Crédit photo : Eudes Henno

Crédit photo : Eudes Henno

Compte rendu – Les enjeux d’accessibilité dans la ville : entre exclusion sociale et équité spatiale

Dans le cadre du 85e Congrès de l’ACFAS
Mercredi 10 mai 2017
Université McGill
Ce colloque a été organisé par Paula Negron Poblete (Université de Montréal), Sébastien Lord (Université de Montréal) et Kevin Manaugh (Université McGill)

Auteure : Maude Cournoyer-Gendron

Introduction

L’accessibilité dans la ville est souvent traitée exclusivement sous une dimension géographique. Il s’agit alors d’avoir accès, dans une distance acceptable à un certain nombre de destinations (ressources ou services).  Ceci dépend d’une part, de la distribution spatiale de ces lieux et points de services et d’autre part, des conditions de déplacement que permettent les infrastructures de transport selon différents modes. Or, il existe de nombreuses iniquités d’accessibilité en ville, qui ont des conséquences sociales. Des différences d’accessibilité qui se manifestent selon les quartiers, dans la distribution des infrastructures de transport ; ou encore selon les groupes sociaux, puisque les femmes, les personnes âgées ou les immigrants récents peuvent avoir des accès à la mobilité différenciés. Finalement les différences d’accessibilité vont aussi varier selon les individus, ayant des capacités et des ressources variables dans leur mobilité. Devant certains obstacles ou certaines frictions liées à la mobilité, plusieurs stratégies individuelles ou collectives sont mises de l’avant : que ce soit dans la mobilisation du réseau social, par la modification des aménagements pour les rendre plus marchables, par la mise sur pied d’un nouveau service de transport, par les choix de trajets ou de modes de transport dans les déplacements.

Secteur Harmonie, Boucherville

Secteur Harmonie, Boucherville

L’Observatoire de la mobilité durable de l’Université de Montréal a organisé ce colloque sur les enjeux d’accessibilité dans la ville, permettant d’aborder tour à tour ces différents aspects de l’accessibilité, celle des disparités régionales et de la distribution spatiale des ressources, celle l’expérience de la mobilité différenciée chez plusieurs groupes sociaux et la question des obstacles et des stratégies dans la mobilité et l’accessibilité. Le colloque a été organisé par Paula Negron-Poblete, Sébastien Lord et Kevin Manaugh.

Trois principaux thèmes ont été abordés au fil de quatre blocs de présentations. Le premier thème, traité dans les blocs 1 et 2, concerne les questions de dynamiques régionales et des dynamiques d’exclusions. Il a été question à la fois des disparités/différences d’accessibilité au sein d’une même région métropolitaine, et de la considération de l’accessibilité en région et dans les villes moyennes. Le deuxième thème est celui de la perception du risque et de l’exclusion de certains groupes sociaux dans l’expérience de la ville en raison de leurs capacités de mobilité. Un thème abordé à travers le prisme du contrôle parental sur la mobilité des enfants, des images et pratiques liées aux différents modes de transport chez les adolescentes, et de la vulnérabilité des femmes âgées dans l’espace public. Le dernier thème est celui des stratégies déployées pour améliorer ou maintenir l’accessibilité, par l’utilisation dans le cas des aînés, du capital social et territorial pour pallier au capital corporel qui se détériore, par l’utilisation de la promenade et d’un audit de marchabilité, afin d’identifier certaines dimensions relatives à la perception, et par l’application du concept de visitabilité pour adapter les entrées de domicile pour les personnes à mobilité réduite.

Thème 1 - Dynamique régionale et exclusions (Partie 1)

duire les disparités sociales par l’amélioration de l’accès à l’emploi en transport en commun? Le cas de Toronto, Canada (2001-2011)

Geneviève Boisjoly (Université McGill, School of urban planning), Ahmed El-Geneidy (Université McGill, School of urban planning), Émily Grisé (Université McGill, School of urban planning)

Rue Sherbrooke Est, Montréal.

