Compte rendu
Agora métropolitaine 2023 – Se réunir, réfléchir, agir pour construire le grand Montréal de demain
23 mai 2023
Par Sophie Lavoie, étudiante à la maîtrise en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS), Josh Medicoff, étudiant à la maîtrise en science politique (McGill) et Hélène Madénian, étudiante au doctorat en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
Introduction
La cinquième édition de l’Agora métropolitaine s’est tenue le 23 mai dernier, au Palais des congrès de Montréal. Dans le cadre de ce rassemblement où plus de 800 personnes se sont réunies, il a été notamment question de moyens et de stratégies à mettre en œuvre collectivement au sein de la métropole afin d’agir dans un contexte d’urgence climatique et ainsi bâtir des communautés durables et fortes. Les personnes présentes ont pu se prononcer dans le cadre d’ateliers sur les principes et valeurs qui doivent guider le prochain Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD). Dans ce compte-rendu, nous revenons sur deux ateliers auxquels ont participé des membres de VRM et de la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine. Nous mettons particulièrement l’accent ici sur les enjeux de transition socioécologique et de résilience discutée à l’Agora, propres à l’adaptation des territoires et à la protection des milieux naturels. À noter que l’ensemble de l’évènement a fait l’objet d’un rapport de la Communauté métropolitaine de Montréal.
Ce compte-rendu présentera un premier bloc de deux panels, deux ateliers, un panel portant sur l’un des deux ateliers, puis fera un retour sur une réflexion collective.
Panels – Premier bloc
Communauté métropolitaine de Montréal : quels défis pour 2050?
Afin de définir les défis de l’avenir, il faut d’abord regarder en arrière. Le premier panel de l’Agora métropolitaine 2023, Communauté métropolitaine de Montréal : quels défis pour 2050?, a commencé avec une rétrospective sur les cibles, réussites et défis du Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) 2011. À la suite de cette rétrospective, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a invité six panélistes pour une discussion portant sur les futurs enjeux et défis auxquels la CMM s’attaquera lors des prochaines années.
Faits saillants : de 2011 à 2023
Pour amorcer la discussion, l’animatrice Leïla Copti a d’abord demandé un bref récapitulatif du PMAD 2011 au directeur général actuel de la CMM, Massimo Iezzoni. Si la CMM a avancé en matière de densification résidentielle, certains leviers ont manqué pour permettre une densification de qualité avec l’accès à des services de proximité dans les aménagements axés sur le transport en commun (AATC, en anglais transit-oriented development ou TOD), un angle mort du premier PMAD. Le prochain PMAD devrait s’y atteler. De plus, notons que les défis liés aux écarts entre les lieux de résidence et d’emploi restent énormes. La part de l’usage du transport en commun (évidemment affecté par la pandémie) a aussi stagné autour de 25 %, ce qui est préoccupant au vu des objectifs de l’accroissement à 35 % pour 2031. La CMM devra apporter des leviers pour favoriser le transport en commun. Beaucoup de travail reste à faire aussi pour la protection des milieux naturels, malgré des avancées récentes permettant de protéger 22 % du territoire (dont une partie est en milieu aquatique).
Discussion avec quatre panélistes : Dispersion urbaine, transport en commun et reconnaissance du vécu différencié de la métropole
À la suite de l’introduction de M. Iezzoni, Mme Copti a passé la parole à Laurence Vincent, présidente du groupe Prével, promoteur immobilier de Montréal. Mme Vincent a souligné notamment l’état de l’étalement urbain du grand Montréal. Pour Mme Vincent, l’étalement est un enjeu que la CMM doit prendre au sérieux, surtout en contexte de crise du logement. Si la CMM vise à bâtir 400 000 nouveaux ménages sur un territoire divers (y compris des zones densifiées, suburbaines, rurales et agricoles), il faut bien réfléchir à la façon de le faire et à l’endroit où le faire.
