Capsule thématique

La mobilité active en temps de pandémie : considérations écologiques et enjeux de cohabitation

Anne-Marie D’Amours, étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’INRS
Raúl Garate, étudiant à la maîtrise en études urbaines à l’UQAM.

Janvier 2021

*Cette capsule a été réalisée dans le cadre du cours EUR8232 – Transformation de l’environnement urbain et qualité de vie, sous la supervision de Sophie L. Van Neste (INRS).

Introduction

La pandémie de Covid-19 pousse de nombreuses villes dans le monde à trouver diverses solutions de mobilité permettant de limiter les risques de propagation du virus. À Montréal, ces dispositifs se sont matérialisés par l’aménagement de corridors sanitaires et de nouvelles pistes cyclables le long de rues commerciales et passantes. Reconnu comme étant un moyen de transport efficace et écologique, le vélo connaît un regain de popularité depuis le début de la pandémie, et ce dans plusieurs villes du monde (Huang et al., 2020). D’ailleurs, à certains endroits, l’expérience positive des usagers de ces nouvelles voies cyclables sanitaires a poussé les municipalités à pérenniser ces installations, comme celles de la rue Rivoli à Paris, par exemple.

L’objectif de cette capsule est d’examiner les effets potentiellement transformateurs de la pandémie en termes de mobilité active, à Montréal comme ailleurs. Nous verrons d’abord dans quelle mesure ces nouvelles voies de mobilité active peuvent contribuer à l’atteinte d’objectifs de carboneutralité des villes, puis nous adresserons les enjeux de cohabitation intermodale posés par de tels aménagements.

Mobilité active et carboneutralité en temps de pandémie

Copenhague, Montréal, Reykjavik ou encore Paris: dans l’optique de réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre (GES), ces villes proposent d’ambitieux plans de carboneutralité. Ceux-ci font la part belle à la mobilité active en investissant dans l’ajout de nouvelles lignes de transport collectif ou encore dans la construction de pistes cyclables. Ces plans sont souvent motivés par l’atteinte d’un objectif de carboneutralité d’ici quelques décennies. Ainsi, le regain de popularité du vélo tombe à pic pour plusieurs villes désireuses de réduire leur empreinte carbone. D’un autre côté, la pandémie a aussi eu de lourds impacts sur les réseaux de transports publics qui ont vu leur achalandage diminuer drastiquement pendant les périodes successives de confinement. Le passage d’une grande partie de la population active au télétravail y est certes pour quelque chose. C’est toutefois la perception des réseaux de transport collectif comme lieux potentiels de contamination qui aurait fait pencher plusieurs de ses usagers pour la voiture personnelle, bien que cette crainte soit infondée selon différentes sources (Schwartz et al., 2020). Des études montrent qu’à ce jour, en effet, pratiquement aucune éclosion de la pandémie n’a été associée à un réseau de transport en commun.

Pour continuer à répondre à leurs objectifs de carboneutralité et contrebalancer ce recul de l’usage du transport collectif, les municipalités ont donc tout intérêt à proposer des alternatives de mobilité active qui soient attrayantes et sécuritaires pour ses usagers. Par exemple, certaines villes du Chili ont mis en place des aménagements permettant d’accommoder les piétons dans les rues les plus achalandées.

À Montréal, des voies d’accès sanitaires (VAS) ont été aménagées le long d’artères stratégiques et de nombreuses pistes cyclables temporaires ont été ajoutées pour la période estivale. Certains groupes de citoyens ont même fait pression pour que ces voies temporaires soient rendues permanentes, notamment les deux voies courant de chaque côté de l’avenue Christophe-Colomb, où la circulation automobile a également été réduite de moitié (retrait d’une voie de chaque côté).

Bien que planifié avant l’arrivée de la Covid-19, l’administration de Valérie Plante (2017–2021) a aussi saisi l’occasion de la pandémie pour donner un coup d’accélérateur à l’instauration du REV, le Réseau Express Vélo. Cet ambitieux projet consiste en l’aménagement de cent quatre-vingt-quatre kilomètres de voies cyclistes séparés de la circulation automobile le long d’axes montréalais et connecté au réseau de pistes cyclables secondaire : des véritables autoroutes urbaines pour cyclistes. C’est à la suite d’une consultation publique en 2019 que le tracé du REV a été décidé, entre autres après différents ateliers organisés avec des cyclistes qui ont pu exprimer leurs besoins quant à l’utilisation du vélo à Montréal. Certaines suggestions des usagers se sont matérialisées : des pistes sur rues séparées, déneigées et avec un éclairage adéquat, notamment.

