Compte rendu « Les rues principales contre-attaquent » / 31e Colloque annuel de la Fondation Rues Principales
24 octobre 2019, Montréal
Par Charlotte Montfils-Ratelle, chargée de projets à l’ARPENT, Firme d’urbanisme
Présentation
Le 24 octobre dernier se tenait le 31e colloque annuel de la Fondation Rues Principales, ayant pour thème « la riposte » des petites et grandes rues marchandes, notamment face à la montée de l’achat en ligne et la popularité des plus récentes formes de centres commerciaux. L’objectif de la journée était de réunir divers acteurs locaux pour échanger sur des initiatives récentes déployées afin d’assurer l’attractivité et la résilience des rues principales et cœurs de collectivités.
Le colloque était structuré de manière à permettre l’enchaînement dynamique des allocutions, en variant la composition des panels et la durée des conférences. Parmi les démarches et projets mis à l’honneur, près d’une dizaine de régions du Québec étaient représentées. Moment coup de cœur de la journée: la présentation en formule pechakucha de cinq initiatives ayant misé sur l’aménagement du domaine public ou sur l’entrepreneuriat alternatif pour stimuler l’activité économique de leur milieu.
Cette synthèse n’est pas exhaustive, elle relève les principales convergences parmi les idées exprimées et les apprentissages partagés au cours de l’événement.
La rue principale contemporaine
L’enthousiasme que soulève l’avenir des rues commerciales traditionnelles s’explique par leur vocation de lieu de rencontre, qui dépasse largement la simple fonction commerciale. Les artères marchandes et les centres-villes sont également une vitrine sur le dynamisme local et favorisent un sentiment d’appartenance chez la population (Julie Bourdon, Ville de Granby). Ces centralités sont porteuses d’une identité unique, enracinées dans la qualité locale et les dynamiques de proximité (Simon Jodoin, Voir).
La consommation se vit aujourd’hui comme une expérience singulière, en ligne ou sur la rue. Cette tendance s’observerait surtout chez les milléniaux, habités par une «urgence de vivre» et soucieux de l’empreinte écologique de leurs pratiques de consommation (JoAnne Labrecque, HEC Montréal). En ce sens, on observe un regain d’intérêt envers le commerce de détail traditionnel et tout ce que la rue marchande peut offrir à ses utilisateurs (Christian Savard, Vivre en Ville et Rues Principales).
Soutenir le dynamisme des centralités commerciales
Parmi les expériences partagées lors du colloque, trois thématiques récurrentes ont fait consensus : le rôle déterminant des villes dans le développement économique local, la relation étroite entre l’aménagement du domaine public et l’activité commerciale, et la pertinence d’engager les citoyen(ne)s dans la formulation d’une vision d’avenir de leur rue principale ou de leur centre-ville.
Le rôle des villes dans le développement économique local
Les conférenciers sont unanimes : le succès de toute intervention visant à soutenir le commerce de détail traditionnel repose sur la collaboration et la concertation des acteurs (municipalité, acteurs du développement économique comme les sociétés de développement commercial (SDC), commerçants). Il en ressort par ailleurs que la municipalité prend en charge un leadership déterminant pour assurer la bonne santé des centralités commerciales. Elle doit à cet effet se montrer proactive, inclusive et innovante.
Dans cet esprit, Robert Beaudry (Ville de Montréal) a présenté les assises du Plan commerce de la Ville de Montréal à travers les enjeux auxquels sont confrontées les artères commerciales de la métropole. En guise d’exemple, la Ville envisage le déploiement d’usages transitoires pour faire face à la problématique de vacance chronique de certaines artères. Elle compte également sur des mesures de mitigation qui favorisent la convivialité des rues en contexte de chantier. La présentation de Robert Beaudry insistait par ailleurs sur l’importance du soutien en continu aux sociétés de développement commercial (SDC), par l’entremise de divers programmes financiers. En ce sens, Caroline Tessier (Association des SDC de Montréal) réitère que la coopération entre les marchands, les SDC et les organismes municipaux est essentielle à l’adaptation des artères commerciales face aux nouvelles dynamiques économiques et tendances en matière de consommation.
