. Elle a, en continuité avec la deuxième séance de la journée, expliqué comment l’aménagement de places publiques plus inclusives profitait à tout le monde. En effet, elle a mentionné que l’aménagement de places publiques apporte une grande valeur à la société, que ce soit pour des raisons économiques (augmentation de la valeur des terrains et des résidences à proximité, prolifération des commerces locaux, etc.), sociales (cohésion sociale, sécurité publique, rétention de la population) ou civiques (gouvernance, engagement citoyen, etc.).

L’aménagement de places publiques peut cependant avoir un effet pervers sur les inégalités sociales s’il n’est pas conçu adéquatement. Par exemple, si les aménagements de places publiques à Flint (Michigan), Albuquerque (Nouveau-Mexique) ou Canalside (New York) ont permis une attractivité de la ville pour les populations des banlieues, stimulant ainsi une économie locale, la mauvaise planification de ces dernières a limité leur attractivité pour les ménages locaux, souvent des populations racisées ou marginalisées. Par exemple, l’interdiction des vendeurs de rue, très présents dans la culture latino-américaine, limitait l’intérêt pour les résident·e·s d’Albuquerque de profiter de la nouvelle place publique.

Ainsi, la conférencière faisait trois recommandations :

  1. Repenser le « où » et le « pourquoi » des investissements dans les places publiques en se basant sur les données probantes et les ressources disponibles, tout en évitant l’extractivisme;
  2. Élargir le « qui peut gérer les espaces publics » pour mieux intégrer la société civile, pas uniquement utiliser des approches descendantes;
  3. Diversifier le « quoi » derrière les investissements publics en se demandant pourquoi on veut construire ces espaces et quels sont leurs objectifs.

En terminant, la chercheuse a mentionné que l’inclusion et l’équité ne peuvent être une considération que l’on a après coup dans le cas du design de milieux publics. Elles doivent être au centre de la réflexion dès le début si l’on souhaite qu’elles soient bien intégrées.

Perspective 3. Quartier

Conférence « La gentrification est-elle entièrement mauvaise? Comment faire de la gentrification un processus démocratique et égalitaire? »

Dans ce premier segment de l’après-midi, Leila Ghaffari, professeure adjointe à l’Université Concordia, a présenté le résultat de ses recherches sur la gentrification. Phénomène défini pour la première fois dans les années 1960, la gentrification représente un processus dans un quartier qui implique un changement dans la population avec l’arrivée de nouveaux ménages au statut socioéconomique plus élevé. Ce changement s’accompagne de modifications à l’environnement bâti, dues à des réinvestissements. La gentrification est associée à des effets négatifs pour les populations déjà présentes en causant leur déplacement, un sentiment de désappropriation et une marginalisation, incluant une perte d’influence. Pour contrer ces effets, il est important de protéger le droit d’occupation (droit au logement), le droit au lieu et les processus de participation, dans l’objectif de coconstruire la transformation du quartier.

Dans le cadre de ses recherches, la professeure Ghaffari a comparé deux quartiers, Hochelaga à Montréal et Madeleine-Champ de Mars à Nantes (France), afin d’étudier la réponse à leur déclin respectif, dont la gentrification et les effets sur les populations. Bien que les réponses et les conséquences y aient été différentes, elle constate dans les deux cas que les problèmes sont survenus non pas à l’arrivée de nouvelles populations, mais lorsque les instances ont priorisé les besoins de ces dernières sans prendre en compte ceux des communautés existantes. Ses conclusions principales indiquent tout d’abord que l’absence d’un des éléments visant à contrer les effets de la gentrification n’entraîne pas automatiquement un rejet de transformation par la population. Cependant, il est important de favoriser le droit au quartier et l’inclusion, tout en gardant à l’esprit que la situation de pénurie de logements se fait ressentir dans le processus de gentrification. La professeure Ghaffari a donc réitéré l’importance de protéger les locataires et les résident·e·s existants, par exemple par l’interdiction des rénovictions.

Panel « Vers des quartiers en santé »
Présentation de Janie Houle, panel « Vers des quartiers en santé »
Présentation de Janie Houle, panel « Vers des quartiers en santé »
Crédits photos : Rachel Nadeau, 2024