La discussion s’est ensuite portée sur l’offre de transports en commun avec Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et responsable de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Il a évoqué avec vigueur que, depuis les 20 dernières années, la CMM est devenue beaucoup plus riche et en parallèle, le Québec au complet est tombé amoureux des véhicules utilitaires sport (VUS). Même si le territoire de la CMM n’a pas grandi depuis 20 ans, la taille des véhicules oui, et la société québécoise est devenue de plus en plus une société d’automobile. Comment renverser la vapeur? En imposant des taxes kilométriques. Selon M. Pineau, les Montréalais·e·s et les Québécois·e·s doivent accepter des contraintes; lesquelles sont acceptables?
Ensuite, Mme Copti a accueilli Nadine Raymond, présidente-directrice générale du Y des femmes de Montréal (YWCA). Mme Raymond réfléchissait aux personnes pour lesquelles la CMM agit, soulignant qu’il n’existe pas une « personne moyenne ». Elle a parlé du besoin de segmenter la population pour pouvoir prendre en considération les réalités et disparités. La CMM doit donc accompagner une « géométrie variable » et investir dans la gestion des changements dans le grand Montréal. Elle souligne l’importance des sciences sociales pour soutenir ces changements et l’importance des services de santé dans la lutte contre les inégalités. Sur le même ton, Véronique Fournier, directrice du Centre d’écologie urbaine de Montréal, demandait comment impliquer la population dans la deuxième mouture du PMAD. Puisque l’aménagement du territoire implique des choix complexes – nécessitant souvent une acceptabilité sociale – les décisions ne peuvent pas être prises sans débat démocratique. Pour les changements majeurs dans le nouveau PMAD, Mme Fournier disait qu’« on doit associer la population » dans le plan. Et il faut même aller plus loin : l’éducation doit avoir l’objectif de sensibiliser la population, pas seulement de l’informer. Puisque le PMAD 2023 va demander un changement de paradigme très rapide, les membres de la CMM ne peuvent pas être en mode pour ou contre un projet – il leur faut développer l’instinct d’analyser comment un projet contribue aux cibles de la CMM.
Vers la fin du tour de table, Mme Copti a présenté Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). M. Branchaud était préoccupé par les milieux naturels dans le grand Montréal. Il a notamment souligné le bilan nuancé de la protection du territoire de la CMM : actuellement, seulement 10,2 % du territoire est protégé. Pour atteindre l’objectif de 30 % qu’elle a fixé pour 2030, la CMM doit non seulement protéger ce qui reste, mais réhabiliter d’autres sites contaminés. Selon M. Branchaud, pour y parvenir, la cohérence est essentielle dans la CMM, dans le PMAD 2023, ainsi que dans nos réflexes économiques.
La discussion s’est achevée par une question de Mme Copti, demandant aux panélistes de nommer un élément souhaité dans la CMM de 2050. M. Iezzoni voulait voir des efforts de densification avec un accroissement des services de proximité et l’amélioration de l’accès aux loisirs. M. Branchaud a exprimé son souhait de voir la fin de la guerre contre les rivières dans le territoire de la CMM. Mme Fournier a dit rêver de villes belles en matière de cadre bâti ainsi que de milieux de vie agréables. Mme Raymond a discuté d’une vision comprenant moins d’inégalités sociales et offrant un toit abordable à l’ensemble des citoyen·ne·s de la CMM. Pour sa part, M. Pineau était clair : en 2050, il veut voir trois fois moins de voitures dans l’ensemble de la CMM.
À la fin du panel, le public de l’Agora a pu poser quelques questions. Par exemple, quant à la densification des couronnes nord et sud de Montréal ainsi que des villes et villages périphériques, Mme Vincent a souligné l’importance de développer des milieux de vie où habitent beaucoup plus de personnes afin de rendre possibles des centres communautaires et des magasins à proximité. Mme Fournier a également fait remarquer que la plupart des terrains qui peuvent accueillir la densification sont situés en banlieue. À quelqu’un qui demandait comment lutter contre le phénomène « pas dans ma cour », Mme Fournier a répondu que tout le monde doit être inclus, mais il faut également poser à tout le monde la question : « Qu’est-ce qui est acceptable ? »
Vitrine sur des projets inspirants : quelques exemples de communautés montréalaises en action
Ce deuxième panel avait pour but d’exposer aux congressistes de l’Agora métropolitaine quelques projets inspirants, d’ordre culturel ou de mobilité, qui sont en cours dans la région de Montréal. Cinq panélistes ont ainsi parlé de ce qu’ils et elles ont mis en place dans leurs communautés.
