Compte rendu
Journée d’étude Aménager la proximité
Par Agathe Parent Corriveau, étudiante à la maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Présentation
Le 21 mai 2024 a eu lieu à l’École de design de l’UQAM une journée d’étude sur les formes architecturales de l’interaction entre municipalités et citoyen·ne·s. La journée était organisée autour de quatre tables rondes réunissant vingt-trois chercheuses, chercheurs et professionnel·le·s des domaines du design, de l’architecture, de l’urbanisme et des sciences politiques et sociales. Un public tout aussi nombreux et diversifié que les participant·e·s a assisté aux échanges de la journée, tenue dans une des salles d’atelier du pavillon de design.
L’exposition
Dans le hall d’entrée de l’École de design était présentée, parallèlement à la journée d’étude, l’exposition Aménager la proximité. Ouverte au public du 21 mai au 3 juillet 2024, on y révélait les résultats du projet de recherche mené par Thomas-Bernard Kenniff et son équipe. Au mur étaient affichés les plans urbains et architecturaux des hôtels de ville des 45 petites et moyennes municipalités québécoises étudiées, ainsi que des photographies prises sur le terrain. Quatre livrets titrés Conseil, Réception, Salle et Seuil regroupaient des inventaires de ces quatre types d’espaces. Un ordinateur permettait au public d’accéder à une visualisation interactive de différents critères et des divers plans et cartes produits pour chaque échelle d’analyse : le bâtiment, le quartier et la ville. Finalement, au centre de la pièce se trouvaient deux exercices de conception exprimant des formes génériques de construction de la proximité. Reprenant des éléments des villes étudiées, les dessins et maquettes représentaient un hôtel de ville moyen selon les critères de la recherche, ainsi qu’un hôtel de ville rassemblant des manifestations supérieures de proximité : un positionnement central dans le « centre de masse » de la zone urbanisée et à proximité d’autres bâtiments publics, un accès au bâtiment depuis une rue principale, agrémenté d’un aménagement paysager, et une salle de conseil positionnée avantageusement dans le bâtiment.
Première table ronde : architectures
La première table ronde de la journée d’étude, modérée par Anne Cormier, professeure en architecture à l’Université de Montréal, avait pour thème les formes architecturales de l’interaction citoyenne. Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, a décrit les avantages et les inconvénients d’un hôtel de ville qui a subi de nombreux réaménagements depuis près d’un siècle : le bâtiment est familier aux citoyen·ne·s qui ont côtoyé les différents services qui s’y sont trouvés à travers les années, mais il peut être difficile de s’y orienter pour ceux et celles qui le visitent pour la première fois. Olivier Bourgeois, architecte et associé principal de la firme Bourgeois-Lechasseur qui a orchestré la rénovation de l’hôtel de ville des Îles-de-la-Madeleine, a partagé à l’auditoire certains critères qui ont guidé le projet, comme l’importance d’une entrée de bâtiment facilement identifiable, d’une ouverture du bâtiment vers l’extérieur grâce à une importante fenestration et de l’aménagement d’espaces accueillants pour les employé·e·s afin qu’ils puissent eux aussi développer un sentiment d’appartenance au bâtiment. Dominique Laroche, architecte de la firme BGLA et responsable du projet d’un nouvel hôtel de ville à La Pêche, insistait quant à lui sur la polyvalence des espaces, qui permet aux hôtels de ville d’offrir une programmation diversifiée offrant à la population de multiples opportunités d’aller à la rencontre de l’appareil municipal, point de vue partagé par Manon Cyr et Olivier Bourgeois. Virginie Lasalle, professeure adjointe à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et dont les recherches portent sur la conception d’environnements intérieurs destinés à des occupant·e·s vulnérables, a ensuite été invitée à donner son avis sur les manières dont l’architecture municipale peut être accueillante pour tout le monde. Si les services en ligne se sont multipliés depuis la pandémie de covid-19, Virginie Lasalle a insisté sur le fait qu’ils ne suffisent pas à réduire l’exclusion sociale des personnes neurodivergentes, par exemple, et qu’une diversité de moyens d’entrer en contact avec la Municipalité est toujours à privilégier. La table ronde s’est conclue sur des discussions autour de la spécificité du contexte des hôtels de ville et de l’importance d’adapter l’architecture au site et aux besoins de la population, tout en gardant un équilibre entre proximité et crédibilité.