Rue Sherbrooke Est, Montréal.

Geneviève Boisjoly  a présenté les résultats du groupe de recherche TRAM. L’idée générale derrière la recherche était que l’accès au transport en commun permettrait d’améliorer la qualité de vie des populations, notamment en leur donnant un accès à des opportunités du point de vue des emplois, des services et des loisirs. La notion d’accessibilité est souvent mobilisée pour évaluer les bénéfices d’un investissement en transport collectif, mais dans ce cas-ci, l’objectif était d’étudier les effets de l’amélioration du transport en commun sur les quartiers et notamment sur les conditions socioéconomiques des habitants. Les chercheur-e-s se sont intéressés à la notion d’accessibilité relative — qui correspond ici au nombre d’emplois à moins de 45 minutes de déplacement en transport en commun — et à sa variation entre 2001 et 2011, mis en lien avec des données socioéconomiques, notamment avec un indice de défavorisation et un indice de gentrification.

À travers une analyse de régression linéaire, les chercheur-e-s ont regardé les liens entre la variation de l’accessibilité relative des secteurs de recensement de la région de Toronto (pour 2001 et 2011) et différentes variables socioéconomiques, spécifiquement, le revenu médian, le taux de chômage, le pourcentage d’immigrants récents (moins de 5 ans) et le pourcentage des ménages qui utilisent plus de 30 % de leur revenu pour le logement.

Les résultats de la recherche démontrent, entre autres, que dans le cas des secteurs de recensement défavorisés, une augmentation de l’accessibilité relative signifie une augmentation du revenu médian et une diminution du taux de chômage (et ce, même en contrôlant l’indice de gentrification). Ceci permettrait de conclure que le transport collectif peut être utilisé pour combattre la défavorisation.

Laccessibilité à l’emploi et les résultats sur le marché du travail parmi les immigrants à Montréal et Toronto

Elizabeth Pis (Université McGill, Département de géographie)

La recherche présentée par Elizabeth Pis porte à la fois sur la croissance de l’emploi dans les milieux suburbains, sur les dynamiques de croissance démographique (et de la part de l’immigration dans celle-ci), de même que sur la question de l’équité et l’accessibilité des transports. Le point de départ de la recherche est le mauvais appariement spatial, une hypothèse posée par Kain en 1968 sous le terme de spatial mismatch. Ceci signifie qu’il y aurait une localisation différenciée entre la population à faible revenu et les opportunités d’emplois qui leur sont offertes. Elizabeth Pis cherche donc à savoir : dans quelle mesure l’accessibilité spatiale influence la probabilité d’emploi de la population immigrante par rapport à la population née au Canada ? En effet, la population issue d’une immigration récente affiche un taux de chômage généralement plus élevé et devant une certaine tendance à la ségrégation résidentielle et une plus grande dépendance de cette population aux systèmes de transport collectif, il apparaît pertinent d’explorer les liens entre ces variables.

Pour ce faire, un modèle logistique multiniveau sera utilisé, ce qui permettra de considérer à la fois les données provenant des individus et celles relatives aux quartiers (secteur de recensement). L’objectif de la recherche est de comprendre le phénomène du chômage en référence à l’accessibilité spatiale et au contexte social.

Les résultats présentés étaient de nature descriptive, puisqu’il s’agit ici de la première étape d’un travail de maîtrise. Ces derniers montrent que dans le cas de Montréal, la cartographie de l’accessibilité relative ne correspond pas à la cartographie des taux de chômage, alors que dans le cas de Toronto, les cartographies du chômage et de l’accessibilité s’apparentent un peu plus.

Vieillir mobile en ville moyenne : l’influence des enjeux régionaux

Paula Negron Poblete (Université de Montréal, École d’urbanisme et d’architecture de paysage), Sébastien Lord (Université de Montréal, École d’urbanisme et d’architecture de paysage)

Cette communication présente certains des résultats du projet Vieillir au Québec, réalisé dans le cadre d’un programme d’Actions concertées du FRQSC. Dans un contexte de vieillissement de la population qui s’accélère, les villes sont interpelées afin d’aménager des environnements favorables aux aîné-e-s, et notamment pour faciliter un vieillissement actif : créer des environnements propices à la marche, s’assurer de la présence de destinations accessibles, augmenter le sentiment de sécurité. Il est possible de faciliter la marche par des interventions sur l’environnement bâti, que ce soit avec la présence de trottoirs, du mobilier urbain (bancs, rampes), d’arbres ou d’autres considérations esthétiques, et en éliminant les nuisances (les conflits avec les automobilistes et autres usagers de la route).

Joliette3

Centre-ville de Joliette

Vieillir à l’extérieur des grands centres urbains signifie souvent un plus grand isolement géographique, un contexte économique parfois plus précaire (déclin de la rue principale), un accès aux services de santé plus difficile et la quasi-absence de transport collectif. La question principale de cette recherche est de savoir quels sont les enjeux pour les aîné-e-s des villes moyennes? En s’intéressant à des secteurs précis des villes de Gatineau, Joliette et Shawinigan, les chercheur-e-s ont identifié les éléments de confort (trottoirs, obstacles) et d’attractivité (diversité de destinations) à l’aide d’un audit urbain, pour ensuite aller rencontrer des aîné-e-s des secteurs étudiés afin de connaître leur relation au chez-soi et la place que prend la mobilité dans leur quotidien.

Les résultats de la recherche indiquent que dans les villes moyennes, il est difficile de combiner des environnements à la fois confortables et attractifs, la plupart des secteurs étant soit l’un, soit l’autre. Ce qui donne une marchabilité qui est moyenne, dans son ensemble. Aussi, il s’avère que pour les aîné-e-s, la marche est beaucoup plus récréative qu’utilitaire. Même si la distance permet d’accéder à des commerces et à des points de services, l’environnement bâti ne s’y prête généralement pas. Finalement, la mobilité des aînés dépasse largement le territoire municipal, pour s’inscrire davantage dans une échelle régionale. L’autonomie des personnes âgées dans ces territoires passe donc par l’utilisation de l’automobile ou une forte implication du réseau social.

Thème 1 - Dynamique régionale et exclusions (Partie 2)

Accessibilité et qualité de vie des personnes âgées : quelles différences entre centres urbains et périphéries? Le cas du Luxembourg

Philippe Gerber (LISER), Camille Perchoux (LISER, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research), Olivier Klein (LISER, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research), Sylvain Klein (LISER, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research), Basile Chaix (INSERM [Institut National de la santé et de la recherche médicale], Paris, France), Yan Kestens (CR-CHUM [Centre hospitalier de l’Université de Montréal])

Personnes âgées, Lyon. Photo du domaine public CC0

Personnes âgées, Lyon. Photo du domaine public CC0

La communication a fait état de travaux réalisés dans le cadre du projet CURHA (Contrasting urban context in healthy aging) qui réunit des chercheur-e-s du Luxembourg, de la France et du Québec et qui porte sur l’accessibilité, la mobilité et la qualité de vie des personnes âgées. Le constat de départ est que plus les individus avancent en âge, moins ils se déplacent, peu importe le moyen de transport. La mobilité quotidienne est ici étudiée selon les caractéristiques individuelles. Le cas présenté ici est celui du Luxembourg, où la proportion de la population âgée reste stable, mais augmente en nombres absolus.

La question centrale de cette présentation était voir de quelle façon la mobilité (et la motilité) quotidienne influence le bien-être et le vieillissement en santé des personnes âgées? Le cadre conceptuel de la recherche est celui de la motilité, telle que définie par Vincent Kaufmann, qui met l’accent sur les questions de l’accès (potentiel de déplacement possible selon des critères d’espace et de temps, de barrières et de conditions de déplacement), celle des compétences (capacités physiques et acquis nécessaires pour réaliser les possibilités de déplacement) et celle de l’appropriation (acte de prendre possession à la fois de l’accès et des compétences qui va déterminer comment les individus se déplaceront). À cela, les chercheur-e-s ajoutent la question du bien-être hédonique (utilité et plaisir immédiat) et eudémonique (autoréalisation et autodétermination de soi).

L’objectif poursuivi est de construire un modèle quantitatif de la motilité qui tient compte de l’influence entre variables, qui permet ainsi de contrôler la covariance entre les sous-concepts de la motilité et de mesurer leurs effets directs ou indirects. Avec un modèle d’équations structurales, il est possible de tenir compte simultanément des différents liens entre les variables pour ainsi améliorer le modèle théorique proposé.

Forme urbaine, mobilité durable et accès à une alimentation saine

Pierre Gauthier (Université Concordia, Département de géographie, urbanisme et environnement), Jing Xie (Université Concordia)

Ce travail de recherche est une analyse du lien entre la forme urbaine et l’accès à une alimentation saine. Il s’inscrit dans un projet de recherche plus large sur la caractérisation du bâti résidentiel du Grand Montréal, tenant compte de la morphologie, de la forme et des pratiques et usages du territoire.

Pierre Gauthier présente d’abord une analyse du bâti résidentiel et de la distribution spatiale des établissements commerciaux vendant des fruits et légumes frais. Une analyse de la localisation et de l’accessibilité de ces établissements a ensuite été réalisée pour établir des aires de chalandise pouvant être couvertes avec 10 minutes de temps de déplacement selon trois modes de transport – la marche, le vélo et bimodal (marche et autobus). L’intérêt de la recherche réside notamment dans sa contribution de nature méthodologique, par l’analyse morphologique faite et l’utilisation des systèmes d’information géographique.

Les résultats de la recherche montrent que la densité résidentielle est corrélée positivement avec l’offre commerciale. Toutefois, les petits établissements sont surtout présents dans les aires de voisinage denses alors que les grands établissements sont davantage localisés le long des grands axes de transport. Par ailleurs, il faut souligner que la totalité des grands établissements est située à moins de 100 m d’un arrêt d’autobus (90 % pour les petits établissements). Les fruits et légumes frais sont accessibles en 10 minutes de marche pour un peu moins des trois quarts des logements de l’île de Montréal, alors que cela grimpe à 97 % si le déplacement de 10 minutes se fait à vélo, et à 89 % des logements si on calcule une combinaison marche-autobus.

L’autoroute Ville-Marie : entre vision monumentale et exclusion sociospatiale

Aliki Economides (Université de Montréal, École d’architecture)

Secteur de l'Autoroute Ville-Marie, avant la destruction. 1963 Crédit photo : Archives de Montréal

Secteur de l’Autoroute Ville-Marie, avant la destruction. 1963 Crédit photo : Archives de Montréal

Partant d’une perspective issue du domaine de l’architecture et de l’histoire de l’architecture, la communication présentait un questionnement portant sur les valeurs qui sous-tendent et qui sont incarnées par l’environnement bâti. Cette réflexion était alimentée par le cas de la construction de l’Autoroute Ville-Marie (720) au cours des années 1970. Cette construction s’est déroulée dans un contexte où plusieurs grands projets d’infrastructure ont été mis en branle dans les décennies précédentes. Pensons à l’autoroute métropolitaine, la Place des arts, le métro de Montréal ou l’Expo 67.

L’Autoroute Ville-Marie est promue par l’administration Drapeau dans le but de faire face à un problème qui est considéré comme urgent et menaçant pour la Ville de Montréal à cette époque : la congestion routière. Dès 1955, les problèmes de circulation sont mis de l’avant par les élus et les infrastructures autoroutières sont présentées comme un moyen afin de maintenir Montréal dans son statut de métropole du Canada. Cette nécessité des autoroutes, telle que présentée par l’administration Drapeau, justifie alors les investissements considérables qui y sont liés.

Or, cette intervention dans le tissu urbain viendra exacerber des problèmes sociaux existants, avec la destruction de quartiers populaires et le déplacement d’un grand nombre de personnes. De plus, dans les quartiers qui ne sont pas démolis, l’autoroute a constitué une barrière physique qui vient limiter les accès, qui vient créer des espaces résiduels et qui bloque la vue. Ceci témoigne des lacunes d’une approche de planification qui ne prend pas en compte les dimensions sociales.

Le projet fait toutefois face à une mobilisation de la part des citoyen-ne-s par le biais de la création d’un front commun de luttes sous une organisation parapluie. Si la mobilisation n’a pas réussi à freiner le projet d’autoroute, elle aura permis d’amener un débat sur des enjeux urbains d’importance comme la participation citoyenne, la justice sociale et l’accès à un processus démocratique.

Thème 2 - Perceptions de risque et exclusions

« Mes parents ne me laissent pas » : le contrôle parental comme déterminant d’accessibilité

Crédit photo : Eudes Henno

Crédit photo : Eudes Henno

Juan Torres (Université de Montréal, École d’urbanisme et d’architecture de paysage)

Cette communication fait état d’une réflexion sur l’accessibilité dans la perspective du contrôle parental. À la suite de ce que Tracy MacMillan avance en 2005, la décision parentale semble être un pivot dans le comportement de l’enfant relativement à la mobilité : c’est le parent qui décide, par exemple, si l’enfant marchera ou non. Une décision qui découle de plusieurs facteurs relatifs à la forme urbaine, aux perceptions de danger, et aux normes sociales.

Cependant, parler de décision parentale sous-entend une fixité du moment, alors que l’enfant est en constante évolution et en processus de transformation. L’enfant est lui-même influencé par les facteurs énumérés, et va (éventuellement) coconstruire la décision avec ses parents. D’où la pertinence d’aborder l’enfance, et la mobilité dans l’enfance, comme un construit social, comme un élément qui se définit dans sa relation (évolutive) avec l’adulte.

Juan Torres souligne que la dynamique du contrôle parental est rythmée et progressive, selon différents moments charnières que sont les âges institutionnels (passage du service de garde à l’école primaire, puis au secondaire et finalement au collège). Ces âges charnières sont des moments de transformation de la part modale dans les trajets. En milieu périurbain, les adolescent-e-s font face à une plus grande friction dans leur déplacement, en raison des distances et des systèmes de transport collectif peu ou pas développé. Cette « friction » serait compensée par un accompagnement parental en voiture.

Des entretiens et focus groups menés dans le cadre de la mise sur pied d’un programme de taxi 12-17 à Sainte-Julie, indiquent que pour les parents, l’accompagnement est recherché puisqu’il permet de passer du temps seul avec leurs enfants, que cela soit associé à leur obligation de parentalité (norme sociale) ou associé à un sentiment de sécurité. Ceci peut expliquer en partie la faible adhésion et le lent démarrage du programme de taxi 12-17 à Sainte-Julie, qui n’est utilisé qu’en dernier recours.

Ainsi, le cas de Sainte-Julie montre que l’accessibilité (et l’inaccessibilité) ne peut être comprise qu’en termes de friction et qu’elle est un outil relationnel qui module les rapports parents-enfants. Pour les parents, maintenir le contrôle parental par l’inaccessibilité permet de prolonger la dépendance, d’affirmer une identité parentale en adhérant à une norme sociale. Du côté des adolescent-e-s cela apparaît comme une situation de captivité à laquelle il est tout de même possible de s’habituer (vu les avantages d’avoir un chauffeur personnel).

Genre et déplacements quotidiens : le cas des adolescents européens

Emmanuel Ravalet (EPFL — École Polytechnique fédérale de Lausanne), Guillaume Drevon (Laboratoire de sociologie urbaine [LASUR], École Polytechnique Fédérale de Lausanne [EPFL]), Vincent Kaufmann (Laboratoire de sociologie urbaine [LASUR], École Polytechnique Fédérale de Lausanne [EPFL])

La communication présentée par Guillaume Drevon s’inscrit dans un projet de recherche sur la mobilité des jeunes en Europe. Un des constats approfondis dans cette présentation est qu’il y a un effet de genre significatif dans la mobilité chez les 14-17 ans. La recherche s’est faite à partir d’une analyse des messages twitter des jeunes afin de faire un cadrage sémantique de leur mobilité. Ensuite, une enquête web par questionnaire a été réalisée dans cinq pays (France, Espagne, Italie, Allemagne et Royaume-Uni; n=8011). Finalement, des entretiens semi-directifs ont été faits avec des adolescents et des parents (n=28, à Grenoble).

Le but de la recherche était entre autres de documenter les images associées aux modes de transport selon le genre, de savoir quelles stratégies sont mises en place et mieux comprendre le rôle des parents dans les comportements et les images relativement au transport.

La littérature sur le sujet indique que la mobilité des adolescentes se distingue, car ces dernières acquièrent une autonomie de déplacement de façon plus tardive, elles ont un rapport différencié aux espaces publics, leurs déplacements se font principalement en groupes, et elles utilisent moins les modes doux comme la marche et le vélo. Des différences entre les genres qui s’accentueraient dans les catégories sociales populaires.

Les résultats montrent qu’effectivement, il y a des images différentiées selon le genre pour les différents modes de transport : la voiture est considérée comme pratique et confortable chez les filles alors que les garçons mentionnent la pollution. Le transport en commun est considéré positivement chez les garçons (car écologique) et négativement chez les filles (promiscuité et danger). Le vélo est jugé être un mode rapide et confortable par les garçons alors qu’il apparaît comme inconfortable et dangereux par les filles. De plus, le sentiment d’insécurité est plus important chez les filles, surtout pour les déplacements en soirée et en transport en commun.

Il apparaît aussi que l’autonomie des adolescentes est plus limitée par les parents du point de vue des autorisations de sortie en soirée, de l’horaire, des espaces d’activités et des fréquentations.

Mobilité, âge et genre : les vulnérabilités des femmes âgées dans l’espace public

Karine Picard (Université de Montréal, École d’urbanisme et d’architecture de paysage)

Karine Picard souhaite éclairer la question du vieillissement sous l’angle du genre et des espaces publics à Puebla au Mexique. Le vieillissement est un phénomène présent à l’échelle mondiale, et dans plusieurs villes du Mexique, les femmes âgées sont plus nombreuses que les hommes. La mobilité des personnes âgées va souvent avec un déclin des capacités physiques et cognitives, qui sont associées à l’adoption de stratégies afin de maintenir la mobilité. Or, au Mexique se pose une situation problématique : d’un côté, les espaces publics sont rarement dotés d’aménagements adaptés aux aînés, et de l’autre, être une femme dans l’espace public soulève la question de la sécurité et du sentiment d’insécurité dans la ville.

L’objectif de cette recherche de maîtrise est de documenter les changements liés au vieillissement dans les destinations, les modes de transport et les formes de déplacement chez les femmes âgées de trois quartiers (El Refugio, La Hacienda et Gabriel Pastor) à Puebla. Les questions posées concernent les modes de déplacement, les barrières existantes, et les stratégies pour maintenir la mobilité au quotidien. Il s’agira ainsi de savoir quelles sont limites associées aux déplacements, les choix faits selon les perceptions de sécurité, la conscience spatiale du risque chez les femmes adultes et les changements avec le vieillissement. Quels éléments de la relation avec le territoire affectent la mobilité et lesquels sont liés au genre ou au vieillissement? La recherche permettra ainsi d’envisager des solutions du point de vue de la sécurisation des espaces publics et de l’amélioration de l’expérience des femmes âgées dans la ville.

Thème 3 - Des stratégies pour une meilleure équité

La mobilisation des capitaux corporel, social et territorial dans les mobilités quotidiennes des personnes âgées

Isabel Wiebe (INRS — UCS — Institut national de la recherche scientifique — Urbanisation Culture Société), Anne-Marie Séguin (Institut national de la recherche scientifique — UCS)

Boulevard de Montarville, Boucherville

Boulevard de Montarville, Boucherville

La question des mobilités quotidiennes des personnes âgées est ici envisagée par le biais du capital corporel, du capital social et du capital territorial. Le capital corporel correspond aux usages et pratiques des lieux quotidiens qui exigent des capacités dites « normales ». Avec l’âge, le corps devient un facteur déterminant pour l’expérience de l’espace et de l’expérience de la mobilité. Le capital corporel se restreint avec l’âge, en raison de différentes incapacités, et vient compromettre la capacité à se déplacer. Le capital social se réfère aux écrits de Bourdieu, et est entendu ici comme l’ensemble des ressources mobilisables et mobilisées pour atteindre un objectif. Il est lié à la possession d’un réseau de ressources, qui dans le cas des personnes âgées, est souvent mobilisé pour de l’accompagnement et est généralement composé des enfants, mais aussi des frères et sœurs et des ami-e-s et voisin-e-s. L’étendue du réseau social et le niveau de ressources possédées par les membres du réseau est toutefois en déclin avec la vieillesse. Le capital territorial est composé de l’ensemble de ressources que contient le territoire où vit un individu, et qui est mobilisable ou mobilisé par celui-ci afin de faciliter la mobilité. Il est possible de penser, à l’échelle micro à une rampe d’accès, et à l’échelle méso, à un service de transport adapté.

Les objectifs de la recherche sont de documenter les expériences de mobilités des personnes âgées vivant dans le quartier Rosemont à Montréal, et d’identifier les obstacles qui les touchent. La recherche repose sur des données provenant de trois sources, d’abord une collecte de données par questionnaire, ensuite la tenue d’entretiens semi-directifs et finalement, par des parcours avec GPS.

La recherche démontre que le capital corporel se détériore avec l’âge, ayant des effets sur la mobilité. Par exemple, les personnes âgées ont témoigné de certaines incapacités ou certains problèmes de santé telles qu’une diminution des capacités visuelles ou auditives, une perte d’équilibre, la fatigue, une plus faible force musculaire, etc. Le capital social de longue date s’étiole en raison du réseau qui se restreint, et de la perte de ressources de ce réseau (perte de permis de conduire par exemple). Le regard posé sur le capital territorial montre que des éléments moins connus, comme l’absence de toilette ou d’espace à l’abri des intempéries, une meilleure signalisation et la présence de bancs le long du trajet, permettraient d’améliorer et de favoriser la mobilité des personnes âgées. En conclusion, chez les personnes âgées, le capital social et territorial permettent de compenser pour palier à un capital corporel réduit et rendent la mobilité possible. Il est donc important de considérer, notamment, la foule de petits détails qui rendent le territoire marchable, praticable pour les aîné-e-s.

Pas à pas vers un audit vivant de la marchabilité

Geoffrey Battista (Université McGill, Département de géographie,), Kevin Manaugh (Université McGill, Département de géographie)

L’étude de la marchabilité se fait souvent à partir de grands ensembles de données géospatiales et statistiques, ou encore par le biais d’audits urbains et de mesures sur le terrain. Or, une approche avec ces grands ensembles de données ne permet pas toujours de prendre en compte la dimension de l’échelle humaine de l’expérience de la marche – par exemple, les indicateurs relatifs au nombre de crimes ne sont pas de bonnes données indirectes des perceptions locales du crime.

L’objectif de la recherche en cours, est donc d’incorporer l’espace social dans la mesure de la marchabilité, à travers des entrevues à pied qui permettent de recevoir des informations in situ sur ce qui est vu et entendu, pour à terme élaborer un SIG qualitatif du quartier d’étude (Parc-Extension, à Montréal). La collecte de données se fait en deux temps, d’abord des entrevues fixes/sédentaires/non mobiles, pour ensuite faire des entrevues à pied avec une caméra Go Pro (n=30). Cette étude de Parc-Extension, permettra de se servir du savoir local afin de révéler et de cartographier des informations qui ne sont pas accessibles autrement : par exemple, la présence d’une épicerie éphémère ou le fait que certains bars et cafés qui sont accessibles géographiquement, ne le sont pas totalement (tous et toutes ne sont pas les bienvenus).

L’élaboration d’un tel système d’information géographique qualitatif permettra d’avoir une meilleure compréhension de ce qui est identifié comme un problème pour la marchabilité, quels endroits sont considérés comme dangereux, et pourra servir à mettre en place des infrastructures pour favoriser la marche dans le quartier.

Pour un Québec « visitable » : l’application du concept de « visitabilité » chez les aînés

Ernesto Morales (CIRRIS — Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale), Antoine Guérette (Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale), Christelle Montreuil (Institut de réadaptation en déficiences physiques de Québec), François Routhier (Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale), Jacqueline Rousseau (Institut universitaire de gériatrie de Montréal)

Dans cette recherche financée par le Ministère de la Famille, l’équipe de chercheur-e-s s’est intéressé à la question de l’accès aux bâtiments par des personnes à mobilité réduite dans un contexte où la majeure partie des maisons et bâtiments, au Québec, est dotée de quelques marches à l’entrée.

Crédit photo : Eudes Henno

Crédit photo : Eudes Henno

Le but était donc de trouver des solutions relativement aux problèmes que posent ces marches en matière d’accessibilité. Le concept de visitabilité a été mis de l’avant pour offrir une solution moins onéreuse que l’accessibilité universelle. La visitabilité signifie que le bâtiment peut être visité par une personne à mobilité réduite, que ce soit pour quelques heures ou quelques jours, et implique une entrée sans seuil, une porte plus large et une salle de bain à l’étage, par exemple. La visitabilité ne signifie pas que le bâtiment est maintenant habitable pour une personne à mobilité réduite, mais permet tout de même un accès, ce qui est une contribution significative. L’objectif premier était d’appliquer ce concept aux nouvelles constructions, par des modifications ciblées qui permettraient de réduire les coûts (par exemple, creuser un peu plus pour que le sous-sol soit entièrement sous terre, permettant ainsi d’éliminer les marches). Le second objectif était de trouver une solution pour les entrées existantes.

Des rencontres avec les usagers ont été faites dans le but d’identifier les problèmes rencontrés et de discuter des solutions, pour en venir à faire un travail de co-conception. Les éléments principaux évoqués étaient que les solutions doivent être moins dispendieuses (qu’une plateforme élévatrice), doivent être plus discrètes (qu’une rampe de façade) et doivent être adaptées pour les quatre saisons, notamment pour l’hiver.

Suite à l’évaluation de différents systèmes qui pourraient répondre aux critères, une solution qui utilise le mouvement des roues des fauteuils pour faire monter ou descendre la plateforme a été proposée. Toutefois, ce système fonctionnerait seulement avec les fauteuils mécaniques. Pour surmonter cet obstacle, l’idée proposée a été d’intégrer un moteur de perceuse pour actionner le mécanisme dans le cas des fauteuils manuels. La construction d’un prototype pour ce système imaginé se fera dès cet été et il sera testé à l’hiver.