Trois intervenants sont ensuite venus discuter des processus de participation citoyenne et des moyens d’inclusion des populations vulnérables. D’abord, Janie Houle, psychologue communautaire et titulaire de la Chaire de recherche sur la réduction des inégalités sociales en santé (UQAM), a abordé le développement de processus de consultation qui favorisent l’équité en santé. Avant tout, elle a souligné le rôle des privilèges par rapport à la position sur l’échelle sociale en santé. La présence ou non de ces privilèges influence entre autres le contrôle d’une personne sur ses conditions matérielles et sociales, elles-mêmes des déterminants sociaux de la santé. Parmi les facteurs contribuant aux inégalités en santé, Madame Houle a abordé plus particulièrement le manque d’accès aux consultations publiques, surtout considérant que les personnes les plus informées ont tendance à s’approprier les processus de consultation, écartant les personnes en situation de défavorisation socioéconomique. Plusieurs obstacles à la participation sont identifiés, dont la dévalorisation, une impression d’inutilité des processus consultatifs, la peur du ridicule, le manque de compréhension (par exemple en raison de l’emploi d’un jargon technique ou didactique) et d’autres barrières reliées aux finances et à l’accès au transport. Cependant, ces obstacles peuvent être limités si les comités organisateurs des processus de consultation rejoignent directement les gens là où ils se trouvent et qu’ils travaillent à instaurer un climat de confiance. En conclusion, Madame Houle suggère de prendre connaissance de la Démarche collective d’amélioration du milieu de vie.

Par la suite, Martine Shareck, professeure à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité en santé urbaine et les jeunes, a discuté de l’inclusion et de la participation citoyenne dans le cadre des grandes transformations urbaines. Elle a employé l’exemple de la revitalisation de la rue Wellington Sud, au centre-ville de Sherbrooke. Dans ce secteur comprenant une forte proportion de gens se trouvant sous le seuil de la pauvreté, une étude a été conduite sur l’inclusion des personnes marginalisées dans les processus de revitalisation. Parmi les constats qui ressortent, on note dans un premier temps peu de considérations pour la place des personnes marginalisées dans le processus. Dans un deuxième temps, on constate cependant une ouverture à considérer ces groupes et à collaborer avec eux pour rendre le projet plus inclusif. De façon générale, l’étude constate la présence de deux visions opposées dans le cadre du projet de revitalisation, celle du milieu municipal et du privé et celle du milieu communautaire. Par exemple, il a été remarqué que la communication et la participation citoyenne n’étaient pas perçues de la même façon, incluant les raisons justifiant la tenue d’une consultation, l’utilisation de l’information obtenue et l’identification des groupes clés. Malgré la présence de ces deux perspectives divergentes, mises en exergue par l’étude, la professeure Shareck termine sur une note optimiste, indiquant qu’il est encore temps de redresser le tir et d’améliorer les choses.

Finalement, François Bergeron, directeur général à la Corporation de développement communautaire Centre-Sud (CDC Centre-Sud), est venu présenter ce regroupement d’organismes, qui se veut un espace de dialogue entre les promoteurs et la communauté. En effet, le quartier Centre-Sud à Montréal est visé par plusieurs grands projets en cours de réalisation sur de vastes terrains vides, dont l’ancien site de la tour de Radio-Canada. L’objectif est d’entamer, par le biais de la CDC Centre-Sud, les discussions avant les consultations, avec une volonté d’influencer les travaux en amont, plutôt que de se retrouver devant le fait accompli. Ainsi, cette dernière section du panel a permis de présenter une initiative concrète dans la réalisation de nouvelles consultations publiques, ayant un souci d’équité territoriale.

Perspective 4. Ville et région

Conférence « Territoires et réalités autochtones »

Alexandre Bacon, fondateur de l’Institut Ashukan, a présenté plusieurs enjeux autochtones contemporains, dont les injustices vécues par les communautés et l’influence négative du cadre juridique jusqu’à ce jour. Monsieur Bacon a rappelé que chaque communauté autochtone demeure unique et qu’il existe une diversité de réalités avec lesquelles les allochtones doivent se familiariser. Au sujet de la question de la reconnaissance territoriale, il a souligné qu’il existe une incompréhension, au Québec, de la notion de propriété du territoire et des contraintes et limites systémiques associées aux réserves. Il faut passer par-dessus ces difficultés, puisque la reconnaissance territoriale fait partie des mécanismes visant à assurer que les Premières Nations deviennent de véritables partenaires avec les institutions québécoises, non seulement sur le plan économique, mais aussi dans d’autres domaines comme les évaluations environnementales. Monsieur Bacon a appelé à une réelle collaboration avec les nations autochtones, non seulement à l’échelon provincial, mais aussi municipal.

Conférence « La demande induite au service de l’équité territoriale »

Adam Mongrain, directeur à la section Habitation de Vivre en Ville, a présenté une conférence sur le thème de la demande induite et sur son rôle pour favoriser l’équité territoriale. La notion de demande induite désigne la corrélation entre la baisse de coût pour la consommation individuelle et l’augmentation de la consommation agrégée. Fréquemment abordé pour désigner le phénomène de l’augmentation du trafic après l’ajout de voies sur une route, le mécanisme de la demande induite est cependant beaucoup plus large. Dans le cadre de la recherche de l’équité territoriale, son effet pourra apparaître si l’offre est augmentée avant la demande. Monsieur Mongrain donne pour exemple le prolongement de la ligne orange du métro de Montréal vers Laval, au milieu des années 2000 : les prédictions de fréquentation ont été dépassées, puisque la réduction du coût de déplacement (non seulement du point de vue financier, mais aussi en matière de temps et d’efforts) engendré par le métro a induit une nouvelle demande.

