Vivre en ville, la voie des collectivités viables Crédits photo : Étienne Poulin et Anne-Marie D’Amours, 2021
Vivre en ville, la voie des collectivités viables Crédits photo : Étienne Poulin et Anne-Marie D’Amours, 2021

Compte rendu – Grand Rendez-vous Collectivités viables 2021

Traverser les crises : de la résilience climatique à l’abordabilité du logement

Par Anne-Marie D’Amours et Étienne Poulin, étudiant.es à la maîtrise en études urbaines (INRS)

Un événement organisé par Vivre en Ville en octobre 2021

Présentation

Les 6 et 7 octobre derniers se tenait le Grand Rendez-vous Collectivités viables au Marché Bonsecours sur le thème Traverser les crises : de la résilience climatique à l’abordabilité du logement. Organisé par Vivre en Ville, et tenu pour la première fois sur deux journées consécutives, cet événement accessible en présentiel et en virtuel se voulait une occasion d’apprentissages et d’échanges sur les conditions de la résilience urbaine et la construction de collectivités en santé dans le contexte d’une double crise : le réchauffement climatique et la crise du logement. Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, amorce d’ailleurs cette série de conférences et de panels par un appel à cesser d’être « tétanisé » par la crise sanitaire, affirmant qu’il est désormais impératif et urgent de s’attaquer à ces deux crises écologique et sociale que connaissent en parallèle les communautés.

Adapter les villes aux conséquences du réchauffement climatique

La première des deux journées mettait majoritairement l’accent sur l’enjeu des changements climatiques. Si l’un des buts de ce rendez-vous de spécialistes était de proposer des exemples inspirants pour traverser cette crise, l’architecte Éric Daniel-Lacombe a su bien lancer le bal en présentant une série de projets de réaménagements dans des villes françaises aux prises avec des inondations récurrentes. Selon lui, l’architecture devrait être saisie comme une opportunité d’apprendre à nager, soit une occasion d’apprendre à vivre avec l’eau en lui attribuant une place au moment de bâtir la ville. Les cas présentés témoignent en effet de sa position selon laquelle il est essentiel de donner une priorité aux régulateurs naturels, de rapprocher les gens de la nature et surtout de métamorphoser plutôt que dézoner. Il fait notamment des « dessins mouillés » pour repenser une ville mieux adaptée aux mouvements de l’eau, et donc plus résiliente aux inondations.

La dernière conférence de l’avant-midi était donnée par Blair Feltmate, directeur du Centre Intact de l’Université de Waterloo qui a parlé de l’apport des compagnies d’assurances dans l’adaptation aux changements climatiques. Livré sur un ton alarmiste, son message était clair : on a tendance à mettre beaucoup d’efforts sur la mitigation alors que les changements climatiques « sont là pour rester ». Et puisqu’ils sont probablement irréversibles, davantage d’efforts doivent être mis sur l’adaptation à leurs conséquences déjà visibles. Selon lui, les compagnies d’assurances, en partenariat avec certains fonctionnaires municipaux, peuvent avoir un rôle à jouer en encourageant les propriétaires à changer des comportements ou apporter de légères modifications à leurs habitations pour les rendre moins vulnérables à des inondations de plus en plus fréquentes.

Au retour de la pause du dîner, la parole a été passée à la professeure Meg Holden de l’Université Simon Fraser qui a présenté diverses études de cas d’écoquartiers des quatre coins de la planète. En passant par les critiques souvent adressées à ces entités urbaines et par la confusion quant à leur définition, la conférencière montre somme toute leur apport dans l’atteinte d’une résilience urbaine pour les années à venir. Elle présente des exemples inspirants d’écoquartiers où mixité sociale, convivialité, verdissement et génie technique se combinent.

Estelle Le Roux, Co-fondatrice et directrice générale de Village Urbain, lors du panel Exploits et réussites en abordabilité durable Crédits photo : Étienne Poulin et Anne-Marie D’Amours, 2021
Estelle Le Roux, Co-fondatrice et directrice générale de Village Urbain, lors du panel Exploits et réussites en abordabilité durable
Crédits photo : Étienne Poulin et Anne-Marie D’Amours, 2021

La journée a aussi été ponctuée de trois panels regroupant des spécialistes en aménagement et en environnement. Les deux premiers ont permis de faire un survol de diverses initiatives d’aménagements urbains (rues, parcs, zones riveraines, plaines inondables, etc.) pensées pour faire plus de place à la nature dans nos villes et répondant à des objectifs de durabilité et de résilience à divers aléas. Dans ces deux panels, l’accent était surtout mis sur le verdissement et la gestion de l’eau. Le troisième panel de la journée, intitulé Panorama d’initiatives immobilières, a permis d’explorer des pistes intéressantes pour répondre à l’enjeu délicat de la demande grandissante de logements suivant des impératifs de densité, d’abordabilité et de convivialité, tout en demeurant écologique et résilient. Yann Omer-Kassin de Bâtir son quartier conclut le panel en affirmant que construire et s’adapter aux changements climatiques en créant des milieux résilients est un défi que l’on doit relever obligatoirement.

