Compte rendu
Association américaine des géographes (AAG) 2023) – Rencontres montréalaises
23 et 27 mars 2023
Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS) et Sophie Lavoie, étudiante à la maîtrise en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
Introduction générale de l’AAG 2023
Le groupe de travail sur l’action climatique de l’Association américaine des géographes (AAG) tenait du 23 au 27 mars son colloque annuel où plusieurs chercheurs et chercheuses ont pu présenter leurs travaux, afin de faciliter la diffusion des connaissances. Depuis maintenant quatre ans, l’AAG tient cette rencontre dans plusieurs villes en même temps, dans un souci de réduire de manière importante les émissions de carbone. Cette initiative vise également à créer des partages plus inclusifs et accessibles, en facilitant la participation individuelle, institutionnelle et financière des congressistes et des établissements d’enseignement. Cette année, Montréal a ainsi pu être l’hôte de plusieurs conférences qui ont eu lieu à l’Université de Montréal, à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et à l’Université Concordia.
Compte rendu de l’événement
Première journée : Climate, Care and the Housing Crisis
Cette première journée de présentation du Colloque annuel de l’Association américaine des géographes (AAG), organisé par Sophie L. Van Neste et Anne-Marie D’Amours, a pu aborder plusieurs enjeux, soit la pauvreté énergétique, la crise du logement ainsi que la crise climatique. La pauvreté énergétique est définie comme suit dans la littérature : lorsqu’un ménage a de la difficulté à payer ses factures ou à accéder à des températures saines qui lui permettent de vivre une vie décente et de combler ses besoins essentiels (Sawyer et Hernandez, 2016). La pauvreté énergétique doit être comprise comme un ensemble de facteurs, puisqu’ils sont plusieurs à interagir et ainsi à rendre certains ménages plus vulnérables. Notamment, les conditions du logement, le revenu, la composition du ménage ou certains facteurs économiques et sociaux en lien avec les politiques gouvernementales sont tous des éléments qui peuvent rendre les ménages précaires énergétiquement. Les conférencier·ère·s ont ainsi pu tisser de nombreux liens entre ces questions qui restent sans réponses dans les politiques et discours publics. Le but de cette journée était de montrer l’intersectionnalité de ces enjeux et la façon dont la crise du logement doit être comprise au-delà du local.
Première session : Climate Care and the Housing Crisis 1
Par Sophie Lavoie
Conférencière : Mylène Riva, Université McGill, Exploring the Spatial Distribution of Energy Poverty in Canada
La première présentation de ce bloc de conférences explorait la pauvreté énergétique de manière quantitative à travers le Canada. Il était question d’identifier les régions où se concentrent les ménages les plus précaires énergétiquement. La professeure Riva a brossé un portrait de l’état des lieux au Canada. Elle mentionnait que la question est relativement récente dans le domaine universitaire et politique. L’enjeu est pourtant important puisqu’il s’agit de santé personnelle et publique. Plusieurs méthodes sont utilisées afin de mesurer la pauvreté énergétique. Ainsi, à l’aide des recensements officiels de Statistique Canada, Riva a démontré qu’une forte proportion de Canadiens et Canadiennes expérimentent la pauvreté énergétique, ces populations étant concentrées dans les provinces maritimes, dans le nord-est de l’Ontario et dans certaines régions de la Saskatchewan. Il y a ainsi de fortes variations entre les provinces. Selon la chercheuse, ce constat soulève des questions concernant la transition énergétique. Les décisionnaires doivent pouvoir tenir compte des inégalités existantes, sans quoi la transition pourrait renforcer celles-ci.
Conférencier : Meslet, Arènes UMR, Education to Energy Saving to Reduce Fuel Poverty in a French City (Nantes) : Types of Instruments, Modes of Reception by Target Public and Progressive Bypassing by Implementers in favor of a Logic of Social Emancipation
La deuxième conférence était présentée par Fabien Meslet et portait sur des politiques et outils mis en place dans la ville de Nantes visant à atténuer la pauvreté énergétique. En effet, en France, 12 millions de personnes souffrent de pauvreté énergétique, en raison du faible taux de rénovation thermique des logements. Ce sont toutefois les personnes à faible revenu qui doivent composer avec le coût de l’énergie et son augmentation. Si l’État français a adopté certaines politiques afin de prévenir la précarité énergétique, ce sont les villes qui ont instauré des dispositifs plus ciblés. Le chercheur s’est intéressé à la ville de Nantes qui a lancé, en 2013, une campagne de communication pour sensibiliser les ménages précaires aux économies d’énergie et aux programmes permettant d’acheter certains matériaux (ampoules, pommes de douche) écoénergétiques. Nantes a aussi mis en place des ateliers collectifs qui visent à éduquer et sensibiliser la population sur l’économie d’énergie. Le chercheur a examiné comment, dans ce contexte, les fonctionnaires ont redéfini la pauvreté énergétique, puisque les programmes actuels incitent des personnes déjà précarisées à se priver davantage. Un grand nombre de fonctionnaires de Nantes ont contesté leur propre outil, déplorant le fait que la définition de la précarité énergétique, proposée par les politiques, ne cadrait pas avec la réalité. Le chercheur conclu que les processus d’apprentissage des fonctionnaires peuvent conduire à une redéfinition des politiques publiques.
Conférencière : Laurianne Debanne, Université McGill, To Heat or Not To Heat: Findings from a Community-Based Study on Energy Poverty in the Town of Bridgewater, Nova Scotia
Cette conférence donnée par Laurianne Debanne visait à présenter ses résultats préliminaires de maîtrise. L’étudiante s’est intéressée à la pauvreté énergétique dans le contexte de la Nouvelle-Écosse, province où le phénomène est particulièrement marqué. Dans le cadre de cette recherche, Debanne a examiné les mécanismes d’adaptation (coping mechanisms) à la température, par exemple d’utiliser une couverture supplémentaire pour limiter le chauffage ou de vivre dans une seule pièce de la maison. Elle a également mobilisé un cadre théorique sur les vulnérabilités et les capacités des individus, afin de démontrer comment ceux-ci peuvent être sensibles et vulnérables au point de chercher des stratégies, des outils et des ressources afin d’affronter leurs vulnérabilités. La chercheuse s’intéressait particulièrement aux ménages qui doivent choisir entre chauffer ou manger, lorsque vient le temps de payer les factures. Elle a pu faire du porte-à-porte en Nouvelle-Écosse afin de distribuer des sondages aux populations concernées. Ses résultats démontrent que les femmes sont surreprésentées dans l’expérience de la pauvreté énergétique, et que ce sont elles qui doivent choisir entre manger ou chauffer leur habitation. Il y a également beaucoup de jeunes adultes qui vivent cette situation.
Conférencier : Renaud Hourcade, CNRS, How May Citizen Organizations Help Poor Consumers Deal with High Energy Bills? Analysis of Two Grassroots Initiatives against Fuel Poverty in London and Barcelona
Le chercheur s’est intéressé à deux organismes communautaires, l’un basé à Londres et l’autre à Barcelone, venant en aide aux communautés en situation de pauvreté énergétique. Dans ces deux villes, l’enjeu de la pauvreté énergétique est à l’agenda depuis plusieurs années, mais la crise de l’énergie de 2022 a rendu évidente l’urgence de la situation. Ainsi, de nombreuses organisations ont émergé dans les villes afin d’aider les communautés touchées. Le chercheur s’est ainsi demandé comment ces organisations ont contribué à sensibiliser les villes à cet enjeu. Il s’est intéressé aux approches de justice énergétique et du care ainsi que de la ville juste (just city), qui sont notamment soutenues par l’organisme South East London Community Energy (SELCE). Basé à Londres, le SELCE est un café ouvert pendant l’hiver qui fournit thé et biscuits aux personnes en situation de précarité énergétique. Cet organisme offre aussi des ateliers et des conseils afin d’orienter les individus dans la complexité du marché énergétique. Selon le SELCE, le marché de l’énergie a créé plusieurs victimes, car la marchandisation du système énergétique empêche les ménages de combler leurs besoins de base. Le deuxième organisme, Alliance against Energy Poverty (l’APE), organise des rencontres bimensuelles afin de discuter des enjeux collectifs et individuels en lien avec l’énergie. Les membres discutent des moyens à mettre en place afin de s’engager et organisent plusieurs activités militantes pour dénoncer le marché de l’énergie. L’APE trouve ses racines dans la crise immobilière de 2008 et de l’augmentation des prix des habitations. Dans les deux cas, le chercheur démontre comment les contextes sont importants et façonnent les stratégies et le cadrage des mouvements d’individus. Les regroupements sont ainsi formés par l’histoire urbaine, la structure sociale et politique et certains facteurs conjoncturels.