Il faut noter que la bicyclette, depuis son apparition, a été un moyen de transport aussi « légitime » que la voiture. Toutefois, dans les années 1950, la suprématie de l’auto a relégué dans les marges (Freund, 2014). Le jaywalking est un exemple de délit créé de toutes pièces par des lobbies automobiles (Norton, 2 le vélo et la marche007), cimentant la suprématie de la voiture. Les piétons sont dissuadés de traverser la rue en dehors des passages dédiés pour eux avec des amendes. Dans le cas de Montréal, Daniel Ross (2015) raconte l’histoire mouvementée de cyclistes en quête de reconnaissance et d’une volonté de ceux-ci d’orienter les politiques publiques à leur faveur en se mettant en scène dans la rue. De tels mouvements contestataires ont apporté des idées qui sont aujourd’hui solidement ancrées dans la ville : la mise en place d’un système de partage de vélos et l’autorisation de prendre le métro avec le vélo, par exemple (Morissette, 1994 ; Ross, 2015). Certains de ces mouvements, comme Le Monde à bicyclette (Ross, 2015), ont eu un impact significatif, réconciliant en partie les Montréalais avec l’usage de la bicyclette, tout en expliquant ce regain de popularité.

Que la pandémie y soit pour quelque chose ou non, le REV est le dénouement heureux d’une longue lutte pour que les cyclistes voient leurs droits reconnus: le droit d’avoir un Montréal plus agréable, de circuler de manière plus sécuritaire ou encore, plus radicalement, le droit d’envisager un avenir sans voiture (Ross, 2015). Le projet du REV va certes dans le même sens que les nombreuses initiatives municipales et citoyennes qui avaient déjà été lancées pour encourager et faciliter l’usage du vélo comme mode de transport. Parmi celles-ci, on retrouve entre autres les certifications du Mouvement Vélosympathique de Vélo Québec ou encore le Projet Numéro qui permet de graver un numéro sur son vélo afin de le retrouver en cas de vol. Les universités ne sont pas en reste, avec SOS Vélo qui répare les vélos de la communauté de l’Université du Québec à Montréal. Cette université a également instauré un abonnement pour stationner son vélo à l’année longue de façon sécuritaire.

Dans le contexte actuel, l’usage du vélo répond bien à l’impératif de distanciation sociale : est-ce que son regain de popularité perdurera après la pandémie, ou encore pendant la saison froide ? L’aménagement de voies sanitaires assorties de pistes cyclables (assurant une distance sécuritaire entre vélos et piétons) peut être perçu comme une stratégie des villes de s’adapter aux effets de la pandémie tout en continuant d’avancer vers leurs objectifs de carboneutralité. Reste à voir si les nouvelles habitudes de mobilité des citadins seront maintenues à plus long terme. L’arrivée de l’hiver est en effet susceptible de mettre un frein au regain de popularité pour le vélo dans des villes nordiques comme Montréal. Bien que cette pratique ait fait un nombre croissant d’adeptes dans la métropole québécoise au courant des dernières années, elle n’en demeure pas moins une pratique marginale, envisageable ou accessible qu’à un nombre restreint de la population urbaine.

Les enjeux de la cohabitation intermodale

Considérations de santé et sécurité

Comme mentionné plus haut, le vélo a effectivement gagné en popularité pendant la pandémie, mais il en va de même pour l’usage de l’automobile individuelle. On pourrait en déduire que la perte de confiance (justifiée ou non) des citadins envers les transports collectifs pourrait entraîner une augmentation de l’usage de l’automobile plus importante que celle du vélo. Ceci serait notamment le cas des personnes vivant dans les quartiers périphériques et devant franchir de plus grandes distances pour accéder à leurs emplois et aux services. À Montréal, cela risque d’exacerber les vieilles rivalités entre cyclistes et automobilistes. La cohabitation entre ces deux groupes d’usagers soulève aussi des enjeux de sécurité et de santé. En effet, un accroissement du nombre de cyclistes et d’automobilistes sur la chaussée pourrait augmenter les risques d’accrochages et de collisions entre usagers (Chaurand et Delhomme, 2013). À titre de rappel, lorsque le nombre de cas de contaminations et d’hospitalisations était à son plus haut au printemps 2020, certains pays comme l’Italie et l’Espagne interdisaient les déplacements à bicyclette, de peur d’ajouter un poids supplémentaire aux services d’urgence déjà saturés, en cas d’accidents.

Des stratégies peuvent tout de même être mises en place pour améliorer la sécurité et santé des cyclistes et des piétons, tout en les protégeant des différentes nuisances engendrées par le trafic automobile comme la pollution sonore et atmosphérique : l’ajout d’arbres, de murets ou de barrières acoustiques. Le REV comporte certains de ces éléments, bien que ceux-ci se centrent presque exclusivement sur la protection physique des cyclistes, soit des risques de collisions avec les automobilistes. L’exposition à des contaminants atmosphériques n’en reste pas moins un enjeu de taille dans la cohabitation entre les automobilistes, les cyclistes et les piétons. En effet, l’exposition aux particules fines résultant de la combustion du carburant pose un risque pour la santé des cyclistes et piétons qui y sont exposés, plus particulièrement dans les heures de pointe (Apparicio et al., 2018). Cela engendre d’ailleurs une forme d’iniquité environnementale : ces usagers se retrouvent surexposés à des contaminants qu’ils ne produisent pas.