Projets culturels entre la nation mohawk de Kahnawake et Lachine
Maja Vodanovic, mairesse de l’arrondissement de Lachine, ainsi que Kahsennenhawe Sky-Deer, grande cheffe du Conseil mohawk de Kahnawá:ke, ont été les premières à présenter leurs projets inspirants. Les deux leaders entretiennent des relations complices entre Lachine et Kahnawá:ke afin de réhabiliter l’histoire de Lachine et de poursuivre le processus de réconciliation. La communauté mohawk a en effet participé à la construction et à l’édification de grands projets structurants dans Montréal, permettant ainsi à la métropole de se développer économiquement. Les Mohawks ont pris une part très active au sein de la société Dominion Bridge. En collaboration avec Parcs Canada, la Ville de Montréal ainsi que l’Arrondissement de Lachine, les musées d’histoire sont eux aussi en train de travailler conjointement avec la communauté mohawk afin de compléter cette histoire de Montréal, à laquelle les Mohawks ont pris une part très active. Cette première présentation a pu inspirer les personnes présentes à mettre en place des projets afin de poursuivre les processus de réconciliation avec les membres des Premières Nations, et ce, en contexte urbain.
Longueuil accroît son offre en transport actif
La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a ensuite pris la parole pour présenter les récents projets de mobilité que son administration a mis en œuvre depuis les dernières années. En effet, Longueuil a été très rapide et audacieuse en matière de projets de mobilité. La ville a commencé à déneiger et entretenir son réseau cyclable l’hiver. Le réseau Bixi a également été élargi et certaines artères ont connu une piétonnisation afin de permettre aux citoyen·ne·s de profiter autrement de la ville pendant la saison estivale. Enfin, Mme Fournier a conclu sa présentation en rappelant que malgré la forte réputation de Longueuil en tant que ville du « tout à l’auto », son administration a été capable de mettre en place des projets de mobilité alternative audacieux, et ce, rapidement.
AATC de la gare Sainte-Thérèse
Emmanuel Farmer, directeur du service de l’urbanisme et du développement durable de Sainte-Thérèse, a ensuite expliqué les récentes transformations qui ont permis la revitalisation de la ville de Sainte-Thérèse. En effet, entre les années 1960 et 2000, Sainte-Thérèse était dévitalisée et souffrait d’un déclin économique. Par contre, depuis les années 2000, plusieurs projets structurants de mobilité ont été mis en place, permettant de donner un souffle nouveau à la ville. En rappelant que Sainte-Thérèse est un lieu de destination pour plusieurs étudiant·e·s en raison de la présence d’établissements collégiaux sur son territoire, M. Farmer a expliqué que le réseau cyclable a été bonifié à l’intérieur de la zone d’aménagement axé sur le transport en commun (AATC ou TOD pour transit-oriented development), permettant ainsi de favoriser les déplacements en vélo. Enfin, la ville aspire à déterrer et à revitaliser la rivière de Sainte-Thérèse qui a été ensevelie par l’urbanisation au siècle dernier. Ce projet devrait prendre forme d’ici 2025, selon le directeur de l’urbanisme.
Les Ponts Jacques Cartier et Champlain incorporée, ses ouvrages et la mobilité
Enfin, Sandra Martel, première dirigeante de Les Ponts Jacques Cartier et Champlain incorporée (PJCCI), a pu partager avec l’auditoire les récents projets de mobilité et de revitalisation qui ont été mis en place par la société d’État. Mme Martel a indiqué que la majorité des ponts de l’île de Montréal ont été construits au début du 20e siècle et qu’ils répondent à des règles d’une autre époque. Cependant, la PJCCI déploie plusieurs moyens afin de donner une plus grande place à la population et aux berges du fleuve Saint-Laurent. En effet, la déconstruction et le réaménagement du pont Champlain ont été l’occasion pour la PJCCI de mieux intégrer le pont dans le tissu urbain et de permettre un meilleur accès aux berges pour les populations riveraines. Enfin, Mme Martel a mentionné que la PJCCI est en discussion constante avec la Ville de Montréal et les citoyens et citoyennes afin de permettre une meilleure mobilité active sur les ponts.