Deuxième session : Climate, Care and the Housing Crisis 2
Par Sophie Lavoie
Conférencier : Xavier Leloup, Institut national de la recherche scientifique (INRS), The “Fight” against Insalubrity in Montréal: How Actors Are Assembling a Moral Urban Policy through Technical Rapport?
Leloup s’est intéressé à la « boîte noire » des mobilisations contre l’insalubrité à Montréal dans un contexte où des punaises de lit se sont propagées rapidement pendant une période de chaleur accablante dans l’arrondissement de Côte‐des‐Neiges–Notre‐Dame‐de‐Grâce. Il a tenu à se distancier des contextes macroéconomiques qui analysent et expliquent les crises du logement, puisque ceux-ci peuvent offrir des grilles de lecture statiques d’un phénomène. Dans le cas de l’insalubrité, le cadre économique permet de mettre l’accent sur la marchandisation de l’habitation, mais ne permet pas de rendre compte de la diversité des forces à l’œuvre dans les mobilisations publiques. À l’aide de plusieurs entretiens avec des personnes ayant pris part à l’action publique et de la théorie de l’assemblage, le chercheur a démontré que l’action collective, plus particulièrement celle contre les logements insalubres, peut réduire la vulnérabilité de certaines personnes en reliant leur expérience avec les conditions d’habitation. Il est ainsi possible de saisir comment l’action publique urbaine vise à prendre soin de soi et des autres, dans un contexte où des individus vivent dans des habitats précaires.
Conférencière : Sophie L. van Neste pour Myriam Proulx, Institut national de la recherche scientifique (INRS), Energy Empowerment for Whom? Structural Inequality in Access to Community Geothermal Energy for Social and Cooperative Housing
La deuxième conférence de ce volet sur la crise de l’habitation a été présentée par Sophie L. Van Neste. Elle a rendu compte d’un projet mené de pair avec Myriam Proulx portant sur les initiatives de mobilisation qui se situent à l’intersection des enjeux de logement et d’énergie. Dans un contexte où le Canada n’a pas de politique publique à grande échelle pour lutter contre les vulnérabilités à la chaleur et à la pauvreté énergétique, les villes sont de plus en plus nombreuses à chercher des solutions pour décarboniser leurs bâtiments. C’est le cas de Montréal qui a vu naître récemment plusieurs initiatives communautaires en lien avec l’énergie. Ces initiatives peuvent toutefois mener à de la gentrification, ce qui a des impacts sur les locataires à faible revenu. Les chercheuses ont examiné les dimensions sociomatérielles, les infrastructures sociales, les ressources des mobilisations sociales ainsi que les attentes citoyennes de ces projets d’infrastructures. Elles ont cherché à comprendre comment ces mobilisations peuvent se retrouver à l’intersection des revendications en matière d’habitation et d’énergie. À l’aide d’entretiens avec des citoyen·ne·s impliqué·e·s, cette recherche a permis de démontrer comment la population établit des liens entre l’adaptation énergétique et la crise du logement. Il y a aussi un certain fardeau pour les ménages à transformer eux-mêmes leur milieu de vie face aux épisodes météorologiques extrêmes.
Conférencier : Julien Simard, Université de Montréal (UdeM), Direct Displacement of Ageing Homeowners and Tenants in Quebec Due to Climate Change: A Prospective Approach
Julien Simard a ensuite présenté le contexte particulier de la gentrification, selon le point de vue des personnes âgées, qui sont davantage menacées par ce phénomène, en plus d’autres facteurs de vulnérabilité, entre autres : leur faible revenu, l’isolation sociale, leur état de santé, le sexisme, l’âgisme, le capacitisme, le fait d’être locataires de longue date. En effet, les personnes âgées sont plus à risque d’éviction. De plus, les vulnérabilités liées à la chaleur font partie des conséquences des changements climatiques, de même que les risques d’inondations qui peuvent s’accentuer et entraîner un déménagement forcé. Les personnes âgées se retrouvent encore une fois menacées, puisque pour certaines d’entre elles, un déménagement représente un enjeu de santé important. Le chercheur propose une contribution théorique susceptible d’intégrer plusieurs enjeux vécus par les personnes âgées dans un seul et même modèle. Le chercheur entend documenter les refus de déménager, mais aussi les pratiques et les discours de déplacement que les personnes âgées peuvent adopter.
Conférencière : Montserrat Emperador Badimon, Lyon 2, “Neither Thirst, nor Cold, nor Darkness”. Mobilizing against Energetic Poverty amidst the Housing Crisis in Catalonia
D’importantes politiques ont été mises en place afin de lutter contre la pauvreté énergétique à Barcelone, dans la foulée des fortes mobilisations de l’APE (Alliance against Energy Poverty). Grâce à ces dernières, les ménages dits vulnérables ne peuvent plus être débranchés du système énergétique à Barcelone. La chercheuse s’est questionnée sur ces mobilisations et comment celles-ci peuvent être tenues responsables de l’adoption de cette politique publique. Elle propose une réponse à l’aide des concepts cycle of contention et spin-off movement. Selon la chercheuse, les mobilisations de l’APE contre la pauvreté énergétique s’inscrivent dans le mouvement anti-éviction et ont ainsi donné plus de poids politique pour l’adoption de la politique énergétique de Barcelone. Les organisations ont pu ainsi établir un réseau et développer des stratégies tactiques et discursives afin de visibiliser l’enjeu.
Troisième session : Climate, Care and the Housing Crisis 3
Par Sophie Lavoie
Conférencière : Alexandra Lesnikowski, Université Concordia, A National Study of Housing Security and Flood Risk Exposure in Canada
La chercheuse a inauguré la troisième et dernière série de conférences portant sur le thème de la crise de l’habitation et des changements climatiques. Elle a examiné comment l’adaptation aux changements climatiques est formée par les conditions d’habitation. En effet, dans son projet de recherche, elle tend à démontrer les interactions entre les conditions d’habitation des locataires à travers le Canada et plusieurs autres éléments, comme les évènements météorologiques extrêmes et les vulnérabilités sociales, et plus particulièrement les enjeux de l’adaptation aux changements climatiques. Enfin, la chercheuse propose la notion de housing security, c’est-à-dire une habitation ou un logement qui assure sécurité et abordabilité aux locataires, tout en étant habitable et constitué d’infrastructures adéquates et accessibles.
Conférencier : Zack Carrière, Université Concordia, Determining Flood Risk Exposure for Social Housing in Canada
Zack Carrière présente ici les risques d’exposition aux inondations chez les locataires à travers les provinces canadiennes et leur vulnérabilité aux changements climatiques. En effet, peu de liens dans la littérature existent entre la vulnérabilité aux changements climatiques et la sécurité du logement (housing security). Dans ses travaux, le chercheur s’est particulièrement intéressé aux logements sociaux et aux 15 % des ménages canadiens vivant dans des logements sociaux exposés aux risques d’inondations. il démontre encore une fois la nécessité de lier les changements climatiques et la housing security, autant dans la recherche que dans les politiques d’habitation.
