Compte rendu de la conférence d’Eva Simon
La copropriété dégradée est-elle l’avenir du Québec ? Histoire des politiques publiques françaises d’identification et d’intervention sur les copropriétés dégradées
Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS (385 rue Sherbrooke Est, Montréal)
Jeudi le 18 février 2016
Auteure : Maude Cournoyer-Gendron
Présentation de l’événement
La conférencière, Eva SIMON, est doctorante au Laboratoire PACTE de l’Université de Grenoble. Elle est chercheure invitée à l’INRS-UCS depuis janvier 2016. Dans le cadre de sa thèse, elle s’est intéressée au phénomène de dégradation des copropriétés à partir des cas de Marseille, Grenoble, Lyon. Cette conférence fut l’occasion d’échanger sur le phénomène, considérer les différentes interventions des pouvoirs publics et de réfléchir aux points de convergence entre les situations française et québécoise.
La conférence a été animée par Xavier LELOUP, professeur à l’INRS-UCS.
Introduction
En guise d’introduction, Xavier Leloup souligne les contextes différents entre la France et le Québec quant à la question de la copropriété et de la copropriété dégradée. Il remarque qu’au Québec, le rôle de l’intervention publique est plus faible qu’en France et qu’ici, les copropriétés sont généralement dans le marché privé. Toutefois, on observe de plus en plus de copropriétés où le bailleur est public, dans la poursuite d’un objectif de mixité sociale.
Le phénomène de la dégradation de la copropriété est lié à l’usage et est inévitable. Il existe en effet différents types de construction, différentes gammes de produits qui peuvent se traduire en différentes trajectoires de vieillissement. À Montréal et au Québec, les dernières années ont connu une forte production de condos (copropriétés) et en ce sens, aborder l’expérience française relativement à la copropriété et à sa dégradation s’avère pertinent.
L’action publique sur les copropriétés dégradées en France
La présentation s’amorce avec un rappel rapide de ce qu’est la copropriété : une structure juridique et non une forme urbaine. C’est-à-dire qu’une copropriété peut être un immeuble, un groupe de maisons, plusieurs immeubles, un quartier de ville, etc., où les propriétaires sont unis dans une structure juridique où chacun achète aussi une quote-part des parties communes (toit, escalier, conduites, façades, stationnement, etc.). La copropriété est ainsi une entité organisée : les propriétaires doivent se réunir pour prendre des décisions quant à l’entretien. En France, ces décisions sont prises en Assemblée générale, et un professionnel (le syndic) est chargé de l’exécution des décisions.
La copropriété ainsi est au centre de deux enjeux distincts, celui d’habiter ensemble et celui de gérer ensemble. Les acteurs de ces deux enjeux ne sont pas nécessairement les mêmes (pensons aux propriétaires habitants, aux locataires ou aux bailleurs).
La présentation se divise en quatre parties : une présentation générale sur le phénomène de la dégradation est faite, pour ensuite aborder l’histoire du développement de la copropriété en France. Une fois le contexte posé, il sera question de l’intervention publique sur la copropriété dégradée, et finalement des effets des différentes politiques publiques.
Le phénomène de dégradation
La dégradation est un processus et non un état. Afin d’illustrer le processus de dégradation, Eva Simon évoque la forme d’une spirale, où il est difficile d’identifier l’élément déclencheur – en se référant aux travaux de Sylvaine Le Garrec (notamment Le Garrec 2014). Elle identifie certains facteurs aggravants qu’elle regroupe en trois catégories:
- « le mauvais départ » – un bâtiment de mauvaise qualité ou qui a des malfaçons;
- « Les handicaps structurels » – des enchevêtrements juridiques, des équipements coûteux à entretenir, une grande proportion de propriétaires bailleurs qui ne sont pas intéressés à rénover l’immeuble;
- « le mauvais contexte » – des professionnels peu ou mal informés, des lois incomplètes ou la présence de nuisances environnementales.