Cette vitrine sur des projets inspirants s’est conclue par une annonce concernant les indicateurs vitaux du grand Montréal. Karel Mayrand, président-directeur général de la Fondation du grand Montréal, et Philippe Rivet, chef d’équipe d’habitation, développement social et monitoring de la CMM, ont expliqué que le partenariat entre la Fondation et la CMM a permis une production rapide et efficace des indicateurs vitaux. Destinés à déterminer les iniquités territoriales, les indicateurs ont pour but de favoriser une transition écologique qui soit inclusive dans le grand Montréal. Les indicateurs seront lancés au printemps 2024 et seront suivis en continu et spatialisés (sur une carte). Ils comprendront notamment des données sur le logement et le logement social.
Ateliers
Des milieux naturels connectés et une biodiversité en santé pour concrétiser les engagements de la CMM à la COP15
En après-midi, sept ateliers étaient proposés aux congressistes de l’Agora, dont un intitulé Des milieux naturels connectés et une biodiversité en santé pour concrétiser les engagements de la CMM à la COP15. Cet atelier avait comme objectif d’identifier les principaux leviers d’actions métropolitains permettant de doter le prochain PMAD – et la CMM en général – d’outils concrets pour atteindre les objectifs de conservation de la biodiversité à l’échelle métropolitaine.
L’atelier fut une séance de remue-méninges pour trouver des actions et des champs d’intervention afin d’atteindre la cible de 30 % du territoire protégé de la CMM. Il a été guidé par deux réflexions, soit 1) doter 30 % du territoire du grand Montréal de statuts d’aires protégées ou de mesures de conservation efficaces et 2) accroître la présence et la qualité de la biodiversité partout dans la trame urbaine et en zone agricole.
Pour lancer l’atelier, deux panélistes ont été invités à présenter des faits saillants et des portraits de la biodiversité du grand Montréal. Le premier présentateur était Maxime Larrivée, directeur de l’Insectarium de Montréal à Espace pour la vie. M. Larrivée a commencé avec une diapositive expliquant que « l’humanité est à la croisée des chemins » avec les dérèglements climatiques. Mais il a également souligné que « les crises du climat et de la biodiversité sont intrinsèquement liées ». Au moins un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies. M. Larrivée rappelait qu’il s’agit aussi d’une crise urbaine : les changements climatiques se manifestent par la perte de la biodiversité urbaine, des phénomènes météorologiques extrêmes (exemplifié par le verglas en avril 2023), des canicules, des inondations et des crises alimentaires et sanitaires (dont la hausse du prix des aliments de base, le flux de migration des zones affectées et la hausse du coût de la vie). Pourtant, M. Larrivée a mis l’accent sur les efforts de l’urbanisme durable contre ces bouleversements en élaborant deux genres de leadership : le leadership politique et le leadership citoyen. Au sujet du premier, il a discuté de la Trame verte et bleue de la CMM ainsi que du Plan de protection des pollinisateurs de la Ville de Montréal. Pour ce qui est du leadership citoyen, il a souligné l’ensemble des actions individuelles locales contribuant au verdissement des milieux de vie et quartiers qui viennent bonifier les actions structurantes de verdissement municipal. En conclusion, M. Larrivée a fait appel à une nouvelle approche de la nature urbaine, la biophilie, qui a comme objectif d’intégrer la nature dans l’urbain afin de provoquer une réduction du stress et de favoriser la santé physique et mentale.
Julien Poisson, directeur de programmes (section sud du Québec) à Conservation de la nature Canada, a dirigé la deuxième présentation du panel. Il a d’abord présenté une carte démontrant que le sud du Québec, et surtout le grand Montréal, représente l’un des territoires les plus riches en biodiversité en Amérique du Nord. Il a mis de l’avant qu’il est maintenant temps d’agir : « On n’est plus à l’étape de peaufiner ou de faire des bases de données ». Nous savons déjà quel territoire protéger. Ceci étant dit, le réseau d’organismes ayant comme but de protéger la nature est grand et complexe. Ce réseau est composé d’ONG, de gouvernements (les Premières Nations, les municipalités, les provinces et le fédéral), d’associations citoyennes et de propriétaires. Afin de comprendre qui et quoi cibler pour la protection, Conservation de la nature Canada a créé un registre d’aires protégées, qui englobe trois genres :
1) Aires protégées : Réserve naturelle, parc national, parc marin, refuge faunique, réserve écologique et propriété ou servitude d’ONG;
2) Autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCEZ) : Site d’épave, terrain d’une base militaire, terre ancestrale autochtone, prise d’eau potable, site historique et site de l’UNESCO;
3) Mesures de conservation complémentaires (MCC) : Bande riveraine élargie, haie brise-vent, servitude de non-construction et parc municipal.