La conférence de Julie Bourdon (Ville de Granby) a démontré l’étendue du pouvoir d’agir des Villes à travers un survol des multiples initiatives municipales déployées pour redynamiser le centre-ville. En plus du réaménagement de l’espace public et d’une campagne de marketing misant sur l’identité locale, la Ville de Granby s’est directement engagée auprès de ses commerçants en leur fournissant un soutien technique et financier. Des mesures proactives telles la subvention au loyer et les crédits de taxes permettent non seulement de solidifier la base commerciale en place ; elles contribuent aussi à l’essor d’une relève marchande.
Hélène Francoeur (Fédération des coopératives d’alimentation du Québec) rappelle que la capacité d’intervenir des Villes en développement économique s’est accrue avec le projet de loi 122, qui accorde notamment le pouvoir d’octroyer une aide financière à une coopérative de solidarité.
La qualité de l’espace public au service de la vitalité commerciale
Les conférenciers s’entendent sur la nécessité d’aménager des espaces conviviaux pour renforcer la résilience et la capacité d’adaptation des centralités commerciales. À cet effet, les principes d’accessibilité, de flexibilité, de confort et de sécurité s’appliquent, peu importe l’échelle d’intervention, qu’il s’agisse d’une artère commerciale d’envergure métropolitaine comme la rue Sainte-Catherine à Montréal (Sylvain Gariépy et Sonia Gagné, Provencher Roy) ou d’un projet pilote de rue partagée à portée ultra-locale (Ariane St-Louis, Ville de Montréal). Quant au réaménagement des rues commerciales, les conférenciers ont noté le manque de données empiriques concernant le retour sur l’investissement.
La plupart des conférences ont directement porté ou ont souligné l’intérêt d’aménager les rues commerciales et les centres-villes en privilégiant les transports actifs. À ce sujet, Amandine Rambert (Vivre en Ville) estime qu’il faut une fois pour toutes déboulonner les mythes quant à l’opposition «auto-piéton» en contexte de rue commerciale. Aux sceptiques qui dénoncent la réduction de l’espace dédié aux voitures au profit des piétons dans certains centres-villes, il est démontré que bien que ces derniers dépensent moins par visite en magasin, ils tendent à y retourner plus souvent.
Si les villes se montrent proactives et innovantes pour stimuler le commerce en secteur central, elles doivent être conséquentes dans leurs choix d’aménagement pour le reste du territoire. Comme l’affirme Christian Savard, les Villes ne peuvent pas soutenir leurs rues principales en ouvrant les valves du développement commercial périphérique. Elles doivent prendre des décisions d’aménagement qui priorisent les centralités commerciales.
L’engagement citoyen dans le développement des cœurs de collectivités
Finalement, l’implication des citoyens dans la formulation d’une vision d’avenir pour leur rue marchande ou pour leur centre-ville s’avère une composante clé du succès des démarches présentées. Travailler main dans la main avec la population favorise l’ancrage d’un projet dans sa communauté et avive la fierté des résidents.
Dans sa présentation, Olivier Legault (Rues Principales) constate la valeur d’un tel engagement citoyen à l’issue d’un mandat de cocréation d’une nouvelle place publique dans le secteur du Vieux village à Magog. Les résidents ont d’abord été consultés sur leur vision du futur espace public, puis ont été conviés à une présentation des concepts d’aménagement préliminaires réalisés par Rues Principales. Ils ont finalement eu accès à une plateforme en ligne pour signifier leurs préférences. Ainsi, la variété des méthodes employées pour inclure la population a permis une belle mobilisation autour d’un projet porteur pour le cœur de Magog.
Conclusion
Dans son mot de clôture, Christian Savard a présenté les fondations du «Plan pour les cœurs de collectivités» de Rues Principales, dont les piliers comprennent la création d’un fonds pour la consolidation des centres-villes, la réforme de l’encadrement des loyers commerciaux, l’ouverture d’un chantier de la fiscalité municipale, et l’adoption d’une politique nationale de l’aménagement du territoire. Ces objectifs ambitieux et pertinents nous rappellent l’ampleur de la tâche à accomplir pour des centralités commerciales véritablement accessibles et inclusives.