Le développement de la copropriété en France
Dans le contexte de l’après-guerre en France, il y a l’explosion de la copropriété selon trois facteurs : besoin énorme en logements (manque à gagner de 1 million de logements), la crise du système rentier (Topalov 1987) où il devient plus rentable de vendre les logements que de les louer, et le fait que l’État finance la construction industrielle de logements avec un système de primes et prêts (exemple du prêt LOGECO)et incite financièrement les ménages à l’accession à la propriété. La conséquence de tout ceci est la construction de grands ensembles au courant de cette période, dont les trois quarts sont en copropriétés et seulement le quart des logements sociaux. Dès les années 1970, il y a un début de la perte d’attrait pour la copropriété, et l’amorce de la dégradation.
Il faut aussi mentionner la loi de 1965 qui établit les règles de l’organisation de la copropriété, créant une nouvelle classe de professionnels de la copropriété (les syndics, avocats, experts, juges, géomètres, etc.). L’intervention publique sur les copropriétés dégradées se fait sur les bases de cette loi.
L’intervention publique en matière de copropriété
L’action publique sur les copropriétés dégradées s’amorce dans les années 1970, mais elle est alors axée sur la notion d’aide à la personne : une mission qui ne vise plus seulement à financer la construction, mais aussi à aider les ménages les plus fragiles à se loger. Les pouvoirs publics considèrent alors les parcs de copropriétés dégradés comme parcs de logement social « de fait » (ménages pauvres qui n’arrivent pas à se loger autrement). L’intervention de l’État se fait aussi par la politique de rénovation des quartiers anciens dégradés, et par la politique de la ville (autour des grands ensembles). Ces deux politiques n’ont pas la même vision de la ville, l’une préoccupée par le bâti et l’autre par les concentrations de ménages pauvres. L’intervention publique en matière de copropriété se fera tour à tour sur ces deux facettes (le bâti et le social).
L’un des problèmes de l’intervention est l’absence de données statistiques sur les copropriétés (ou sur leur dégradation). Les communes ont donc le rôle de repérer elles-mêmes les copropriétés qui ne vont pas bien, pour proposer une intervention à l’État qui mettra en place certains dispositifs publics pour agir sur certaines copropriétés. Dans la pratique, l’intervention se fait donc par l’initiative locale avec un financement mixte entre le local et l’État central. Eva Simon souligne que ce ne sont pas les mêmes types de copropriétés qui s’insèrent dans les dispositifs mis en place par l’État, d’une commune à l’autre.
Dans ses recherches, Eva Simon a identifié quatre stratégies d’intervention locale mises en place par les communes.
- Stratégie gestionnaire : le problème est la gestion (les charges, les charges non payées) et la solution se trouve dans la formation et l’assistance des propriétaires.
- Stratégie de rénovation : le problème est que les propriétaires ne peuvent financer les travaux (trop pauvres), la solution est dans le financement (octroi de subvention) d’un programme de travaux, l’augmentation du nombre de propriétaires occupant et la formation.
- Stratégie de peuplement : le problème est la concentration de ménages pauvres et la mauvaise image de la copropriété. La solution est alors dans le changement de la population (rachat d’une partie des logements pour en faire des logements sociaux), l’animation, le réaménagement de l’extérieur de la copropriété.
- Stratégie du « débrouillez-vous » : le problème se situe dans la sphère privée (la copropriété est du logement privé) et la solution se situe aussi dans le privé : aller voir des associations de consommateurs ou se servir de la loi.
Il est noté que certaines communes s’ancrent dans une stratégie, certaines vont alterner et d’autres communes combinent la stratégie de rénovation (pour les copropriétés pas trop mal en point) à celle du peuplement (pour les copropriétés plus problématiques, et où la solution sera la destruction).
Les effets de la politique publique sur la copropriété
Eva Simon nous présente quelques résultats de ses recherches quant aux effets des politiques publiques en matière de copropriété.
