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Place à la relève! – La localisation des services supérieurs à l’ère du numérique

Par Diego Andres Cardenas Morales, étudiant au doctorat en aménagement du territoire et développement régional, École supérieure d’aménagement du territoire et développement régional (ULaval)

Les services à forte intensité de connaissances

Les services à forte intensité de connaissances (SFIC), aussi nommés services supérieurs ou secteur tertiaire supérieur, sont des services intermédiaires qui créent, transforment et disséminent des connaissances, se traduisant en innovations technologiques ou organisationnelles. Les SFIC, dont la force de travail est hautement qualifiée, nécessitent des échanges en personne pour mobiliser et combiner des connaissances, raison pour laquelle leur localisation est traditionnellement associée à la ville, et plus précisément au centre-ville. L’ avantage que ces entreprises tirent de la concentration géographique s’explique par la présence des universités, des centres de recherche, des entreprises et, en général, des infrastructures qui facilitent l’interaction entre acteurs.

Toutefois, la localisation des SFIC traverse les frontières de la ville. D’un côté, la banlieue se révèle comme la destination naturelle des entreprises à fur et à mesure que l’expansion urbaine se poursuit dans les régions métropolitaines. De l’autre, les régions périphériques attirent des entrepreneurs et entrepreneuses qui cherchent un style de vie moins effréné et des connaissances qui ont leur source dans les petites villes. La géographie des SFIC s’inscrit donc dans une dynamique de diffusion et d’interaction où la distance joue un rôle crucial.

La dissolution des contraintes économiques

L’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) a remis en cause la prépondérance de la proximité physique et du regroupement spatial dans les choix de localisation des entreprises, particulièrement dans le tertiaire supérieur. L’accès à Internet et à des dispositifs portables semble avoir surmonté en partie la distance comme contrainte économique. Les échanges électroniques de plus en plus fréquents ouvrent la voie à de nouvelles localisations. En revanche, la pandémie de COVID-19 a complexifié l’encadrement en raison du recours massif au télétravail. L’utilisation d’applications de visioconférence comme substituts des espaces de travail menace de faire basculer le rôle du bureau et l’avenir du centre-ville.

Objectifs et méthodologie

Afin de vérifier si le progrès technologique et la pandémie ont altéré les logiques d’implantation, la recherche répond à trois questions liées aux trajectoires de localisation des SFIC : 1) Les services supérieurs sont-ils devenus mobiles géographiquement? 2) Les anciennes théories de la localisation expliquent-elles encore les choix d’emplacement de nouvelles entreprises? 3) Comment la pandémie a-t-elle affecté les décisions de localisation des entrepreneur·se·s?

Sur le plan empirique, la recherche utilise des microdonnées spatiales provenant du Registraire des entreprises du Québec (REQ) avec des méthodes économétriques originales et adaptées pour répondre aux questions de recherche. La base de données du REQ permet de suivre l’historique de localisations exactes des entreprises entre 2011 et 2022, une période qui permet de capter l’effet de l’Internet à haut débit et de l’ère du téléphone intelligent, mais aussi l’impact de la pandémie de COVID-19.

Les SFIC sont-ils vraiment mobiles?

Bien que les services supérieurs soient moins sensibles aux économies d’agglomération et que la migration d’entreprises ne soit pas concentrée au sommet de la hiérarchie urbaine, les résultats suggèrent que les SFIC ne sont pas tout à fait mobiles. Les chefs d’entreprises quittent à la fois les métropoles et les petites villes rurales pour s’installer dans des villes satellites au sein des régions métropolitaines. Les deux types de villes semblent jouer un rôle d’incubateur, mais ne retiennent pas les SFIC une fois qu’ils deviennent matures.

D’un côté, la métropole est un emplacement trop cher. Les entreprises qui ont consolidé leur réseau de contacts et fidélisé une clientèle peuvent profiter d’un emplacement plus excentré, mais relativement proche des grands marchés locaux, des bassins de main-d’œuvre qualifiée et des infrastructures de transport. Donc, quitter la métropole ne veut pas dire abandonner un site d’implantation, mais plutôt conserver les avantages de la grande ville sans pourtant payer les coûts immobiliers élevés des métropoles. De l’autre côté, les petites villes ont des limites pour les entreprises en quête d’expansion. Les espaces ruraux sont éloignés de grands centres et n’offrent pas assez de main-d’œuvre tant en nombre qu’en diversité. Le déménagement vers les régions métropolitaines, soit celle de Québec ou de Montréal, permet aux SFIC de se procurer un meilleur accès à des ressources et des services de la métropole.