Vers la fin de sa présentation, M. Poisson a invité le public à réfléchir : que faut-il faire pour atteindre 30 % en 2030 et comment s’y prendre? Actuellement, 10,2 % du territoire est protégé; avec le règlement de contrôle intérimaire (RCI), ce pourcentage est de 22,1 %. Pour le 8 % restant, M. Poisson juge qu’il faut restaurer les milieux dégradés en milieux naturels.
Le reste de l’atelier a été consacré à des remue-méninges sur les façons de protéger la biodiversité dans le grand Montréal et sur les territoires à prioriser. Les groupes, triés par tables, ont proposé des idées novatrices, telles que la déminéralisation des stationnements partout à travers la CMM et la valorisation de la biodiversité spontanée dans des sites délaissés dans la région. Toutefois, presque chaque groupe a discuté des difficultés de financement lié au cadre de la protection de la biodiversité.
Une région métropolitaine résiliente face aux changements climatiques
Un deuxième atelier, Une région métropolitaine résiliente face aux changements climatiques, était co-organisé par la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine et Ouranos :
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- Sophie L. Van Neste, professeure en études urbaines de l’INRS, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’action climatique urbaine
- Nathalie Bleau, coordonnatrice scientifique, Adaptation des milieux de vie, Ouranos
- Hélène Madénian, doctorante en études urbaines de l’INRS, centre Urbanisation Culture Société
Cet atelier visait à discuter d’enjeux prioritaires et de moyens porteurs pour l’adaptation et la résilience à l’échelle métropolitaine, afin d’alimenter le PMAD et de réduire les risques climatiques qui pèseront sur le grand Montréal d’ici 2050. Par exemple, ceux liés aux températures extrêmes et aux inondations, qui affectent de manière disproportionnée les populations plus vulnérables et peuvent accroître les inégalités existantes.
Une soixantaine de personnes ont participé à l’atelier : membres du personnel et de la direction générale de municipalités, organismes de la société civile, chercheur·se·s, entreprises et étudiant·e·s. On les invitait à s’asseoir à six tables en se mélangeant pour avoir une diversité des points de vue pendant la période de travail collectif et d’échanges.
Sophie L. Van Neste a accueilli les participant·e·s et a présenté le format de l’atelier. Puis, Nathalie Bleau a présenté les grandes lignes du dernier rapport du GIEC et les conséquences climatiques pour le sud du Québec : dommages aux infrastructures et bâtiments, avec effet domino; effets sur la santé de la population; aggravation de la pénurie et de la qualité de l’eau; vulnérabilité d’un environnement naturel déjà sous forte pression; assurabilité et impact économique des phénomènes météorologiques extrêmes. Hélène Madénian a ensuite présenté des éléments de définition de l’adaptation aux changements climatiques et de la résilience; parmi lesquels le fait que l’adaptation n’est pas juste technique, mais est en lien direct avec la façon dont sont aménagés les territoires, l’accès aux services, la place laissée aux milieux naturels ou encore les conditions de logement ou de mobilité. La résilience est un processus plutôt qu’une finalité mesurable à un temps donné. Cela implique le développement ou la mobilisation renouvelée : d’outils de planification, de réglementation et de concertation; de cadres de gouvernance pour briser les silos (p. ex., travailler adaptation ET logement, logement ET mobilité, urbanisme ET protection des milieux naturels); de réseaux avec des organismes locaux variés en lien avec les populations plus vulnérables. Il est également important de porter attention aux risques de maladaptation, c’est-à-dire aux risques de perpétuer des inégalités ou d’en créer. Par exemple en ne prenant pas en considération les inégalités préexistantes et l’historique du territoire ou les voix de groupes marginalisés. L’adaptation peut plutôt être vue comme une opportunité d’améliorer la qualité de vie et de travailler sur les co-bénéfices des mesures. Par exemple, des mesures de verdissement permettent d’agir sur le milieu de vie, la santé des populations et la gestion des eaux de ruissellement. Finalement, dans le cadre du PMAD, il est important de rappeler que l’adaptation ne s’arrête pas aux frontières des municipalités et que les défis de l’échelle métropolitaine avec des contextes locaux différenciés sont à considérer.