Conférencière : Anne-Marie D’Amours, Institut national de la recherche scientifique (INRS), Climate Change, Austerity Policies and Community Engagement Caring for the Most Vulnerable in a Warming City
Anne-Marie D’Amours a ensuite présenté ses recherches portant sur la crise climatique en contexte urbain et comment celle-ci exacerbe les vulnérabilités vécues par les populations. Elle s’est particulièrement intéressée aux chaleurs extrêmes et à la contribution des organismes communautaires dans l’adaptation à ces épisodes météorologiques extrêmes. Dans sa présentation, la chercheuse a mis l’accent sur les causes structurelles de la vulnérabilité, comme les désinvestissements urbains majeurs dans certains quartiers, ainsi que l’exclusion et la discrimination sociale vécues par certaines populations, l’austérité néolibérale et le renforcement de ces tendances. Ce dernier élément contribue d’ailleurs à responsabiliser les individus et à désinvestir la santé et les services sociaux. Elle souligne finalement la nécessité de reconnaitre les groupes et associations communautaires comme des acteurs faisant partie d’un réseau de soin qui possède l’expertise et le savoir pour aider les communautés dans leur adaptation à la chaleur.
Conférencière : Sophie Kingunza Makasi, Université McGill, Energy Poverty: Understanding Its Impact on Hospitalization among Canadian Adults Aged 40 and Older
La dernière conférence de cette première journée du Colloque annuel de l’Association américaine des géographes (AAG) a pu revenir sur la notion de pauvreté énergétique. Bien que des facteurs plus structurels comme l’augmentation des prix de l’énergie et la déficience des réseaux énergétiques puissent amplifier la pauvreté énergétique, plusieurs autres facteurs plutôt individuels sont également à prendre en considération. Sophie Kingunza Makasi a ainsi examiné les impacts sur la santé des personnes de 40 ans et plus et si la pauvreté énergétique peut influencer les risques de maladies cardiovasculaires et respiratoires. Ses résultats démontrent un lien clair entre les deux phénomènes. La chercheuse terminait sa présentation en proposant des recommandations pour les politiques, afin que celles-ci prennent en compte les risques sur la santé que pose l’enjeu de la précarité énergétique.
Conclusion
Les trois panels précédents soulèvent des questions sur les liens entre les infrastructures, la circulation de l’énergie, la crise de l’habitation, la crise climatique et la précarité énergétique. Ces recherches démontrent également la nécessité d’aborder ces enjeux de manière interactionnelle, dans un contexte où les villes doivent de plus en plus composer avec les conséquences des changements climatiques. Il a également été discuté que les conditions des logements sont souvent invisibilisées et peu abordées dans les politiques énergétiques, alors que les deux enjeux devraient interagir davantage. Ce colloque avait d’ailleurs pour but de faciliter la transmission des connaissances afin que les politiques publiques puissent concevoir des programmes qui vont de pair. Enfin, si le contexte européen a été précipité dans une crise de l’énergie et que les conséquences y sont bien visibles, les chercheurs et chercheuses présents à cette première journée du Colloque de l’AAG ont mentionné que l’Amérique du Nord et encore plus le Québec semblent vivre dans une illusion d’abondance énergétique, alors que celle-ci est une construction sociale qui doit être nuancée.
Deuxième journée : New Directions in Critical Border
Première session : Climate Action Task Force – Plenary Lecture
La deuxième journée du Colloque de l’AAG se passait à l’Université de Montréal. Elle débutait par une discussion du groupe de chercheuses qui travaille depuis quatre ans avec l’AAG pour créer de nouvelles pratiques pédagogiques et participer à la réduction des effets des changements climatiques. À partir de leurs réflexions, l’assemblée de l’AAG 2023 a été décentralisée dans les villes des universités participantes, dont Montréal. Dans une approche de justice sociale, les chercheuses et chercheurs impliqués insistent sur la mise en place d’approches radicales pour modifier les pratiques de mobilité liées aux conférences, colloques et évènements internationaux, ce qui nécessite de poser un regard critique sur les méthodes de recherche, sur l’importance apportée aux curriculums internationaux et plus généralement sur l’économie dominante des conférences internationales. Cela implique de prendre en compte les inégalités de genre et de race que ces réflexions engendrent : Qui voyage? Et qui porte une réflexion sur ses propres pratiques de mobilité? Des solutions existent pour transformer ces pratiques et engager les universités et réseaux de recherche dans des démarches de décarbonisation des universités[1].
Deuxième session : New Directions in Critical Border Studies 1
Par Flandrine Lusson
La journée s’est poursuivie autour de la thématique transversale New Directions in Critical Border, avec la projection du film Safe Haven (Molomot et Mountz, 2020) qui présente les récits de réfugié·e·s étasunien·ne·s ayant migré au Canada pour fuir l’enrôlement dans la guerre du Vietnam et, plus tard, en Irak. Il montre comment ces résistant·e·s ont participé à un mouvement de dénonciation et de soutien aux jeunes soldats américains engagés. À partir d’entrevues, le film explique tout le phénomène de prise de conscience et de détachement progressif des protagonistes par rapport aux discours dominants diffusés par leur pays et la réalité vécue. Cependant, le refuge au Canada n’est pas toujours devenu le paradis de sécurité attendu : si la migration a permis à certain·e·s de guérir du trauma et de reconstruire leur vie, certain·e·s étusunien·ne·s ont tout de même été déporté·e·s. L’histoire de ces résistant·e·s a aussi participé à sensibiliser le Canada à la réalité des États-Unis quant à l’enrôlement obligatoire.
Troisième session : New Directions in Critical Border Studies 2 - Emerging Scholars
Par Flandrine Lusson
Conférencière : Elizabeth Hessek, Université de Montréal, A Double Solitude : The Outcomes of Private Sponsorship for Queer Refugees
À l’intersection de la géographie et des études queers, les recherches d’Elizabeth Hessek s’inscrivent dans un contexte de migration internationale croissante et d’appels internationaux pour la protection des communautés LGBTQ+ pour qui la réalité de vie de réfugié·e·s s’apparente à une « double solitude ». En effet, si les personnes en situation de migration bénéficient de robustes réseaux de soutien internationaux, les réfugié·e·s queers vivent souvent de l’isolement et de l’invisibilisation. La chercheuse a travaillé avec des organisations de soutien aux réfugié·e·s queers afin d’organiser des ateliers de cartographie collaborative pour mieux comprendre leurs usages de l’espace, visibiliser leur place au sein des villes contemporaines d’accueil et engager un processus de réparation du trauma déclenché par leur parcours et leur situation.
Conférencière : Lama Boustani, Université de Montréal, Journeys, Im(mobilities) and Emotions: Understanding the Strategies of Resistance in the Everyday Practices of TransAmericas Migrants
L’étudiante au doctorat cherche à comprendre les mobilités et pratiques quotidiennes de personnes migrantes ainsi que les émotions et sentiments reliés aux espaces traversés. Afin d’analyser si et comment ces mobilités participent à reproduire des divisions entre migrant·e·s et non-migrant·e·s, elle réalise des ateliers de création cartographique et d’entretien en marchant dans deux villes, Montréal et Monterrey (Mexique). À Montréal, 13 participant·e·s ont suivi les neuf séances d’atelier. Les participant·e·s étaient invité·e·s à partager leurs savoirs sur le territoire, à prendre des photos et les joindre aux cartes, afin de laisser une marque de leur présence au sein des villes étudiées. Les cartes ont fait l’objet d’une exposition publique.
