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Crédits photo : Celia Benhocine, 2024

Place à la relève! – Le campus universitaire satellite comme stratégie de développement régional? Discours politiques et institutionnels de la marge métropolitaine au Québec

Par Celia Benhocine, étudiante à la maîtrise en études urbaines (INRS)

L’université, le territoire et la production de l’espace

Les universités ne sont pas que des endroits à part où la recherche et l’enseignement ont lieu; elles représentent une composante du tissu urbain qui lie d’importants investissements en infrastructure aux transformations sociales, économiques et spatiales des territoires où elles s’installent. Or, une forme particulière de l’université, connue sous le nom de « campus satellites », gagne rapidement du terrain non seulement sur la carte du Québec, mais aussi celle du monde, sans toutefois générer grand intérêt d’un angle sociospatial. Ces sites délocalisés – c’est-à-dire, situés à un emplacement géographique distinct du site universitaire principal – connaissent à la fois une expansion territoriale fulgurante et un intérêt politique soutenu. Toutefois, un regard critique sur la signification de ces tendances, pour la reconfiguration des espaces en lien avec l’évolution du paysage de l’enseignement supérieur, manque à l’appel.

Mon mémoire propose donc de creuser ces dynamiques en s’intéressant aux cadrages politiques et institutionnels de l’implantation des campus satellites. Plus particulièrement, ma recherche s’interroge sur le rôle du campus satellite dans la production de l’espace urbain du point de vue d’acteurs locaux et régionaux et se penche sur les implications du déploiement de ce type d’établissement pour la régionalisation de l’enseignement supérieur à la marge métropolitaine, soit le chevauchement du découpage administratif de la région lanaudoise et de la Communauté métropolitaine de Montréal. Elle propose, entre autres, une conceptualisation de l’université en tant que marqueur d’attractivité territoriale, soit une dimension symbolique qui s’agence à la conception dominante des universités en tant que moteur de développement économique.

Un point méthodologique clé : les discours

Comment expliquer que des projets de délocalisation universitaire, qui n’ont pas encore vu le jour, puissent façonner la géographie? Les idées véhiculées dans l’espace politique et médiatique peuvent en dire long sur les possibilités préconçues, exclues et entretenues qui finissent par se matérialiser. Ma recherche s’est concentrée sur le cas d’un appel de candidatures lancé par le Centre régional universitaire de Lanaudière (CRUL) qui, de 2015 à 2024, fut une instance de gouvernance importante en matière d’accroissement de l’offre de services universitaires dans la région. L’appel avait pour but de déterminer l’endroit le plus propice à l’installation d’un nouveau projet de délocalisation afin de pallier les taux de diplomation universitaire régionaux très faibles comparativement à la moyenne provinciale. Cinq municipalités, soit Saint-Lin–Laurentides, Saint-Roch-de-l’Achigan, Joliette, Terrebonne et Repentigny, ont été impliquées dans le processus.

Ayant suscité une vive controverse et une crise de légitimité auprès de ses parties prenantes, l’étude de cas met en lumière la participation de la gouvernance locale et régionale dans les enjeux de desserte, plutôt que de s’intéresser à un projet de déploiement spécifique chapeauté par une université. Ceci permet de se concentrer sur la mise en relation des territoires municipaux à travers les discours politiques et institutionnels qui émergent du processus et ainsi d’élaborer des perspectives sur la manière dont l’espace charnière région-métropole en vient à être transformé.

Dans ce cadre, je me suis entretenue avec 15 responsables du milieu politique local, de la gouvernance régionale et du secteur universitaire afin de cerner les contours du cas dans le contexte existant de la desserte universitaire de Lanaudière et y déceler les rapports de force à l’œuvre. J’ai complémenté les entretiens d’une analyse des discours tirés d’articles de médias locaux, de documents stratégiques et de pages web municipales liés au cas pour obtenir un portrait global des conceptions dominantes sur l’implantation de succursales universitaires.

Entre accessibilité et espoirs socioéconomiques – la symbolique de l’université

« [La] grenouille qui voulait se prendre pour le bœuf », dit une personne participante au sujet de Terrebonne, dont le projet de quartier universitaire fut largement favorisé dans le cadre de l’appel de candidatures. Cette phrase, en référence à la fable de La Fontaine, positionne la banlieue de Terrebonne vis-à-vis de la métropole montréalaise en ce qui concerne la vision urbaine, en passant par l’établissement de la desserte universitaire. Elle métaphorise entre autres la dominance d’un modèle de desserte centralisé qui favorise l’existence préalable d’un grand bassin de population et d’infrastructures environnantes visant à assurer la rentabilité d’une future succursale universitaire construite de toutes pièces. C’est-à-dire que pour être valable, un campus satellite doit nécessairement représenter une construction d’envergure et constituer un « milieu de vie » qui regroupe non seulement une offre de services universitaires, mais aussi une offre commerciale et une gamme de projets immobiliers, dont des logements étudiants.

Cette conception présente le péril de masquer les autres possibilités d’ancrage de l’université dans les localités de Lanaudière, car la forme du campus satellite est rapprochée au fond de ce qu’il devrait apporter à une localité selon des aspirations de développement socioéconomique, par exemple la hausse du taux de diplomation et l’adéquation des formations aux secteurs d’emploi. Un imaginaire spatial spécifique de la présence universitaire régionale est alors renforcé par une forme privilégiée d’implantation et confère à l’université une valeur symbolique d’attractivité pour les territoires. Malgré les aspirations à renforcer les liens avec les milieux économiques grâce à la recherche et à la formation, le fait que l’accent soit placé sur l’établissement et les possibilités d’expansion d’un bâtiment en lui-même dans l’imaginaire spatial révèle que l’étiquette « universitaire » demeure porteuse de valeur. Cet imaginaire entre en contradiction importante avec le besoin exprimé d’accessibilité de l’éducation dans la région de Lanaudière.

D’une part, l’imaginaire centralisé de la desserte évacue la problématique de mobilité intrarégionale, centrale aux enjeux de diplomation cités par les acteurs. Sans une réflexion approfondie sur la mobilité d’une éventuelle population étudiante à l’échelle de Lanaudière, et sans une prise en compte de l’emplacement centralisé, une offre universitaire qui se veut régionale risque en réalité de se limiter au périmètre de la région métropolitaine. D’autre part, le contexte de l’appel de candidatures a intensifié une dynamique de compétition interurbaine, ce qui fragilise les approches régionales en matière de desserte éducative.

Conclusion

Les rôles prescrits et les conceptions de l’université, véhiculés dans les discours émanant de l’appel de candidatures à l’étude, façonnent activement la région urbaine à la frontière métropolitaine à travers un paradoxe. Celui-ci oppose une vision unifiée de la région de Lanaudière autour du développement équitable de l’offre universitaire en faveur d’un rapprochement fonctionnel avec la métropole montréalaise. Les imaginaires spatiaux dominants, autour de l’implantation des campus satellites, influencent ce processus à travers une dimension symbolique, où la présence d’une université est perçue comme un apport qui valorise un territoire. Cela renforce les différences entre les municipalités et contribue au développement géographique inégal de l’enseignement supérieur au détriment d’une meilleure connexion intrarégionale.