Un des constats est que la question de la gestion semble un enjeu central. La stratégie de la rénovation peut fonctionner dans les cas où il n’y a pas d’endettement (charges impayées) ou autres problèmes de gestion. Elle remarque par ailleurs que la stratégie du peuplement semble généralement plus coûteuse et n’atteint pas réellement ses objectifs. À titre d’exemple, Eva Simon mentionne Lyon, Paris et Grenoble qui ont tenté cette avenue, mais sans résultats. Son constat, quant à la stratégie du « débrouillez-vous » exercée par certaines communes, est qu’une amélioration de la situation n’est pas impossible que la situation s’améliore (quelques cas sont connus), mais qu’il s’agit d’un pari de quitte ou double puisque l’inaction mène souvent à la détérioration de la situation.
À Marseille et en Ile-de-France, on constate qu’il y a des copropriétés qui sont dans un état de forte dégradation (immeubles pas ou peu entretenus où l’on retrouve des logements sans eau et sans électricité, où les valeurs immobilières sont très basses). À l’inverse, dans le cas de Lyon et Grenoble, on retrouvait des copropriétés fortement dégradées dans des situations similaires dans les années 1970, mais plus de nos jours. Les cas à l’étude soulignent ainsi l’importance d’avoir une action publique organisée, structurée et compétente.
Un des éléments qui a émergé et qui semble central est le rôle de la justice (de la loi), notamment sur l’organisation de la copropriété et sur le paiement des charges. Il se peut que dans certains cas, la justice freine l’action publique (l’exemple d’une commune où le juge ne contraint pas les copropriétaires à payer les impayés). C’est là un aspect qui reste peu abordé dans la littérature (par des non-juristes).
Eva Simon conclut en soulignant la situation paradoxale observée, avec d’un côté les communes où l’action publique fonctionne bien qui sont aussi celles qui obtiennent un financement de la part de l’État (dans son étude, Grenoble et Lyon), et, de l’autre, les communes où l’action publique est (a été) inefficace et qui n’obtiennent pas le financement de l’État (Marseille et Paris). Elle nomme cette situation le dilemme du lampadaire : le palier national a le choix entre une action publique efficace là où il n’y en a pas besoin et une action publique inefficace là où il en a besoin, et préfère la première solution.
Discussion
La discussion qui suit la présentation porte principalement sur les façons dont il est possible de tirer des conclusions et des leçons pour le cas québécois. Une première question est posée sur le programme LOGECO, avec lequel l’État français a voulu faire construire des logements pour une tranche modeste de la population (avec des prêts avantageux, une taille de logement plus petite et une qualité des matériaux plus basse, de 1953 à 1960). Questionnée ensuite sur les dispositifs plus récents, Eva Simon poursuit en énumérant quelques exemples d’intervention locale : l’exemple d’un rachat d’une grande quantité de logements à Clichy-Montfermeil pour en faire ensuite la démolition (en partie); une autre stratégie de la même commune a été l’aide à la gestion par le financement d’un poste pour favoriser la formation des copropriétaires et observer le travail des syndics (ce qui a réussi à baisser les impayés et réduire le montant des charges); à Lyon et Grenoble, il y a eu la mise sur pied d’un plan de sauvegarde dédié aux copropriétés dégradées, un dispositif nommé Opération programmée d’amélioration de l’habitat, qui vise le diagnostic complet, la proposition d’un programme de rénovation et des subventions (communes et État). Ce dernier programme vise principalement l’intervention sur le cadre bâti, mais il faut souligner que dans le cas de Lyon et Grenoble, ce dispositif récent s’insère dans une intervention publique qui s’échelonne sur 40 ans.
Xavier Leloup soulève que dans le contexte québécois, beaucoup plus libéral et moins interventionniste, ce type d’action publique est inimaginable. L’idée est plutôt de laisser le privé se débrouiller avec les problèmes qu’il génère. Au Québec, il est prévu de mettre sur pied un fonds de prévoyance pour chaque copropriété (l’idée est d’amortir le bien). Dans le cas français, il s’avère qu’ils sont inexistants, malgré le fait que certains acteurs aient soulevé la pertinence de telles mesures (depuis 1980), la loi de 1965 reste inchangée. C’est là, selon Xavier Leloup, une des différences entre la France et le Québec, la façon d’envisager l’amortissement des biens et des coûts de construction (immeubles).