Conférencière : Ana Visan, Université Wilfrid Laurier, Conceptualizing the Borderlands: A Geographical Reclamation
Les recherches de Madame Visan portent sur la définition des territoires-frontières. Alors que les frontières sont des espaces physiques qui ont beaucoup été étudiés, les territorialités qui se construisent dans les territoires qui les bordent l’ont été bien moins. Ana Visan propose une typologie d’étude de ces espaces selon quatre approches : la géographie matérielle (éléments géographiques qui composent ces espaces tels que les océans ou les montagnes, et qui produisent de nouvelles frontières), les mobilités (mouvement et actions des individus qui participent à la production des espaces), l’approche légale (législations et impositions légales gouvernementales pour contrôler ces espaces) et l’approche numérique (méthodes utilisées par les gouvernements pour contrôler les migrant·e·s, et utilisées par les migrant·e·s pour se déplacer et se repérer).
Conférencière : Kate Motluk, Université Wilfrid Laurier, Diego Garcia: A Legal Black Hole in the Indian Ocean
La présentation a porté sur l’histoire de l’île Diego Garcia, une base militaire britannique située dans l’océan Indien. Diego Garcia est la dernière colonie britannique créée en 1965 dans un contexte d’indépendances mondiales pour en faire une base militaire, jusqu’à ce qu’en 2019 l’île Maurice soit reconnue par les Nations Unies comme autorité souveraine du territoire. Cependant, les habitant·e·s historiques de cette île, les Chagossiens et les Chagossiennes, d’abord mis en esclavage puis déportés progressivement par le gouvernement britannique, n’ont jamais vu leur existence ni leur droit de retour sur l’île reconnus. L’année 2023 marque le 50e anniversaire de la dernière déportation et Kate Motluk tenait à raconter cette histoire. Le principal défi de sa recherche était de trouver des ressources archivistiques en sachant que l’île est interdite aux touristes.
Conférencière : Kira Williams, Université Wilfrid Laurier, How to Arrive Somewhere, Not Here: The Origin and Structure of Maritime Interdiction of International Migration in the Mediterranean Sea
L’étudiante au doctorat propose une analyse historique de l’évolution des interdictions internationales contre la migration en mer Méditerranée. La chercheure essaie de comprendre les facteurs sociaux qui ont participé à l’institution d’interdictions en combinant une approche méthodologique critique, ancrée et historique. Ses recherches ont démontré que la logique d’interdiction de traversée des migrant·e·s dans la mer Méditerranée est historiquement inscrite au sein des opérations de blocus de ports. Ces opérations se sont ensuite déplacées en haute mer, afin de mieux gérer la distance et le succès du blocus, mais aussi pour étendre le pouvoir des autorités sur l’espace maritime. La première interdiction internationale contre la migration en zone maritime a été imposée par les États-Unis en 1991, et elle a inspiré toutes les autres mises en place en Australie, en Espagne, ou encore à Malte.
Conclusion
Cette journée a offert un ensemble de nouvelles réflexions liées à l’étude des frontières, des espaces-frontières, des migrant·e·s, de leurs territorialités et de leurs relations à l’espace, accompagnées de nouvelles méthodologies pour spatialiser, visibiliser et partager les réalités de vies de personnes en situation de migration, humaniser davantage les études sur la migration et reconnaitre leur présence dans les espaces : cartographie créative et collaborative, méthodologies qualitatives, création de films, diffusion d’histoires et d’historiques encore peu connus. Finalement, le soir même de la conférence, la fermeture du chemin Roxham par le gouvernement canadien a rappelé la complexité politique reliée à ces espaces et l’importance de développer de nouveaux savoirs pour réfléchir et répondre aux besoins d’une migration en croissance, que les frontières physiques et légales ne régleront pas.
Troisième journée : Creative and Collaborative Mapping of Memories
La cartographie collaborative et créative a pris une place importante dans les domaines de la géographie et des études urbaines et régionales, car elle permet de représenter l’invisible, l’intangible, les représentations, les émotions et les sentiments liés aux espaces traditionnellement cartographiés. Cette journée de présentations donne à voir la complémentarité et l’interrelation des projets de recherche menés par des chercheurs, chercheuses et étudiant·e·s de l’Université de Montréal, de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université Concordia, de l’Institut national de la recherche scientifique et de l’Université de Cardiff (pays de Galles). Appartenant à des laboratoires de recherche différents, les chercheuses et chercheurs sur place se connaissent déjà et ont, dans plusieurs cas, collaboré sur les mêmes projets, participant au développement, au partage et à la circulation de méthodologies en plein essor, à la frontière entre art, science et technique. La journée s’est divisée en trois parties : les deux premières sur les démarches de cartographies mémorielles collaboratives et la troisième sur la cartographie créative et non représentationnelle.
Première partie: Collaborative Mapping of Memories and Knowledges 1
Première session : Spatial Justice and Land Claims at the Frontiers of Capital
Introduction
Le premier bloc présenté lors de cette troisième et dernière journée de l’AAG s’intitulait Spatial Justice and Land Claims at the Frontiers of Capital et prenait place à l’Université Concordia. Cinq panélistes ont pu présenter leurs travaux sur des luttes de résistance et d’occupation du territoire dans les pays du Sud dans un contexte de mondialisation économique.
Par Sophie Lavoie
Conférencière : Céline Allaverdian, Université de Montréal, The Different Struggles for “Land” Justice in Myanmar and their Spatial Implications
Allaverdian a présenté ses recherches faites au Myanmar alors que le pays a connu d’importants mouvements et luttes de réappropriation des terres, autrefois confisquées par l’État colonial. La chercheuse donne tout d’abord quelques repères quant à l’histoire récente du Myanmar. Le pays traverse de nombreux conflits depuis la seconde moitié du 20e siècle en raison des violences coloniales qui ont eu lieu sur le territoire. Cette violence a mené aux déplacements et à l’éviction forcés de propriétaires qui habitaient leurs terres depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, ces mêmes propriétaires mobilisent des notions de justice spatiale afin que leurs propriétés leur reviennent. La chercheuse se focalise sur ces mobilisations pendant la période démocratique actuelle (2011-2021). Toutefois, le gouvernement a déployé une conception de la justice de reconnaissance envers les Autochtones du Myanmar alors que ces personnes visaient une redistribution spatiale de leurs terres. Selon Allaverdian, le gouvernement a fait avancer son programme électoral, en mobilisant une stratégie qui mentionnait la justice envers les Premières Nations. Les notions de justice peuvent ainsi être cadrées différemment selon les intérêts des personnes qui les mobilisent.
Conférencier : Lazar Konforti, Université de Toronto, Claiming Indigenous Spaces on the Extractive Frontier: Guatemala. * Avec la participation de Marie-Dominik Langlois, Université d’Ottawa
Cette deuxième présentation s’intéressait aux luttes des populations autochtones, cette fois-ci au Guatemala. Konforti a examiné les luttes de réappropriation du territoire des campesinos (fermiers) qui se sont vu confisquer leurs terres dans un contexte de mondialisation. Les terres ont ainsi été accaparées par des compagnies minières et de sucre, grâce à la complicité de l’État qui leur a délivré des papiers légitimes. Rapidement, les campesinos ont été expulsés de leurs terres par la police et l’armée. Or, ils sont nombreux à être retournés sur leurs terres pour les occuper. Konforti examine trois de ces conflits de réappropriation du territoire, plus particulièrement les stratégies et tactiques qui ont été mobilisées par les campesinos. Étonnamment, ce sont les stratégies les plus illégales qui ont le mieux fonctionné, comparativement aux autres tactiques, comme s’inscrire dans le marché et la propriété privée. Selon Konforti, ces études de cas soulèvent plusieurs questions concernant les mobilisations et les résistances pour se réapproprier le territoire : quelles formes doivent-elles prendre? Et doivent-elles s’inscrire dans des processus légaux (marché, propriété privée) ou dans des forces de résistance illégales?