L’exemple de Londres est emblématique de ce type de défis de cohabitation intermodale. Selon Sadiq Khan, l’actuel maire de Londres, la pandémie représente le plus grand défi jamais rencontré dans l’histoire du réseau de transport collectif londonien. De configuration plutôt exiguë et normalement très achalandé, la société de transport de Londres (Transport for London) n’a eu d’autre choix que de réduire l’achalandage sur le réseau. Déjà aux prises avec des problèmes de congestion et de pollution atmosphérique bien avant l’arrivée de la pandémie, la Ville ne peut toutefois pas se permettre que cet excédent d’usagers se tourne vers l’automobile. Ainsi, pour s’assurer que cette crise de santé publique n’en entraîne pas une autre, le maire a annoncé son ambition de créer la plus grande zone sans-voiture de toutes les capitales du monde. Son plan inclut aussi un réaménagement de certaines rues pour les rendre plus accessibles et agréables pour les piétons et les cyclistes.

 

Des nouveaux espaces de convivialité aux commerçants mécontents

Le cas de Londres rappelle aussi à quel point la pandémie a transformé notre rapport aux espaces publics urbains. Durant la pandémie, la disponibilité et l’accessibilité à des espaces conviviaux répondent à l’impératif de briser l’isolement en procurant des lieux où il est possible de se rassembler de manière sécuritaire et respectueuse des normes de distanciation. On n’a qu’à se remémorer l’achalandage des parcs montréalais tout au long de l’été 2020. Réduire la vitesse de circulation sur certaines rues peut aussi faire en sorte que celles-ci soient réappropriées par les piétons, devenant ainsi des espaces de destination et non plus uniquement des espaces de circulation. D’ailleurs, selon Ivan Illich (1974), important penseur de l’écologie politique et critique de la société industrielle, la vitesse moyenne de circulation en ville ne devrait pas dépasser 15km/h (vitesse correspondant aux modes du vélo et de la marche) pour aspirer à une société équitable et conviviale. La pandémie pourrait fournir une occasion idéale pour que plus d’espace soit redistribué aux piétons et aux cyclistes, notamment au nom de la justice socio-spatiale.

À Montréal, l’aménagement des VAS et encore plus le lancement de la construction du REV ont toutefois suscité la grogne chez certains commerçants, notamment sur la rue Saint-Denis. Le chantier du REV a été lancé courant 2020 dans une période de déconfinement délicate. De nombreuses voix se sont alors élevées pour dénoncer les désagréments causés par les travaux. Certains commerçants craignent que la réduction de la circulation automobile combinée à la suppression d’espaces de stationnements n’entraîne une perte de clientèle. Le REV a en effet modifié la morphologie de la rue, en enlevant une voie de circulation par direction pour donner plus de place aux cyclistes. Des études démontrent toutefois que les cyclistes ont tendance à dépenser plus souvent de l’argent dans les boutiques autour de pistes cyclables, portant à croire que ces dernières sont donc plutôt bénéfiques pour les commerçants (Arancibia et al., 2019).  La Ville souhaite expressément que cette artère importante de la ville devienne un lieu de destination, et non un lieu de passage.

Conclusion

La pandémie de Covid-19 a eu des impacts importants sur plusieurs aspects de la société : la mobilité urbaine n’y a clairement pas échappé. Les impératifs de distanciation sociale ont encouragé l’instauration de différents stratagèmes pour permettre à la population de se mouvoir de manière sécuritaire et d’accéder aux commerces essentiels. Dans cette capsule, nous voulions démontrer comment ces orientations vers la mobilité active répondent aussi à des considérations écologiques. Cette double motivation de mettre en place de tels aménagements a aussi donné un coup d’accélérateur au débat de cohabitation entre automobilistes et les autres utilisateurs de la voie publique. On pourrait se demander si les villes sauront tirer profit du contexte de transformation et d’innovation suivant les périodes de crise (Newman, 2020) pour faire plus de place à la mobilité active en milieu urbain.

Bibliographie

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Arancibia, D., Farber, S., Savan, B., Verlinden, Y., Smith Lea, N., Allen, J., & Vernich, L. (2019). Measuring the Local Economic Impacts of Replacing On-Street Parking With Bike Lanes. Journal of the American Planning Association, 85(4), 463‑481.

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Chaurand, N., Delhomme, P. (2013). Cyclists and drivers in road interactions: A comparison of perceived crash risk. Accident analysis & Prevention, 50, pp. 1176–1184.

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Honey-Rosés, J., Anguelovski, I., Chireh, V. K., Daher, C., Bosch, C. K. van den, Litt, J. S., Mawani, V., McCall, M. K., Orellana, A., Oscilowicz, E., Sánchez, U., Senbel, M., Tan, X., Villagomez, E., Zapata, O., & Nieuwenhuijsen, M. J. (2020). The impact of COVID-19 on public space : An early review of the emerging questions – design, perceptions and inequities. Cities & Health, 1‑17.

Huang, J., Wang, H., Fan, M., Zhuo, A., Sun, Y., & Li, Y. (2020). Understanding the Impact of the COVID-19 Pandemic on Transportation-related Behaviors with Human Mobility Data. Health Day Paper, 3443–3450.

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Morissette, C. (2009). Deux roues, un avenir – Le vélo en ville. Écosociété.

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Schwartz, S. (2020). Public Transit and COVID-19 Pandemic : Global Research and Best Practices. American Public Transportation Association.