Deuxième table ronde : centralités
La deuxième table ronde de la matinée avait pour thème Les noyaux municipaux et leur contexte urbain et était animée par Guillaume Éthier, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Dès le début de la table ronde, David Paradis, urbaniste et directeur de la recherche à Vivre en Ville, a repris l’enjeu de la polyvalence abordé plus tôt en matinée, en l’adaptant au changement d’échelle imposé par le thème. Les municipalités ont selon lui un rôle important à jouer dans la consolidation des centralités par des dispositifs légaux, mais également architecturaux, par la disposition et la conception de bâtiments municipaux adaptés à leur contexte. François Dufaux, professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval, a appuyé les propos de David Paradis en insistant sur l’importance de la centralité des espaces politiques pour assurer une impartialité dans l’exercice du pouvoir, et en appuyant son propos sur le développement historique des noyaux villageois au Québec, au sein desquels l’hôtel de ville serait un ajout récent. Il est ensuite revenu sur la notion d’ouverture du bâtiment sur l’extérieur en ajoutant que des espaces de négociation plus discrets sont également très importants dans un bâtiment comme un hôtel de ville. Pour Marc-Alexandre Brousseau, maire de Thetford Mines, un hôtel de ville central est une bonne occasion de créer de l’achalandage au centre-ville, mais également de faire connaître l’institution aux citoyens et citoyennes, grâce à sa présence dans leur quotidien, ainsi que lors d’événements culturels. La proximité n’est pas inévitablement liée à la centralité, nous rappelle David Paradis, en énumérant les différents besoins des personnes plus vulnérables, des usagers et usagères du transport actif et des automobilistes, par exemple. Au-delà de la centralité territoriale, Audrey Girard, designer de l’environnement et directrice de conception chez Lemay, a insisté sur l’importance d’un ancrage identitaire pour l’hôtel de ville, que ce soit sur le plan patrimonial, paysager ou commercial. Elle a pris l’exemple de la colline Parlementaire de Québec, qui s’isole du reste de la ville afin d’atteindre cette neutralité recherchée dans l’exercice du pouvoir. Simon Carrothers, conseiller en urbanisme, a quant à lui ramené le débat sur les environs immédiats de l’hôtel de ville en demandant si un bâtiment municipal avait comme devoir d’être beau ou intéressant et si ces critères influençaient réellement la proximité entre la population et l’institution. Cette question a amené plusieurs panélistes à constater la timidité avec laquelle les bâtiments municipaux s’intègrent dans la ville, par rapport aux autres institutions comme les églises, et l’impact que cela peut avoir sur la vision que se font les citoyen·ne·s du pouvoir municipal.
Troisième table ronde : transformations
L’après-midi s’est ouvert avec une table ronde sur le thème Le devenir des services municipaux de proximité, modérée par Hiên Pham, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Dès les premières minutes de la discussion, Sinisha Brdar, professeur à l’École de design de l’UQAM, a offert une synthèse des perspectives sur l’architecture municipale, en insistant sur le rôle qu’ont les services municipaux dans la construction de l’infrastructure sociale d’une ville. Il a ensuite proposé d’étudier les synergies entre différents services civiques, culturels et institutionnels afin d’être en mesure d’orchestrer plus précisément le vivre-ensemble. Maxime Pedneaud-Jobin, auteur et ancien maire de Gatineau, et Jean-François Sabourin de l’Union des municipalités du Québec, se sont ensuite entendus pour dire qu’au-delà des considérations symboliques, le positionnement de l’hôtel de ville lui-même, dans une ville moyenne, avait peu d’importance tant que des centres de services municipaux étaient accessibles à la population. Ce serait plutôt l’interaction spatiale entre les institutions qui aurait un grand impact sur la structuration du territoire. Martin Brière, architecte chez BGLA, a nuancé ces conclusions, car, pour lui, le site d’un bâtiment, et donc sa localisation, pose les contraintes de construction et revêt une signification importante. La discussion s’est ensuite portée vers la place accordée aux élu·e·s dans l’architecture municipale. Pour Laurence Bherer, professeure au Département de sciences politiques de l’Université de Montréal, les espaces accordés aux élu·e·s (bureaux et salle du conseil) sont bien souvent de piètre qualité ou sous-entretenus, discréditant encore plus leur sérieux aux yeux du public. La proximité des élu·e·s avec les citoyen·ne·s faciliterait même le harcèlement, qui a conduit dans les dernières années à une vague de démission d’élu·e·s municipaux. Un équilibre serait donc à garder entre ouverture et respect pour l’institution afin de favoriser le bon déroulement de la démocratie locale. Pour alléger cette polarisation et cette fragmentation de la communauté, Sinisha Brdar propose la création de lieux communs propices à l’échange entre membres du grand public et pouvant éventuellement mener à la réalisation de projets en collaboration avec les conseils municipaux.