Conférencière : Jenni Carolina Perdomo Sanchez, Université de Montréal, (Post) Conflict Ecologies in Colombia
L’étudiante au doctorante au département de géographie de l’Université de Montréal. Dans le cadre de cette conférence, elle a pu présenter ses travaux concernant les tensions économiques en Colombie, à l’ère du post-conflit. Elle s’est intéressée aux politiques néolibérales et à leurs impacts sur les milieux de vie locaux. Perdomo rend ainsi compte de la façon dont l’expansion du capitalisme suscite des mobilisations sociales.
Conférencière : Sofia Lana, Université de la Californie (San Diego), Building Sovereignty Near Melting Glaciers: The Politics of Infrastructure in Bolivia and Argentina’s Andes
Lana s’est intéressée au discours du changement climatique en Bolivie et en Argentine ainsi qu’à la manière dont ce discours est utilisé à l’avantage des colons afin de déplacer et d’expulser les Premières Nations. En effet, les changements climatiques permettent aux territoires des Andes d’augmenter la productivité capitaliste et de développer l’industrie touristique. Ce qui était autrefois des glaciers, compris comme étant un territoire immense, majestueux et hostile, est dorénavant présenté comme un endroit vide. Les glaciers ont en effet subi les conséquences des changements climatiques. Puisque historiquement, le territoire a toujours fait l’objet de contestations et de conflits entre les peuples des Premières Nations et les colons, l’histoire semble se répéter selon Lana, mais dans un contexte différent, alors que les technologies et le tourisme sont utilisés pour justifier l’expulsion des peuples des Premières Nations. Lana invite à réfléchir au discours propre aux changements climatiques et à la façon dont celui-ci peut être utilisé pour perpétuer les privilèges de certaines populations au détriment d’autres.
Conférencière : Estefania Martinez Esguerra, Université de Montréal, Producing Colombia’s “Last Agricultural Frontier”: Food Regime and Land Conflicts in the Aftermath of the 2007-2008 Global Food Crisis; International Agri-Food Development and Post-Conflict in the Aftermath of the 2007-2008 Global Food Crisis
Enfin, la dernière conférence de ce bloc remet en question la définition admise du terme « droit à la terre ». Esguerra examine les initiatives d’implantation de développement économique à grande échelle de projets d’agriculture agroalimentaire et leurs conséquences sur le territoire. En 2007, l’Amérique du Sud connaît une crise en raison d’une augmentation fulgurante du prix du riz et du soya. De nombreuses émeutes ont cours dans plus d’une trentaine de pays pour dénoncer le prix de l’alimentation. C’est dans ce contexte que ces pays organisent un mouvement pour devenir de grands producteurs alimentaires. Un de ces projets de développement économique est le Development Zones of Economics and Rural Interest (ZIDRES). Il s’agit d’une politique financée par des investissements de la Banque mondiale afin d’aider la Colombie à sortir du conflit. Une des municipalités sélectionnées, Puerta Gaitan, a assisté à de fortes mobilisations des travailleurs agricoles qui réclamaient de meilleures conditions de travail. Le problème soulevé par Esguerra est que le droit à la terre est compris par les autorités étatiques en termes de productivité du territoire, ce qui profite aux grandes compagnies alimentaires. Or, le droit à la terre doit-il être compris plutôt comme le droit collectif d’exister sur un territoire? Devrions-nous trouver de nouvelles définitions pour définir le droit à la terre, afin de mieux comprendre les relations d’exploitation qui s’exercent sur les territoires (dépossession)? Le gouvernement colombien comprend le droit à la terre seulement si un acteur a un projet d’extraction ou de production (alimentaire), ce qui exclut des populations.
Conclusion
Cette série de conférences portait sur les thèmes de la justice spatiale, du droit au territoire et de la production capitaliste. Elle soulève des préoccupations concernant les transformations récentes du capitalisme et sa néolibéralisation et l’interaction de ces phénomènes avec le colonialisme dans le contexte sud-américain. Les Premières Nations sont des populations et communautés qui résistent et trouvent des stratégies pour négocier et pour contester le développement capitaliste et son accaparement du territoire. Enfin, le territoire engendre des relations de pouvoir inégales au nom du productivisme et de l’extractivisme. Chercheurs et chercheuses sont invités à documenter ces processus spatiaux afin de rendre compte des résistances territoriales et des formes particulières et nouvelles qu’elles prennent au 21e siècle.
Deuxième session : Diverse Cities, Diverse Public Spaces: Appropriation and Negotiations of Everyday Urban Spaces
Introduction
Les conférences de ce bloc se sont intéressées aux transformations et évolutions urbaines récentes et au fait qu’elles produisent des formes sociales et spatiales nouvelles qui ont des conséquences sur les espaces publics. Ce bloc a été organisé par Khac Minh Tran, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, et s’est déroulé à l’Université Concordia.
Par Sophie Lavoie
Conférencier : Khac Minh Tran, Université du Québec à Montréal, Public Spaces in a Pandemic: Surveillance and Resilience in an Industrial City of Socialist Vietnam
La première conférence s’est intéressée à la période pandémique dans une ville du Vietnam. De nombreuses recherches en études urbaines ont été menées sur les logiques et mécanismes des régimes autoritaires socialistes en ville. Elles sont nombreuses à souligner que les individus composent au quotidien avec ces mécanismes et possèdent plusieurs stratégies pour contourner les gouvernements autoritaires. Pendant la pandémie, de nouvelles logiques de surveillance accrue de la population ont émergé. Les citoyen·ne·s ont également mobilisé de nouvelles stratégies de résistance, selon les travaux de Tran. À l’aide de la démarche Photovoice (utilisation de la photographie pour faciliter l’expression des sujets d’une recherche-action) afin de surmonter les obstacles linguistiques entre l’équipe de recherche et les participant·e·s, Tran démontre que la transformation des villes a également modifié les perceptions des habitant·e·s sur leurs villes, de même que les fonctions des bâtiments, les activités économiques, les comportements et la surveillance mutuelle entre les résident·e·s. Le travail accompli ici souligne finalement la capacité des États autoritaires à s’adapter au contexte pandémique.
Conférencier : Huu Lieu Dang, Université du Québec à Montréal, Rhythmanalysis of Pedestrian Streets in Hanoi (Vietnam): A Spatial-Temporal Reading of Public Spaces
Dang s’est intéressé aux relations de pouvoir dans le contexte d’une rue piétonne achalandée et touristique du Vietnam. En mobilisant la notion de rythmanalyse de Lefebvre, c’est-à-dire le caractère physique et spatial du rythme, la recherche présentée par Dang examine la façon dont les rues piétonnes sont produites et utilisées. Le concept de Lefebvre permet de souligner la présence d’un rythme dominant, et d’un rythme adaptatif. Ainsi, la rue piétonne étudiée dans le cadre de cette recherche rend compte d’un groupe producteur de l’espace qui comprend les autorités locales et les professionnel·le·s, ainsi que d’un groupe usager de la rue piétonne, soit les vendeur·se·s, les visiteur·se·s et les touristes. La recherche souligne ici les relations de pouvoir inégales propres aux rues piétonnes, alors que ces espaces publics sont multifonctionnels et que plusieurs usagers et usagères utilisent et produisent ces espaces.