Panel – Deuxième bloc
Projets de résilience et de transition
Après la présentation des animatrices de l’atelier Une région métropolitaine résiliente face aux changements climatiques, quatre panélistes ont pu partager les projets de résilience et de transition qu’ils et elles ont mis en place dans leurs communautés.
La première panéliste était Mélanie McDonald, directrice exécutive de Chemins de transition (CT). CT est un groupe de recherche universitaire qui crée des ponts entre la recherche universitaire et les communautés de pratique. À l’aide de la prospective, CT cherche à imaginer collectivement notre futur afin de mieux identifier les leviers d’action du présent qui nous permettront d’atteindre nos objectifs. Mélanie McDonald a rappelé à l’auditoire l’importance de développer des fonds afin de subventionner des infrastructures efficaces et adaptées aux changements climatiques. Elle a aussi rappelé que les filets de sécurité sociale (p. ex., des îlots de fraîcheur, des parcs et espaces publics, des services sociaux et de santé, des organismes communautaires et une redistribution économique juste et équitable) doivent être proportionnels aux vulnérabilités des communautés, afin de tendre vers une transition la plus juste possible et de lutter contre les injustices produites par les changements climatiques.
Le deuxième panéliste était Nicholas Borne, conseiller municipal de Laval-Les Îles, qui a pu présenter l’expérience d’adaptation aux inondations de la ville de Laval. En effet, cette ville a développé au fil du temps son approche lavalloise, qui consiste en la mise en place d’outils de simulation pour mieux prévenir les inondations, à l’aide d’un suivi en temps réel des débits et des niveaux d’eau ainsi que d’un déploiement d’actions urgentes, advenant le cas de menaces pour la sécurité des communautés. La municipalité mise aussi sur l’instauration d’un Bureau de la résilience.
La troisième panéliste était Catherine P. Perras, urbaniste et conseillère en aménagement du territoire et urbanisme de Vivre en Ville. Elle a présenté des cas d’aménagement visant à adapter certaines communautés de la CMM aux inondations, toujours plus nombreuses. Catherine Perras a rappelé que les stratégies d’adaptation et d’aménagement ne sont pas uniques et que celles-ci doivent pouvoir rendre compte des milieux dans lesquels elles s’implantent. Ces milieux sont diversifiés ; il peut s’agir d’espaces densifiés, de zones commerciales avec services de proximité, ou de terrains isolés comptant une ou deux habitations. En ce sens, les milieux bâtis ne s’équivalent pas et requièrent des stratégies adaptées. Le PMAD doit favoriser des planifications d’ensemble tout en reconnaissant les particularités des différents milieux de vie.
Finalement, la dernière panéliste, Lucile Ruiz, responsable de Collectivités ZéN (zéro émission nette) à travers l’association du Front commun pour la transition énergétique, a pu présenter la démarche des Collectivités ZéN. Le Front commun pour la transition énergétique a été créé en 2015 et visait à rassembler plusieurs organisations impliquées dans la transition. Ces organisations, au nombre de 85, regroupent actuellement 1,8 million de personnes. Les Collectivités ZéN consistent en une feuille de route nationale qui propose aux communautés les grandes étapes afin d’arriver à zéro émission nette. Elle a pour objectif de rassembler, mailler et accompagner un maximum d’organisations dans un territoire, pour mettre en œuvre, de façon concertée, une transition menant à la justice sociale et à la carboneutralité.
Réflexion collective
Après les différentes présentations des animatrices et panélistes, les participant·e·s de l’atelier ont pris part à une réflexion collective concernant la résilience des villes et les inégalités et injustices. L’exercice consistait à répondre aux questions suivantes en équipe de 8 à 10 personnes. Premièrement, on les invitait à réfléchir aux actions qui sont déjà mises en place par leurs institutions :
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- Quelles démarches d’adaptation ont été mises en place dans vos milieux?
- Quels outils mobilisez-vous ou pourriez-vous mobiliser dans votre contexte particulier?
- Comment ces démarches et ces outils peuvent-ils nourrir la CMM dans sa démarche de PMAD à l’échelle métropolitaine?
Deuxièmement, il leur fallait réfléchir sur les facteurs de vulnérabilité propres aux populations et les moyens d’identifier celles-ci dans leurs communautés :
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- Comment identifiez-vous les populations en situation de vulnérabilité face aux changements climatiques dans vos milieux?
- Quelles actions sont à mettre en place pour réduire ces vulnérabilités et inégalités?
- Comment la CMM peut-elle vous soutenir dans ces efforts?
Enfin, sous format de synthèse des discussions, les participant·e·s ont réfléchi à la façon de concrétiser leurs réflexions dans le PMAD : Comment la CMM et son PMAD peuvent-ils aider à soutenir la mise en œuvre de l’adaptation de vos milieux?
Cet exercice collectif était caractérisé par une pluralité de points de vue. À chacune des tables, un ou une porte-parole a résumé les points saillants consensuels de la table. Néanmoins, une certaine divergence entre les tables a été remarquée, avec des accents différenciés sur des enjeux vécus par les résidant·e·s, les organismes communautaires, municipaux ou les institutions de santé publique, notamment.
Il a été soulevé que les organismes communautaires ne sont pas assez pris en compte dans les mises en œuvre de politiques. Les organismes possèdent un savoir et une expertise concernant des enjeux qui touchent les Montréalais et Montréalaises (voir exemple ici). Les villes doivent davantage construire sur ce que les organismes communautaires ont déjà instauré avec le peu de moyens et de ressources dont ils disposent. Les organismes communautaires entretiennent une relation de confiance avec les citoyens et citoyennes, ce qui améliore grandement la réussite des politiques.
Pour ce qui est de la question concernant l’identification des communautés vulnérables, les acteurs municipaux et communautaires ont été nombreux à mentionner que nous possédons déjà les données et les connaissances concernant les endroits où se trouvent les populations vulnérables sur le territoire métropolitain. Les organismes ont ainsi rappelé qu’à travers les cartographies des îlots de chaleur urbains, de l’accessibilité aux services, des indices de défavorisation économique, mais aussi des connaissances issues des expert·e·s locaux, nous pouvons trouver les communautés vulnérables et adapter les politiques en conséquence. Une table a également mentionné le besoin d’avoir une grille pour prioriser les secteurs vulnérables dans lesquels intervenir.
D’autres participant·e·s ont déploré le fait que les Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) ne soient pas davantage invités à participer à la mise en œuvre des politiques. Ceux-ci effectuent de la recherche, produisent des données et sont des experts locaux de leur milieu. Ce commentaire s’inscrit dans des remarques plus globales concernant la nécessité et l’importance de lier les phénomènes entre eux plutôt que de les aborder de façon déconnectée. Les questions de santé publique par exemple s’inscrivent dans les enjeux de mobilité, de manque de verdissement dans certains quartiers et d’iniquités territoriales. En ce sens, le prochain PMAD devrait pouvoir offrir des plateformes de concertation entre les différents acteurs impliqués dans la production et la maintenance de la ville.
Il a aussi été mentionné que les organismes communautaires se retrouvent malheureusement trop souvent à verdir les quartiers, même si le verdissement ne fait pas partie de la mission de l’organisme en question. En ce sens, le verdissement a été interprété comme étant un acte de réparation puisqu’il n’est que peu intégré en amont par le secteur privé. Par la réglementation et de nouvelles normes, le verdissement pourrait devenir une obligation pour le privé, permettant ainsi au communautaire de s’alléger d’une importante tâche qui offre pourtant aux citoyen·ne·s des milieux de qualité. Le verdissement a été abordé à plusieurs tables comme une action importante pour la résilience : création de parcs, Trame verte et bleue, connectivité écologique, jardins sur les toits, toits verts, etc.
