Hommage à la mémoire de Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de Janeiro, présenté par Diana Helene Ramos, post doctorante de l’Université fédérale de Rio de Janeiro. À l’arrière-plan, Marie-Neige Laperrière (UQO), l’une des organisatrices du colloque. Photo par Antoine Morin.
Compte rendu
Perspectives féministes sur le logement des femmes
15 et 16 mai 2018, UQAM
Par Sarah-Maude Cossette et Mathilde LaRoche, étudiantes au baccalauréat en géographie à l’UQAM
Les 15 et 16 mai 2018, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le colloque Perspectives féministes sur le logement des femmes s’est inscrit dans la mouvance actuelle des luttes des femmes pour le droit au logement. L’intérêt marqué des acteur.trice.s des milieux militants, communautaires et universitaires envers ces enjeux illustre un regain significatif pour les luttes féministes en logement. Dans le cadre du colloque, celles-ci furent abordées sous l’angle territorial allant de Montréal au Nord canadien, afin de représenter la diversité des personnes marginalisées par le système locatif dominant. Cet événement a fait écho au colloque de 1987 ayant pour titre « Femmes et logement : un dossier à ouvrir ». Plus de 30 ans plus tard, les mêmes thèmes principaux, soient la discrimination et le harcèlement, étaient au cœur des discussions.
Ces enjeux sont aujourd’hui portés par une réflexion intersectionnelle, celle-ci étant primordiale pour développer une vision holistique et inclusive de la réalité d’un trop grand nombre de personnes pour qui les besoins en matière de logement ne sont pas comblés et dont les droits sont bafoués. En effet, le but de ce colloque était de permettre la rencontre entre celles et ceux qui visent à construire une perspective féministe et intersectionnelle en ce qui a trait au logement des femmes, incluant des chercheur.e.s, professionnel.le.s et praticien.ne.s de différents milieux. Afin de construire un agenda de recherche commun, le colloque était structuré de manière à présenter exhaustivement chacun des axes centraux des enjeux locatifs grâce à des panels thématiques de quatre à huit conférencier.ière.s. Ce fut rendu possible grâce à l’initiative d’un comité organisateur et scientifique rassemblant Nathalie Blais (Université de Montréal), Marie-Ève Desroches (Institut national de la recherche scientifique), Marie-Neige Laperrière (Université du Québec en Outaouais), Anne Latendresse (Université du Québec à Montréal), Katia Lemieux (Université du Québec à Montréal) et Marie-Christine Tremblay (Université du Québec à Montréal).
C’est dans une volonté de partager le savoir, les expériences et le vécu de tous.tes que se sont rassemblées plus d’une centaine de personnes au Cœur des sciences de l’UQÀM. Dans une perspective d’accessibilité, l’inscription au colloque garantissait un accès gratuit à toutes les conférences, à des repas sur l’heure du midi et à un service de gardiennage. Dès le début, un effort d’écoute respectueuse, de compassion et de compréhension mutuelle s’est installé de manière palpable au sein des participant.e.s.; contexte nécessaire à la reconnaissance territoriale de Montréal comme étant un territoire autochtone non cédé, celle-ci étant indispensable à l’ouverture d’un tel colloque. Empreint d’une motivation marquée de comprendre la situation complexe des femmes en logement dans toutes ses subtilités, l’événement soulignait l’importance de l’essence intersectionnelle au sein de chaque discussion.
Certaines initiatives ont particulièrement marqué le déroulement de l’événement, telles que le tableau de la parole, symbole d’une volonté d’échange qui se perpétue dans le temps. Sa présence avait pour objectif de permettre un espace d’expression ouvert à toutes et tous afin d’enrichir et de relancer la discussion, au-delà de l’espace-temps du colloque. Aussi, toutes et tous se souviendront de l’hommage rendu à Marielle Franco, militante afro-brésilienne assassinée à Rio de Janeiro le 14 mars 2018. Prononcé par Diana Helene Ramos, également militante du milieu universitaire au Brésil, le témoignage émouvant et la minute de silence qui s’ensuivit soulignaient l’implication de la politicienne au cœur des luttes sociales de son pays, ainsi que l’injustice frappante de son décès. C’est ainsi que fut amorcé le colloque.