Conférencier : Fabien Kerambrun, Université du Québec à Montréal, Tell Me About Public Space: Urban Development and Everyday Usage of Public Spaces in Trois-Rivières, a Regional City (Canada)
Kerambrun s’est penché sur les transformations récentes de la ville de Trois-Rivières, afin de pallier le manque de recherches concernant les développements socioéconomiques propres à certaines villes. Trois-Rivières a subi d’importantes transformations, qui s’inscrivent dans les processus de désindustrialisation et de compétition interurbaine. Ces transformations ne sont toutefois pas sans impact sur les espaces publics. À l’aide d’entretiens, le chercheur a pu relever plusieurs enjeux qui préoccupent les citoyen·ne·s, comme la cohabitation, la mixité sociale et la gentrification. Certains groupes sociaux peinent à cohabiter alors que la ville attire une nouvelle classe sociale plus aisée, mais crée également des inégalités économiques. Trois-Rivières a ainsi vu une augmentation de la population itinérante sur son territoire. Enfin, la touristification de la ville a des impacts négatifs sur la population locale. Celle-ci craint pour son identité et sa culture, alors que les achats locaux deviennent de plus en plus difficiles pour les personnes à faible revenu. La recherche souligne la nécessité d’analyser davantage les conséquences des transformations économiques post-industrielles sur certaines villes.
Conférencière : Adriana Huerta-Núñez, Université du Québec à Montréal, Public Space Dynamics and the Arrival of New Users: The Case of Pushkin Garden in Mexico City
La recherche de Huerta-Núñez porte sur les récentes transformations économiques dans le Jardin Pushkin, dans la ville de Mexico, alors que cet espace public a connu une requalification. Cette requalification a entraîné une modification des usages, mais aussi l’arrivée d’une nouvelle population plus aisée dans le quartier. La ville néolibérale et ses politiques urbaines visent à rendre les villes plus attractives, permettant aux villes de s’inscrire et de se positionner dans la compétition interurbaine. Or, ces processus ont des conséquences pour les ménages moins aisés qui habitent depuis longtemps leur quartier. Ainsi, en 2013, le Jardin Pushkin a été réaménagé selon certains critères. Le parc est aujourd’hui caractérisé par une plus grande surveillance policière, un parc à chiens et sert d’abord les intérêts des investissements dans le développement immobilier touristique et ceux des classes moyennes et aisées. Huerta-Núñez soulève ainsi plusieurs questions concernant la ville attractive et néolibérale. À qui ces investissements dans les espaces publics profitent-ils et quelles sont les dynamiques sociales créées par ces investissements?
Conférencière : Liliana Perez, Université de Montréal, Mapping Unequal Accessibility to Habitat Quality in the Capital City of Colombia: A Spatial Analysis Approach
La chercheuse a documenté les récentes transformations spatiales de la ville de Bogotá et les impacts de ces transformations sur les milieux humides. L’environnement de Bogotá est en effet constitué de nombreux cours d’eau et rivières qui ont été extrêmement affectés par l’étalement urbain massif qu’a connu la ville ces dernières années. Elle étudie les effets de l’étalement urbain sur ces écosystèmes humides, par l’entremise desquels la ville de Bogotá offre des services. La recherche calcule l’accessibilité à ces services et vérifie si cette accessibilité est la même pour l’ensemble de la population. À l’aide d’une analyse de régression et d’une corrélation spatiale entre l’accessibilité et les milieux humides, les résultats de a chercheuse montrent que ces écosystèmes sont menacés et que l’arrivée de ménages plus aisés signifie une menace pour l’environnement.
Conclusion
Les conférenciers et conférencières ont révélé les relations inégales produites par les villes dans le contexte où elles doivent prendre part à la compétition interurbaine et à la nécessité d’attirer les classes plus aisées. Ces processus de développement capitalistes invitent les chercheurs et les chercheuses à se questionner sur la façon de faire de la recherche afin de porter les voix des populations les plus marginalisées et précaires de la ville. S’intéresser aux transformations du territoire, de ses infrastructures et des espaces publics en lien avec le contexte néolibéral et de la crise climatique permet de rendre compte des processus inégaux dans le développement et la production de la ville.
Troisième session : Ethnographic Insights Into Infrastructure and Urban Flows
Introduction
Cette dernière série de conférences, organisée par Morgan Mouton, professeur à l’INRS au centre Urbanisation Culture et Société, a pu accueillir plusieurs chercheurs et chercheuses ayant mené des travaux sur les liens entre les infrastructures et les formes sociales urbaines propres aux villes. En effet, les infrastructures sont porteuses de conséquences sur les mondes urbains. Ces conséquences sont inégales et se vivent de manières diverses chez les populations et communautés urbaines.
Par Sophie Lavoie
Conférencier : Nipesh Palat Narayanan, Institut national de la recherche scientifique, “Who Is Dirtying Our Canals”: Urban Imageries and Infrastructure
Dans le cadre de cette recherche, le chercheur s’est intéressé aux représentations citoyennes des canaux dans une municipalité du Sri Lanka. Narayanan met ainsi en question le savoir dominant propre aux infrastructures. Il est compris en effet que ces dernières sont un bien commun qui fournit un service. Or, les biens communs servent la plupart du temps les intérêts de la classe dominante. Le chercheur observe les différentes conceptions et représentations des canaux et de leurs imaginaires urbains, propres aux différentes populations qui composent la ville. La vision dominante du canal n’est ainsi pas la même pour tout le monde et il existe plusieurs visions différentes des canaux. En menant de nombreux entretiens et en effectuant des séances d’observations participantes, le chercheur rend compte des liens qui se manifestent entre le canal et les divisions sociales entre les citoyen·ne·s. Le chercheur conclut que s’il y a plusieurs représentations du canal dans la ville, il y a ainsi plusieurs mondes, selon les mots de l’anthropologue Escobar.
Conférencière : Camila Patiño Sanchez, Université Concordia, Citizen Participation in Sustainable Stormwater Management: The Neoliberalization of Green Urban Planning in Montreal
À Montréal, la gestion des eaux est devenue tout récemment une priorité de l’Administration municipale. Cette nouvelle préoccupation de la métropole s’inscrit dans une tendance de la gestion des villes; celle d’inclure des dispositifs de participation citoyenne dans les processus décisionnels. Sanchez s’intéresse ici à ces nouveaux dispositifs dans la gestion des eaux pluviales, plus particulièrement à la façon dont les urbanistes considèrent cette participation citoyenne.
L’étude de cas présentée est celle des ruelles bleues-vertes dans Hochelaga-Maisonneuve. À l’aide d’entretiens in situ, la chercheuse a demandé aux personnes riveraines ce qu’elles pensaient de ce projet. Finalement, les dispositifs de participation citoyenne semblent créer de la confusion chez les riverain·e·s, qui ne comprennent pas bien ce qu’on attendait de leur part. Il a également été souligné que l’allée possède un caractère semi-privé, ce qui complexifie le projet et rend plus difficile son appropriation par les citoyen·ne·s. La chercheuse conclue en soulignant le risque de responsabilisation de l’individu et de transfert des responsabilités vers les citoyen·ne·s. Elle encourage également les recherches futures à s’intéresser aux formes matérielles de participation citoyenne de la vie de tous les jours. En effet, d’autres formes de participation citoyenne coexistent avec celle qui est admise comme étant formelle.
Conférencier : Clarence Hatton-Proulx, Institut national de la recherche scientifique, Reminiscences of a Noxious Cocoon: Oral Histories of Oil Refining in Montréal
L’étudiant au doctorat a présenté un chapitre de sa thèse portant sur les mémoires collectives et historiques de Montréal-Est. Dans ce quartier autrefois fortement industrialisé, l’industrie du pétrole et de nombreuses raffineries y occupaient une large proportion du territoire. Les classes ouvrières francophones bénéficiaient alors de cette structuration économique et sociale autour de ces industries. L’étudiant a pu mener des entretiens auprès de la population pour définir l’image mentale de cette époque. Il a découvert que l’identité de Montréal-Est était associée à une odeur très caractéristique, propre à la présence industrielle. Des accidents ont aussi marqué l’image de cette partie de Montréal, alors qu’une explosion importante a eu lieu dans cette zone. Les sujets rencontrés ont exprimé une forte nostalgie de cette époque en raison des emplois bien rémunérés, assortis de bonnes conditions de travail. De plus, l’image publique que déployait l’industrie était positive, car associée aux sports, suscitant ainsi la fierté des citoyen·ne·s. Le chercheur démontre également que malgré de nombreuses recherches environnementales et en santé qui ont dénoncé la toxicité de ces industries, les résident·e·s reconnaissaient le problème, mais mettaient ces études en doute. Ce chapitre du chercheur aide à mieux comprendre la ville industrielle et le capitalisme productif et comment ces époques particulières sont porteuses d’une nostalgie pour les personnes en ayant bénéficié.
Conférencier : Jeimy Arias Castano, Université de Montréal, Revisiting Housing Policies in Bogotá: Considerations on Critical Infrastructure Studies
La présentation du chercheur s’est intéressée à l’habitation à titre d’infrastructure matérielle et physique, mais aussi en tant que processus sociotechnique qui évolue et se transforme. À Bogotá, une série de politiques ont récemment été mises en place pour répondre à la rareté des ressources naturelles et économiques.
En effet, si les habitations sont connectées aux réseaux d’infrastructures qui fournissent eau et énergie, les nouvelles politiques ont restreint les ressources. Par conséquent, les politiques en matière d’habitation ont subi des transformations également, en cherchant elles aussi à réduire les coûts des ressources. Le financement des logements se fait donc dorénavant à partir des épargnes plutôt qu’en recourant à l’endettement ou au crédit, ce qui encourage les ménages à faire appel au secteur privé. Ces évolutions politiques et économiques ont des conséquences sur la production de la ville.
Le chercheur invite chercheurs et chercheuses à davantage étudier comment les infrastructures sont porteuses de temporalité, ce qui impacte le futur de ces dernières.
Conférencier : Morgan Mouton, Institut national de la recherche scientifique, Data Streams and Urban Metabolism: Research Perspectives and Methodological Explorations
Morgan Mouton a conclu cette dernière journée de l’AAG en offrant une réflexion sur la numérisation des infrastructures urbaines. Cette numérisation implique la « dataéisation » des services, pouvant être menée par des firmes et des compagnies spécialisées en technologies, ce qui a un impact sur les nouveaux aménagements. Sur le plan de la gouvernance, le tournant vers la numérisation peut impacter les administrations municipales, puisque la collecte de données simplifie les phénomènes et offre une vision étroite sur les particularités des populations et des territoires urbains. Certains groupes et communautés peuvent ainsi être invisibilisés, ce qui crée un savoir inégal. Enfin, Mouton examine les infrastructures qui permettent la circulation des données. Que se passe-t-il quand les données circulent différemment dans la ville? Que faire lorsque les données mènent à la centralisation des services? Mouton pose finalement les difficultés d’opérationnaliser ce sujet de recherche. Il propose de s’intéresser à l’épistémologie des données et de faire des ethnographies numériques, en explorant les composantes et les structures de la circulation des données. Cela pourrait donner finalement plus de détails sur les objectifs de la collecte de données en contexte urbain.
Conclusion
Les infrastructures sont façonnées par les contextes économiques, politiques et temporels des villes. Elles répondent à des intérêts sociopolitiques déterminés par les classes dominantes, et ces intérêts bénéficient de manière inégale aux communautés urbaines. Les conférences présentées soulèvent la nécessité d’examiner de plus près les formes matérielles de la ville, puisque ces dernières offrent des points de vue riches qui permettent de mieux saisir les conflits, les représentations qu’ont les populations de leur ville et les processus qui la produisent.
Quatrième session : Collaborative Mapping of Memories and Knowledges 1
Par Flandrine Lusson
Conférencière : Violaine Jolivet, Université de Montréal, « J’te parle du Nord »: Mapping and Giving Voice to Youth in a Stigmatized Neighborhood
Dans le cadre de ce projet, mené entre 2018 et 2020, plusieurs ateliers de création cartographique ont été organisés à la Maison sociale et communautaire de l’arrondissement, auxquels ont participé plusieurs jeunes avec le soutien de quatre étudiant·e·s. La première phase d’ateliers s’est concentrée sur la création de cartes mentales avec les participant·e·s et la deuxième phase, sur la collecte de photos qui étaient ensuite publiées sur une page Instagram, accompagnées des récits audios des participant·e·s. Le projet a mené à la création d’un site Internet qui permet de naviguer au sein des cartes produites, de rendre visibles les espaces silencieux ou mis sous silence dans un contexte de stigmatisation, pour finalement donner à voir les relations entretenues au sein de ces espaces, au-delà des discours dominants[2].
Conférencière : Sepideh Shahamati, Université Concordia, Making the Invisible City Visible: The Potentials of Mapping to Uncover the Intangible Heritage
Sepideh Shahamati mène actuellement sa recherche dans Parc-Extension, un quartier montréalais multiculturel et familial qui vit depuis plusieurs années un phénomène de gentrification. À partir de l’histoire orale, une méthodologie qui permet de collecter des récits intimes et riches en significations, elle avait pour objectif de comprendre puis de cartographier l’héritage intangible des huit participant·e·s à sa recherche. Pour ce faire, elle a d’abord cartographié et décrypté ses propres significations du quartier. Afin de connecter les récits récoltés aux nombreux espaces nommés lors des entretiens, elle a utilisé la plateforme cartographique Atlascine qui permet de joindre des textes, des enregistrements audios et vidéos, ainsi que de parcourir la carte au rythme du récit[3].
Conférencière : Flandrine Lusson, Institut de la recherche scientifique, Mapping 50 Years of Memories of Expropriation. The Case of the Mirabel Airport in Canada
Son étude vise à comprendre et cartographier les récits et lieux de mémoire à Mirabel, 50 ans après les expropriations massives ayant eu lieu à partir de 1969 pour la construction du nouvel aéroport international du Québec à Mirabel et dont les effets sociaux et spatiaux, malgré la rétrocession de la grande majorité des terres, sont toujours présents. Dans le cadre de cette recherche, elle a rencontré 29 résident·e·s et acteurs municipaux. Leurs récits sont présentés sous forme de cartes mémorielles et sensibles collectives, mettant en avant autant les lieux importants pour les participant·e·s que les dynamiques sociospatiales résultant des expropriations. Les cartes seront validées auprès des participant·e·s avant d’être rendues publiques lors d’une exposition à Mirabel.
Conférencier : Sébastien Caquard, Université Concordia, Cartographic Transformations and Transmission of Memories
Il a présenté ses travaux sur l’utilisation de la plateforme cartographique Atlascine, amorcés en 2008 avec le projet The Living Archives of Rwandan Exiles and Genocide Survivors in Canada. Réalisé à partir d’entrevues et d’archives, ce projet collaboratif se veut un référentiel numérique d’histoires de vie qui permet de suivre, de cartographier et d’écouter les récits de survivant·e·s du génocide rwandais[4]. Atlascine permet de lier des trajectoires et des parcours géographiques à des vidéos et des récits audios et de naviguer au sein de représentations spatiotemporelles particulières liées aux dynamiques de la mémoire. Au total, 21 histoires ont été mises en cartographie après approbation éthique, et l’ensemble du travail mené a été présenté sous forme d’exposition du 28 avril au 18 mai 2023 dans les locaux du Centre d’histoire orale et de récits numérisés de l’Université Concordia.