La grande conférence qui clôturait cette première journée était donnée par Khelsilem, représentant de la Nation Squamish et instigateur de l’audacieux projet immobilier carboneutre Sen̓áḵw North Vancouver. Construit sur des terres autochtones et censé fournir 6 000 logements à la ville d’ici quelques années, son design novateur s’inspire de la nature et de l’art squamish. C’est sur un ton engagé que le conférencier a raconté l’expropriation de son peuple de ce territoire autrefois beaucoup plus grand et continuellement rongé par la combinaison du colonialisme et d’un impératif de croissance urbaine nullement soucieuse de ses habitants ancestraux. Il a ensuite montré tout le potentiel que recèle la construction de tels projets sur des territoires autochtones, puisqu’ils échappent à la lourdeur institutionnelle et aux contraintes des normes de zonage empêchant de répondre à la crise du logement que Vancouver connaît depuis déjà plusieurs années. « We need more Indigenous urbanists! », a-t-il conclu en affirmant qu’agir pour le bien de son peuple correspond également à agir pour le bien commun.

Dynamiques d’abordabilité et de durabilité en habitation

C’est également sur un ton fortement engagé que s’est amorcée la deuxième journée. La conférence d’ouverture était donnée par Alex Baca, directrice des politiques publiques de Greater Greater Washington, un organisme à but non lucratif qui œuvre et milite en faveur d’un développement urbain inclusif et diversifié dans la ville de Washington aux États-Unis. La conférencière a expliqué comment se creusent les inégalités, notamment en matière d’accès au logement et à la propriété. Elle a également démontré que, pour être véritablement équitables, les politiques favorisant des logements abordables doivent prendre acte des inégalités socioéconomiques, raciales et culturelles préexistantes et veiller activement à les inclure dans la planification. « If you don’t get it right, public policies will disadvantage those who are already under-resourced, discriminated against, and denied the power to live their lives with dignity. »

La deuxième conférence était prononcée par Adam Mongrain, coordonnateur du volet habitation de Vivre en Ville, dont le propos faisait le pont entre les deux grandes thématiques de la rencontre : pour contourner le problème de la hausse des prix des logements et des propriétés, s’établir hors des grands centres est souvent une des seules options possibles. Or, avec les formes d’aménagement du territoire actuelles, s’établir hors des grands centres équivaut la plupart du temps à contribuer à l’étalement urbain, et par extension à mener un mode de vie qui émet davantage de GES que dans les centres urbains. La crise du logement et les enjeux climatiques sont ainsi intimement liés. C’est pour résoudre ce double problème que Vivre en Ville a mis sur pied le Laboratoire de solutions pour l’abordabilité et la durabilité en habitation où sont émises un ensemble de recommandations : ajustements réglementaires, nouvelles sources de financement et montages financiers, nouveaux cadres fiscaux, révisions des normes de construction et d’exploitation, mise en place de politiques structurantes, etc.

Trois panels étaient ensuite organisés. Le premier réunissait trois spécialistes de Toronto, Vancouver et Montréal qui travaillent sur la question de l’abordabilité et du logement pour y présenter les enjeux et dynamiques de l’abordabilité propres à chacune de ces trois métropoles canadiennes. Bien que la crise ne soit pas encore ressentie de manière aussi prononcée à Montréal, il n’en demeure pas moins que cette ville est engagée dans la même tendance que les deux premières et doit agir rapidement pour freiner l’augmentation des prix des propriétés et des loyers. Le deuxième panel rassemblait trois des neuf jeunes personnes nouvellement élues dans des municipalités québécoises ayant contribué à un recueil récemment publié, 11 brefs essais pour des villes résilientes et durables. Ce panel visait à discuter des enjeux abordés dans ce recueil, notamment le transport actif, l’agriculture, la souveraineté alimentaire, les changements climatiques, les services écosystémiques et leur intégration dans la réglementation, mais surtout les leviers qui sont à la portée des municipalités pour s’attaquer à ces enjeux. Finalement, les représentant.es des OBNL Vivacité, Foncier solidaire et Village Urbain ont soulevé des enjeux liés à l’habitation en proposant des modèles d’accès à la propriété immobilière ou au logement qui favorisent à la fois équité et durabilité environnementale.

Suivant ces trois panels, l’architecte Michael Eliason a présenté les effets du zonage et des codes de construction sur la performance énergétique et écologique des bâtiments ainsi que sur la qualité de vie des résident.es. Prônant une exploitation du potentiel de la mixité des usages dans les milieux urbains, l’architecte propose d’utiliser les synergies possibles entre les usages pour améliorer les conditions de vie et l’efficacité énergétique des constructions en s’inspirant des modèles d’habitats passifs. Ultimement, au-delà des modèles spécifiques d’habitation, il importe de réfléchir à la planification de même qu’aux codes et aux lois qui régissent la construction de bâtiments afin qu’ils tiennent compte des enjeux liés aux changements climatiques.

Pour terminer, c’est Robert Beaudry, responsable de l’habitation, de la stratégie immobilière, des grands parcs et du parc Jean-Drapeau de Montréal, qui donnait la conférence de fermeture de cette deuxième journée. L’habitation est un droit; la possibilité de se loger est une condition sine qua non à une société égalitaire. Or, l’augmentation actuelle, inégalée depuis 17 ans, vient fragiliser pour encore plus de personnes l’accès à un logement.