Les villes intermédiaires se révèlent comme destinations à haut potentiel de croissance. Ces villes sont bien connectées au réseau urbain principalement parce qu’elles se trouvent dans le corridor Québec-Montréal et comptent sur une industrie développée autour des activités d’établissements universitaires ou d’entreprises multinationales.

Les théories de la localisation ont-elles perdu leur pouvoir explicatif?

Les résultats montrent que le développement des NTIC n’altère pas de manière significative les décisions d’implantation des services supérieurs. Les localisations traditionnelles et les facteurs marchands les plus classiques sont encore importants pour l’émergence de nouvelles entreprises à l’échelle métropolitaine. La probabilité de localisation des services supérieurs reste concentrée dans le centre-ville de Montréal, avec une dispersion concentrique vers les quartiers adjacents.

Néanmoins, il y a aussi une dispersion dans la région métropolitaine de Montréal. Les pôles de banlieue ainsi que les quartiers résidentiels semblent en mesure d’accueillir de nouvelles entreprises même si, en nombre absolu, ce sont le centre et ses pourtours qui dominent largement. Ces schémas de dispersion répondent à la localisation de la clientèle visée par les petites et moyennes entreprises, voire les particuliers.

La pandémie a-t-elle provoqué la délocalisation des activités de bureau?

Les analyses indiquent qu’une désertion des bureaux du centre-ville au profit des zones résidentielles de banlieue est hors de vue. Ces résultats sont également conformes au scénario postpandémique optimiste où la structure urbaine n’est pas modifiée. Les centres économiques, tels que le centre-ville, continuent de jouer un rôle structurel, étant donné que les travailleurs et travailleuses retournent graduellement au bureau et que les schémas de relocalisation observés durant et après la crise sanitaire sont similaires à ceux affichés avant la pandémie.

L’impact de la pandémie est lié à la restriction de mouvements des entreprises à cause du confinement. Les employeurs ont décidé de demeurer sur le site actuel pendant les deux premières années de la pandémie de COVID-19. Lorsque les mesures de santé publique ont été relâchées et que la majeure partie de la population a été vaccinée en 2022, les employeurs ont commencé à déménager les activités de bureau. Même si les décisions de localisation de SFIC n’ont pas été altérées à court et moyen terme, la transformation des espaces de bureau et la redéfinition des centres-villes sont peut-être les principaux changements hérités du recours précipité au télétravail.

Conclusion

Les NTIC semblent renforcer la concentration de l’activité économique dans l’espace bien que l’éventail de localisations possibles ait augmenté au fil du temps. Ce constat trouve son fondement dans l’incapacité des entreprises à accéder à la même information à partir d’emplacements différents. L’évolution rapide des plateformes et des outils technologiques permet d’être en contact avec un plus grand nombre d’interlocutrices et d’interlocuteurs dispersés géographiquement et de réduire les coûts de déplacement. Néanmoins, ces mêmes technologies ne peuvent pas remplacer entièrement les interactions sociales – telle que la création de liens de confiance, la confidentialité et la sécurité des informations partagées, ainsi que le besoin de contact humain – et augmentent la valeur relative des échanges en personne.

Les avantages du centre pèsent encore dans les décisions de localisation. L’accessibilité des intrants informationnels et celle du marché restent des facteurs clés dans le choix des entrepreneur·se·s. Une proximité raisonnable avec la clientèle et les partenaires facilite la tenue des réunions. Nonobstant, la possibilité accrue de travailler à distance fait que les besoins matériels évoluent. Les espaces de travail doivent en effet être adaptés pour accueillir moins de travailleur·se·s et devenir des espaces de rencontre favorisant l’interaction et la collaboration.

Ce projet de recherche est financé par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture.