Frederick Nadeau et Denise Helly Crédits photo : Catherine Paquette, 2019
Frederick Nadeau et Denise Helly Crédits photo : Catherine Paquette, 2019Frederick Nadeau et Denise Helly Crédits photo : Catherine Paquette

Compte rendu – Les midis de l’immigration (Frédérick Nadeau et Denise Helly)

Les objets de la haine : que nous révèlent-ils sur l’extrême droite ?

Conférence de Denise Helly, professeure à l’INRS et de Frédérick Nadeau, étudiant au doctorat en études urbaines à l’INRS dans le cadre des Midis de l’immigration

28 mars 2019, INRS

Compte rendu par Jeanne LaRoche, en collaboration avec Catherine Paquette, étudiantes à la maîtrise en études urbaines à l’INRS et membres de l’équipe des Midis de l’immigration

Bien que l’on observe depuis quelques années l’émergence de différents groupes associés à l’extrême droite, on s’intéresse peu aux nuances sous-tendant les idées prônées par ces groupes ainsi qu’aux réalités et motivations des personnes les intégrant. Quelles sont les idéologies rattachées à ces groupes et quelles représentations de l’ordre social véhiculent-ils? Quelles sont leurs principales cibles idéologiques et est-il possible de dégager des modèles communs quant aux formes que prennent ce que l’on pourrait appeler les objets de la haine? Comment peut-on lier groupes d’extrême-droite et promotion de la violence et de la haine?

C’est dans le but de contribuer à ces réflexions que le candidat au doctorat en études urbaines à l’INRS Frédéric Nadeau et la professeure et anthropologue Denise Helly ont partagé certains de leurs résultats de recherche lors de la conférence intitulée Regards croisés sur les objets de la haine organisée par les Midis de l’immigration à l’INRS-UCS, le 28 mars 2019. Partant du postulat que les objets de la haine participent à la configuration des représentations du monde social et politique, les conférencier.es ont voulu illustrer la complexité du phénomène de l’extrême droite.

Quels objets de la haine?

Couvertures du magazine « Le Harfang »

En réalisant une analyse de contenu du magazine Le Harfang de la Fédération des Québécois de souche (FQS), Frédéric Nadeau a cherché à comprendre quelles sont les principales cibles visées par la FQS et pour quelles raisons.  À partir du contenu de 87 articles tirés de six numéros de la revue (3 plus anciens et 3 plus récents), il a identifié sept catégories de cibles qui représentent les principaux objets de la haine pour la FQS : les élites, l’immigration, la gauche, le capitalisme, les médias, les Juifs, ainsi que l’Islam.

Selon Nadeau, chacun de ces groupes ciblés par l’extrême droite se voit accusé de vouloir participer au sabotage de la culture occidentale : les médias, par exemple, en étant des organes de propagande, ou la gauche (groupes antiracistes, anarchistes, environnementalistes, féministes, universitaires, nationalistes de gauche, artistes) qui tendraient à défendre les institutions et à être au service des élites politiques. À ces dernières, on reproche leur antinationalisme, de participer activement ou passivement à l’effacement de la culture québécoise en favorisant les minorités et d’entretenir une fausse démocratie, notamment par des propagandes via les médias. « Chacune des catégories visées prend sens dans ses interactions avec une autre et c’est ce cadre idéologique qui permet de supporter une vision du monde globale », explique Nadeau.

Par ailleurs, alors que les débats actuels auraient tendance à nous faire croire que l’Islam est au cœur des préoccupations des groupes d’extrême droite, F. Nadeau souligne que l’Islam, du moins pour un groupe comme la FQS, est une cible quasiment absente explicitement de sa trame narrative, ce qui la place en dernière position des sept cibles identifiées par le chercheur dans son analyse de contenu.

Les autres travaux du chercheur, qui a aussi adopté une approche ethnographique pour comprendre ces groupes de plus près, lui ont aussi permis d’appuyer ces constats sur les sept catégories faisant partie de l’argumentaire de l’extrême droite.

L’anti-pluralisme comme assise idéologique des groupes d’extrême droite

De son côté, Denise Helly, anthropologue et professeure titulaire à l’INRS, se penche sur l’univers des personnes qui commettent des crimes haineux et se demande particulièrement  s’il existe une « matrice de sens » de l’extrême droite. En reconnaissant d’abord qu’il n’est pas possible d’esquisser un portrait de l’univers des mouvements politiques dits extrêmes à partir des statistiques sur les crimes haineux, D. Helly nous renseigne sur les deux cadres de référence permettant d’appréhender les crimes haineux : (1) la valorisation et la légitimité de la violence verbale et physique et (2) la haine du pluralisme sous diverses formes, que cette haine soit basée sur le phénotype, la religion, la culture, ou les pratiques sexuelles.

De ces cadres de référence, D. Helly en déduit que les mouvements de l’extrême droite sont fondamentalement antidémocratiques, puisque la démocratie puise ses sources dans la reconnaissance même d’intérêts pluriels. En d’autres mots, pluralisme et démocratie ne font qu’un, alors que les groupes haineux seraient en faveur de la domination d’une majorité culturelle, s’opposant ainsi aux droits des minorités.

Contextualiser l’engagement individuel au sein des groupes haineux

Denise Helly, dans une volonté d’illustrer qui sont ces personnes faisant partie de l’extrême-droite, ajoute qu’il est dangereux de faire une lecture de l’extrême droite trop simpliste, qui suggèrerait que les commettants de crimes haineux ne sont que de gens marginaux ou exclus. Cette compréhension de l’extrême droite aurait pour effet de dépolitiser le phénomène. Au contraire, il est possible d’interpréter la montée des groupes de l’extrême droite comme un changement politique et ultimement comme un risque. Ces gestes haineux ne s’inscrivent donc pas sur un registre psychiatrique ou marginal, mais bien dans un univers public, qui est dorénavant défendu par certains politiciens sur la scène politique.

Par ailleurs, l’analyse des discours des membres de groupes d’extrême droite ne suffit pas à comprendre leur vision du monde, avance Frédéric Nadeau, pour qui les émotions ont aussi une place importante dans les motivations politiques qui animent les membres de ces groupes. Quelles émotions sont donc au cœur de la haine? F. Nadeau constate que le sentiment d’être victime d’injustice, l’impuissance et le déni de reconnaissance fondent souvent la trame émotionnelle de l’engagement au sein des groupes haineux.

Les multiples facettes de l’extrême droite

Pour conclure, ce Midi de l’immigration, nos invités nous invitent  à complexifier notre analyse de l’extrême droite en l’envisageant comme une vaste famille idéologique. Pour mieux appréhender le phénomène et éviter l’amalgame, nous devons par conséquent élargir nos perceptions des objets de la haine dans le but de décortiquer les idéologies multiples qui sous-tendent l’engagement des individus au sein des groupes haineux. La poursuite des recherches en études urbaines à ce sujet permettrait ainsi de saisir les multiples facettes de ce mouvement, dont les ramifications se situent à de multiples échelles politiques et citoyennes à la grandeur de la province.

Podcast

 

*Les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration. Depuis 2016, cette initiative étudiante permet de réaliser 6 rencontres par année, 3 à l’automne, 3 à l’hiver.