Quatrième table ronde : orientations
La dernière table ronde de la journée, modérée par Thomas-Bernard Kenniff, avait pour thème les perspectives de recherche et de recherche-conception, et se présentait comme un retour sur les tables rondes précédentes. C’est Sandra Breux, professeure en études urbaines à l’INRS et directrice scientifique du réseau Villes Régions Monde, qui a ouvert la séance en présentant des concepts contribuant à la notion de proximité : l’hospitalité et la lisibilité des espaces. Selon elle, l’hospitalité est un concept clé d’une proximité allant au-delà des distances, car elle permet à l’Autre de devenir hôte dans son milieu de vie. Aurélien Catros, doctorant en architecture à l’Université de Montréal, a enchaîné en précisant la définition de proximité à travers les relations de trois types d’acteurs : les élu·e·s, les citoyen·ne·s et l’administration. Pour lui, chaque type d’interaction occupe des espaces physiques et symboliques spécifiques, de taille plus ou moins importante que les autres. Puis, Jean-Pierre Chupin, professeur en architecture à l’Université de Montréal, a proposé la méthode partenariale, c’est-à-dire la collaboration entre communauté scientifique et acteurs du milieu, comme meilleure méthode pour répondre aux questions de recherche soulevées dans la journée, et pour éventuellement adapter l’architecture municipale au contexte contemporain. Il a également insisté sur l’importance de la voix citoyenne dans ces débats, qui est souvent oubliée ou mal intégrée dans les initiatives similaires. Madeleine Lefebvre, professeure en travail social à l’UQAT et conseillère municipale de Maniwaki, était également de cet avis. Cependant, elle a ajouté que les élu·e·s manquaient de relations avec les milieux communautaire, scientifique et d’affaires. Si l’interrelation entre les différents acteurs territoriaux semblait être une piste à explorer pour repenser l’architecture municipale, Camille Lefebvre, doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM, a quant à elle mis en lumière différents exemples de programmation informelle au sein des hôtels de ville ayant le potentiel de générer de l’achalandage et de la proximité. Paradoxalement, cette polyvalence des espaces civiques en a fait hésiter plusieurs, comme Jean-Pierre Chupin, qui pense que de telles activités enlèvent une partie du respect et de la dignité qu’incarne l’hôtel de ville. Après avoir précisé le concept de proximité, les panélistes ont ensuite abordé l’autre élément constituant du titre de l’événement : aménager. Aurélien Catros s’est lancé en disant qu’aménager la proximité, c’est à la fois permettre, mais aussi encadrer la proximité, mettant en garde contre l’ouverture sans limite. Camille Lefebvre a ensuite positionné l’architecture comme outil pour créer des espaces ouverts et fermés au public et des espaces de transition où élu·e·s, employé·e·s et citoyen·ne·s peuvent se rencontrer naturellement.
Liens utiles
Participant·e·s
Laurence Bherer, professeure, Université de Montréal
Olivier Bourgeois, architecte, Bourgeois-Lechasseur
Sinisha Brdar, professeur, UQAM
Sandra Breux, professeure, INRS
Martin Brière, architecte, BGLA
Marc-Alexandre Brousseau, maire, Thetford Mines
Simon Carrothers, conseiller en urbanisme
Aurélien Catros, doctorant, Université de Montréal
Jean-Pierre Chupin, professeur, Université de Montréal
Anne Cormier, professeure, Université de Montréal
Manon Cyr, mairesse, Chibougamau
François Dufaux, professeur, Université Laval
Guillaume Éthier, professeur, UQAM
Audrey Girard, designer urbaine, Lemay
Thomas-Bernard Kenniff, professeur, UQAM
Dominique Laroche, architecte, BGLA
Virginie Lasalle, professeure, Université de Montréal
Camille Lefebvre, doctorante, UQAM
Madeleine Lefebvre, professeure, UQAT, et conseillère municipale, Maniwaki
David Paradis, Vivre en Ville
Maxime Pedneaud-Jobin, auteur et ancien maire de Gatineau
Hiên Pham, professeure, UQAM
Jean-François Sabourin, Union des municipalités du Québec
Équipe de recherche
Thomas-Bernard Kenniff, École de design, UQAM
Anne Cormier, École d’architecture, Université de Montréal
Hiên Pham, Département d’études urbaines et touristiques, UQAM
—
Lucas Azar, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Emmanuelle Bergeron, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Alexie Gauthier-Lefebvre, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Joelle Kelzi, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Agathe Parent Corriveau, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Alexandre Rocheleau, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Organisation et coordination de l’événement
Phélicia Gingras, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Montage de l’exposition
Martin Archambault, maîtrise en communication, UQAM
Emmanuelle Bergeron, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Maxime Jetté, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Joelle Kelzi, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Helena Kraft, baccalauréat en design de l’environnement, UQAM
Agathe Parent Corriveau, maîtrise en design de l’environnement, UQAM
Charlie Proulx, baccalauréat en design graphique, UQAM
Financement
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada
Villes Régions Monde / Fonds de recherche du Québec – Société et culture
LEAP / Fonds de recherche du Québec – Société et culture
École de design, UQAM