C’est Adrienne Jérôme, cheffe autochtone de la communauté de Lac-Simon, qui fut invitée à prononcer la conférence d’ouverture, mettant ainsi de l’avant les enjeux liés au logement des femmes des Premières Nations. Loin d’être une préoccupation anodine, le logement est au cœur des grands défis des communautés autochtones. Madame Jérôme dénonça l’inaction, le manque d’écoute et de prise en considération des problèmes de logements par les acteurs gouvernementaux : « le gouvernement encore, qui met plein d’argent dans l’éducation, mais pas dans le logement. […] Où veux-tu que les enfants fassent leurs devoirs ? La maison est surpeuplée. » En effet, le surpeuplement est à l’origine de nombreux maux au sein des milieux de vie autochtones. La cheffe a insisté sur les difficultés amplifiées par le phénomène omniprésent du surpeuplement, notamment la violence faite aux femmes et le manque d’issue pour celles-ci et leurs enfants : « parfois aussi les femmes deviennent des femmes silencieuses, elles deviennent des femmes qui [ne] veulent pas quitter la maison pour justement [ne] pas [la] perdre, [ne] pas perdre ses enfants. Des fois les femmes subissent de la violence, […] on dirait qu’on les met dans le silence ». Le droit au logement est un droit humain fondamental présentement altéré par la nonchalance gouvernementale, creusant ainsi la dichotomie entre les conditions de vie des peuples autochtones et allochtones. En guise de conclusion, elle a souligné la patience et la résilience des Premières Nations face à la situation actuelle. Plus tard, des liens évidents se sont tissés entre sa présentation et les recherches présentées par d’autres intervenant.e.s au sujet des conditions de logements autochtones, comme lors de la conférence de Caroline Hervé et Pascale Laneuville quant à la « quête d’autonomie résidentielle des femmes Inuites du Nunavik » et celle de Julie Cunningham traitant de l’itinérance des femmes autochtones de Montréal à Val-d’Or. Cette ample considération des perspectives autochtones a capté l’attention de la journaliste Lisa-Marie Gervais, qui publia dans Le Devoir un article relatant certains enjeux soulevés : « Femmes inuites : le surpeuplement fait des ravages »[1].
Aux enjeux autochtones se sont ajoutées de multiples ramifications des oppressions liées au logement; de la violence et du harcèlement faites aux femmes dans le cadre locatif aux discriminations insidieuses, en passant par des conditions de logements intolérables et des politiques publiques encore inadaptées aux réalités des femmes. Sans la prétention d’une liste exhaustive des thématiques abordées, mentionnons l’intérêt porté envers des sujets généralement peu soulevés dans les discussions, notamment l’insécurité locative des femmes vieillissantes, le statut des femmes migrantes et travailleuses domestiques et la pluralité de l’itinérance des femmes allochtones. La reconnaissance des violences induites par chacune de ces circonstances a valu un deuxième article de Lisa-Marie Gervais dans Le Devoir : « Les femmes locataires victimes de violence sont mal protégées par la loi »[2]. De plus, les différents visages de l’oppression au sein du système locatif ont mis en lumière un concept primordial, celui du « chez-soi ». Ce dernier fut présenté sous l’angle du sentiment de bien-être d’une personne ou d’un groupe par rapport à un lieu d’habitation, soit un besoin et un droit qui devraient être considérés fondamentaux. Aussi fragile que nécessaire, ils sont trop souvent affectés par les situations oppressives mentionnées précédemment. Les diverses facettes de l’instabilité et de l’insécurité, telles que la violence, les tensions et le surpeuplement peuvent les mettre en péril. Plus concrètement, le sentiment du chez-soi est souvent brimé par les relations tendues entre propriétaires et locataires, ou entre conjoint.e.s; deux types de relations où peuvent s’installer des abus et des rapports de pouvoir dans l’espace locatif. La représentation du chez-soi s’étend dans l’espace pour dépasser le cadre de la « maison », surtout lorsqu’il est question de se sentir à sa place dans un certain contexte territorial. Pour les Premières Nations, la vision du chez-soi se construit selon des critères propres à leurs réalités : visibilité des cultures et des identités, participation à la gouvernance, accessibilité au territoire, sentiment d’appartenance aux milieux, pour n’en nommer que quelques-unes.
En somme, la mosaïque de thèmes abordés illustrait l’ampleur et la diversité des luttes féministes entourant la question du logement. Cette pluralité implique une réflexion constante quant à l’inclusivité dont nos recherches et nos discours font preuve afin de ne pas écarter le vécu de certains groupes, tels que les personnes ayant des problèmes de dépendances, les travailleurs.euses du sexe et les individus de la communauté LGBTQIA+, comme cela fut soulevé sur le tableau de la parole. La remarque fut rappelée par Diane Lamoureux, autrice de plusieurs œuvres féministes, dans son mot de fermeture, accompagnée de précisions quant aux concepts du chez-soi et de l’intersectionnalité. Elle a d’ailleurs soutenu la thèse de la multiplicité du chez-soi en affirmant que celui-ci « n’est pas un one-size-fits-all ». Madame Lamoureux a également souhaité souligner l’importance de ne pas faire de l’intersectionnalité une formule mathématique des oppressions : la perspective intersectionnelle induit « une prise dans le social » grâce à la connaissance de notre localisation, nous permettant de mieux comprendre nos capacités et notre légitimité à agir. Elle a terminé par une déconstruction du modèle de famille nucléaire, qui doit être pris en compte si l’on veut améliorer les situations locatives actuelles. Enfin, contribuant à la résistance et à la résilience des femmes, plusieurs organismes œuvrent à leurs côtés : le Y des femmes de Montréal (YWCA Québec), le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF), la Maison de Sofia à Saint-Jérôme et plusieurs autres. C’est ainsi que se constitue une perspective d’avenir optimiste pour les luttes au logement, ancrée dans un regain de la perspective féministe et des recherches sur le logement des femmes.
[1] Gervais, L.-M. (2018). Femmes inuites : le surpeuplement fait des ravages, Société, Le Devoir, 16 mai 2018
[2] Gervais, L.-M., (2018). Les femmes locataires victimes de violence sont mal protégées par la loi, Société, Le Devoir, 17 mai 2018