Concernant le rôle du privé, il a été soulevé que les entreprises et industries doivent davantage prendre la responsabilité des nuisances et que celles-ci doivent être mutualisées. Le privé a ainsi trop tendance à prendre l’ensemble des bénéfices et à laisser sur place la responsabilité et le fardeau des nuisances aux communautés locales. Le prochain PMAD devrait pouvoir intégrer davantage de mesures coercitives et de réglementation, selon les personnes réunies. Toutefois, à une autre table, on mettait l’accent sur l’adoption de principes et d’objectifs métropolitains, mais avec une flexibilité locale sur les moyens détaillés, pour s’adapter aux différences territoriales et au désir d’autonomie politique locale. Les municipalités aimeraient aussi que la CMM aide à faire le pont avec des instances provinciales comme le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, dont l’encadrement légal est très loin des réalités vécues localement.
Le public aurait aussi un rôle croissant à jouer sur le foncier, avec plus d’acquisitions et des aménagements publics répondant aux besoins locaux. Nous avons aussi discuté du potentiel d’une gouvernance par les communs pour la transition socioécologique et la résilience, où les résidant·e·s et acteurs locaux s’approprient les enjeux et participent activement à la prise de décisions autour de territoires et de ressources du milieu.
Enfin, la question de l’accessibilité aux données a été soulevée. Les données devraient pouvoir être plus transparentes et réunies sur une seule plateforme, permettant ainsi à des organismes moins pourvus de moyens et de ressources d’obtenir facilement des informations essentielles. Les personnes réunies ont critiqué le fait que certains intervenant·e·s qui œuvrent dans la ville ne rendent pas leurs données publiques. Ces méthodes doivent cesser et le prochain PMAD devrait pouvoir trouver des solutions à cet important enjeu.
À l’une des tables, les participant·e·s ont échangé sur le besoin de collaborer avec les différentes forces du milieu (p. ex., organismes communautaires, propriétaires fonciers, producteurs agricoles) et d’harmoniser les programmes existants. Il a également été mentionné que la CMM peut jouer un rôle de facilitation avec les parties externes (p. ex., Hydro-Québec, CP, CN).
En ce qui concerne les outils que la CMM pourrait davantage utiliser ou développer, il a été question du droit de préemption, de mesures bâtons tels que l’écofiscalité (p. ex., taxe sur le stationnement), d’indicateurs de performance adaptés aux municipalités, de normes ou d’un guide pour l’harmonisation entre les villes, de cohérence à l’intérieur des outils, ou encore de réglementation plus ambitieuse (p. ex., agriculture urbaine, bâtiments, toits verts et blancs). Le sujet du financement a également été abordé à plusieurs tables : les municipalités, comme les organismes, ont besoin de plus de financement et souhaitent une redistribution plus équitable et transparente.
Conclusion
L’Agora métropolitaine a été une occasion unique pour que toutes les figures de divers milieux prennent part à la discussion concernant l’avenir de nos villes. Ces rencontres devraient pouvoir stimuler l’adoption de principes forts et la mobilisation d’outils de gouvernance et d’aménagement du territoire, tout en développant l’intelligence collective, pour les adapter à la diversité des territoires. La transition socioécologique, l’adaptation et la résilience doivent prendre une place accrue dans ces espaces et ces documents de planification, avec des leviers tangibles à la hauteur des défis, pour protéger le territoire, valoriser les populations et atténuer les conséquences déjà bien présentes des changements climatiques.
Dans les deux ateliers, les mêmes réflexions ont été émises concernant deux problématiques, soit la localisation des populations vulnérables et les zones naturelles à protéger. Dans les deux cas, le constat général tend vers le fait que nous détenons déjà les données et connaissances et que dès maintenant, nous devons combiner nos efforts afin de mettre en place les mesures nécessaires. Enfin, la CMM est un acteur clé dans la lutte aux changements climatiques. Il s’agit finalement de réfléchir à mieux articuler l’action collective et professionnelle vers la CMM, afin de davantage travailler ensemble à la construction de villes plus saines et agréables. La CMM représente finalement une plateforme unique de rencontre et d’échanges entre acteurs et actrices qui participent à la production des milieux de vie.