Cependant, comme noté lors de la présentation, réduire les coûts d’accès à une zone risque d’augmenter le coût du parc immobilier, engendrant ainsi une nouvelle situation inéquitable. Cela ne signifie pas qu’il faut réduire stratégiquement le transport collectif et les autres services pour protéger les communautés existantes, ce qui équivaudrait à un désengagement civique; il faut plutôt renforcer les mécanismes pour protéger l’abordabilité de ces zones. Ainsi, plutôt que de subir les effets négatifs du marché, il faut plutôt, selon Adam Mongrain, mettre le marché à notre service.

Panel « Agir pour l’équité territoriale à Montréal : combiner la force des données et des collaborations »

Dans ce dernier panel de la journée, trois intervenants de la Ville de Montréal (Myriam Grondin, Maëlle Plouganou et Jérôme Vaillancourt) sont venus discuter de deux outils développés pour favoriser l’équité territoriale à Montréal : l’indice d’équité des milieux de vie, qui permet de comparer les quartiers et les arrondissements sur les vulnérabilités, et l’approche des quartiers inclusifs et résilients (QIR). Cette approche est testée au moyen d’un projet pilote dans trois milieux sur le territoire de la ville de Montréal : le quartier Sainte-Marie (Centre-Sud), le nord-est de l’arrondissement de Montréal-Nord et le quartier Saint-Pierre. Les objectifs principaux sont de favoriser une approche intégrée entre les différents secteurs de l’administration et les parties prenantes, dont les tables de quartier et leurs membres, et de favoriser une démarche adaptative, avec des stratégies et postures différentes selon les quartiers. Le projet pilote s’achèvera en 2025. L’objectif sera alors d’intégrer les planifications obtenues dans tous les services de la Ville, ainsi que les priorités pour chacun des trois secteurs dans les deux prochaines années.

Perspective 5. Transition socioécologique

La journée s’est terminée avec la tenue d’une discussion entre Mélissa Généreux, médecin-conseil à la Santé publique de l’Estrie, Léa Ilardo, coordonnatrice de l’Équité territoriale chez Vivre en Ville, et Mario Régis, directeur principal de Centraide du Grand Montréal et président du CA de l’Observatoire québécois des inégalités. Elle était animée par Fabrice Vil, animateur et fondateur de l’organisme Pour 3 Points. La discussion s’est ouverte sur la notion de crise. Les crises sociales et environnementales sont multiples et si omniprésentes dans notre quotidien que nous les avons presque oubliées. Cependant, le sous-financement chronique et le constant manque de ressources dans les milieux sociaux qui pourraient agir face à ces crises causent des problèmes réels sur la santé des gens. Par exemple, l’exposition à la pollution engendre des cancers ou des maladies respiratoires, le manque d’accès au transport cause de l’isolement social ou une mauvaise alimentation, etc.

La conversation a ensuite dévié autour de la pandémie. Alors que les milieux institutionnels, gouvernementaux, communautaires et autres se sont organisés avec une rapidité surprenante lorsque l’épidémie a frappé, la société semble maintenant incapable de faire preuve de flexibilité organisationnelle pour résorber les inégalités sociales et diminuer les iniquités. Ainsi, bien que la gestion de la pandémie ait été grandement critiquée, elle a mené à des actions concertées, mais il ne faut tout de même pas attendre qu’une situation soit aussi urgente pour agir. Il faut organiser le milieu communautaire dès maintenant pour limiter les impacts des problèmes futurs sur les groupes vulnérables.

Il faut également travailler sur les causes profondes pour éliminer la problématique à la source, plutôt que de simplement mettre un pansement après coup. Il est impératif de s’attaquer aux enjeux structuraux et de reconnaissance des problèmes. Pour cela, il faut d’abord écouter les gens affectés et prendre la pleine mesure des situations. Les panélistes ont également mentionné l’importance de saisir toutes les opportunités pour agir, que les projets soient petits ou grands. En effet, on ne peut pas repousser la mise en place d’initiatives si l’opportunité s’offre maintenant, parce qu’il est possible que le climat politique ne soit plus favorable l’an prochain.

La discussion s’est conclue sur une note positive alors que les panélistes reconnaissaient qu’à travers toutes les difficultés auxquelles font face les milieux locaux et communautaires, certaines voix politiques puissantes s’élèvent tout de même, comme celle de Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, qui clame haut et fort que les milieux communautaires devraient se voir attribuer plus de ressources. Finalement, l’animateur a invité les panélistes à chacun dire un mot de la fin, qui furent : concret, conviction, inconfort et force.