Deuxième partie: Collaborative Mapping of Memories and Knowledges 2
Première session : Collaborative Mapping of Memories and Knowledges 2
Par Flandrine Lusson
Conférencière : Julie-Anne Boudreau, Universidad Nacional Autónoma de México, Reparing the COVID City: Collaborative Comparative Mapping in Mexico City and Beyond
Le projet a débuté en juin 2020, en contexte de pandémie mondiale, dans le but de reconnecter les expériences et relations sociales en période de confinement. Un album a été diffusé en ligne dans lequel des individus de quatre continents ont publié et partagé leurs propres mondes en récits et photos (espace domestique et interstitiel). En 2021, un an après la première expérience cartographique, une seconde expérimentation a été mise en place à Mexico. Lors de trois ateliers cartographiques, les microexpériences géographiques de 11 femmes durant la pandémie ont été explorées par l’approche collective, l’échange, la visualisation et la sensibilité transformatrice, afin d’amorcer une démarche active de réparation de l’instant. Le résultat propose une cartographie détaillée du temps, des responsabilités et des émotions reliées.
Conférencière : Léa Denieul, Université Concordia, (Re)purposing Cadasters: When Mapping Ecclesiastical Archives Advocates for Indigenous Land Rights
En collaboration avec une membre activiste de la communauté Kanesatake, elle a travaillé à la cartographie détaillée du moment où chacune des terres de la communauté a été vendue par les ecclésiastiques. Kanesatake représente aujourd’hui 2 % de son territoire ancestral. Afin de comprendre les potentiels et les limites des archives ecclésiastiques pour raconter l’histoire de la dépossession des terres à Kanesatake et avoir un impact sur les revendications de justice spatiale de la communauté, Léa Denieul a procédé à un long travail de collecte d’archives, de cadastres, de registres et d’actes de vente pour les 1830 lots concernés. Ce travail a permis de construire une base de données géographiques complète, transformée en cartes statiques et interactives, lesquelles ont ensuite été redonnées à la communauté. Trois grandes périodes de dépossession ont été mises en lumière : 1700-1800, 1820-1829 et 1860-1890 pour la création de la ville d’Oka.
Conférencière : Naomie Léonard, Institut de la recherche scientifique, Centering the Body in Participatory Mapping: An Exploration of Indigenous Women’s Care Spaces in Mashteuiatsh
À partir d’une approche à l’intersection des études urbaines, des études du genre et des études autochtones, elle cherche à comprendre les réalités et perspectives de femmes autochtones au sein d’espaces colonisés. Elle mobilise l’histoire orale et la cartographie corporelle pour refléter à la fois les histoires de ces femmes, leurs trajectoires et les processus sociaux et politiques qui ressortent de leur représentation et de leur action. Approchant le corps comme un construit social et politique, marqué par des privilèges et des oppressions, la cartographie corporelle permet ici de se reconcentrer sur son soi, de développer des moments d’autoréflexion, pour partager son histoire. L’expérience a été menée au cours d’un atelier auquel 11 femmes ont participé, et a été suivie d’entretiens individuels avec les participantes. À l’été 2023, une exposition présentera les cartes produites.
Conférencière : Marie-Eve Drouin-Gagné et Stéphane Guimont Marceau, Institut national de la recherche scientifique, Weaving Stories of Tiohtià:ke: Participatory Mapping with Indigenous Youth from Montreal’s Urban Community
L’objectif de cette recherche menée à Montréal en mars 2022 avec sept jeunes autochtones était de cocréer de nouveaux savoirs et perspectives de Montréal comme espace autochtone, de cartographier et de visibiliser, au sein d’un même support, les territorialités de jeunes autochtones urbains, leurs expériences, relations et histoires en lien avec ce territoire. La carte finale se présente sous forme de nœuds et de thématiques non géoréférencées, interconnectées et en circulation, coconstruits collectivement par les participant·e·s au cours de plusieurs ateliers sous différents thèmes (identités, prendre sa place dans la ville, se sentir chez soi, culture et communauté, relations avec les non-Autochtones, nature dans la ville).
Troisième partie: The creative and non-representational soul of mapping
Première session : The Creative and Non-Representational Soul of Mapping
Par Flandrine Lusson
Conférencier : José Alavez, Université Concordia, Mapping Ofrenda: Mapping as Mourning in the Context of Migration
Les recherches de José Alavez visent à comprendre si le phénomène des ofrendas – autels érigés en hommage aux ancêtres à qui sont offerts de la nourriture, des objets et des photos – se reproduit dans un contexte de migration. Elles permettent aussi de comprendre comment, dans un autre pays, les personnes en situation de migration se remémorent leurs défunt·e·s. Pour ce faire, le chercheur a mobilisé deux approches : cartographier l’autel en lui-même, en utilisant des photos et en les plaçant, avec les histoires qui les accompagnent, sur la plateforme cartographique Atlascine, et cartographier « comme une ofrenda », c’est-à-dire mener une démarche de cartographie collaborative avec les familles participantes, retraçant l’histoire des morts de la famille et participer à un processus de remémoration en contexte de migration.
Conférencière : Sarah Bengle, Université de Montréal, Mapping the Intimate Legacy of the Life and Work of Jean-Paul Riopelle
Ce projet, situé entre la cartographie et l’histoire orale, s’inscrit dans une démarche de recherche-création issue du projet Raconte-moi Riopelle, un concours de création basé sur la collecte d’un corpus de 21 histoires orales retraçant la vie du peintre Jean-Paul Riopelle. En s’interrogeant sur les possibilités de cartographies d’histoires orales, la chercheuse a privilégié la cartographie sensible dessinée dans l’instant, au rythme de l’écoute des histoires, sans pause. Un total de sept cartes chronologiques a été réalisé, mélangeant dessins et textes. Les récits étant non linéaires, l’enjeu était de produire des cartes qui reflètent à la fois les récits des proches de l’artiste et la vie de Jean-Paul Riopelle. Pour accompagner les cartes produites, elle a enregistré et cartographié sa propre mémoire du processus et de la démarche qu’elle a menés.
Conférencière : Fabiana D’Ascenzo, Université de Cardiff (pays de Galles), Unfolding the City. Kinshasa between Literary Geography and Collage
L’étudiante a présenté ses travaux de recherche sur les formes sociales, culturelles, politiques et psychologiques dans lesquelles l’espace et le lieu peuvent se révéler, ainsi que sur les rapports entre la géographie et l’écrire. Elle s’appuie sur la technique du collage comme forme postreprésentationnelle pour lire l’espace non conscient, les émotions et les sentiments qui y sont liés. Elle considère le collage comme un montage dans lequel sont réorganisés des fragments de récits, d’émotions et d’histoires spatiales, donnant à voir les relations tissées avec les objets présentés. Représentant des formes urbaines, des activités informelles, des formes de résistances, elle a construit ses collages de façon non mimétique, ouverte sur la nature des lieux, dans une démarche rhizomique, et un processus de devenir.
Conférencière : Élise Olmedo, Université Concordia, How We (Really) Do Maps? The Potential of Sensibility Mapping for Representing Mapping Processes
Dans une approche postreprésentationnelle, elle base son travail sur la création de cartes sensibles, une méthode à la frontière entre art et science, intimité/émotions et représentation, historiquement menée par des activistes et adeptes de la cartographie, et démocratisée depuis les années 1990 par le mouvement de déconstruction de la cartographie. Investie par les approches féministes, Élise Olmedo va encore plus loin pour sortir de l’approche de visualisation cartographique et traduire par le dessin des expériences de territoires. Elle a participé à la création d’un Atlas subjectif des histoires d’une survivante du génocide au Rwanda, pour (re)créer les récits et les cartes liés à son histoire. Cherchant à révéler le « hors-carte », ce qui est automatiquement coupé des cartes, cette démarche met en valeur les émotions cachées derrière les souvenirs du traumatisme, tout en restant à l’écoute des désirs des deux collaboratrices.