Compte rendu – Vivre Montréal : enjeux et défis d’une ville en mutation
Dans le cadre du 85e Congrès de l’ACFAS
Jeudi 11 mai 2017
Université McGill
Ce colloque a été organisé par le Centre de recherche sur la ville (CRV), antenne UQAM du Réseau Villes Régions Monde (VRM), sous la responsabilité de Richard Morin, directeur du CRV et membre du comité de direction de VRM
Auteur : Jean-Philippe Dallaire, étudiant à la maîtrise en études urbaines, UQAM
Introduction
Montréal constitue un véritable laboratoire de recherche sur la ville. En cette année de son 375e anniversaire, ce colloque y était entièrement consacré. Il portait plus spécifiquement sur les mutations que cette ville a connues au cours des 15 dernières années, en mettant l’accent sur quatre grandes thématiques. 1) La gouvernance urbaine qui renvoie notamment à la création de la Communauté métropolitaine de Montréal; à la fusion et à la défusion partielle des municipalités de l’île de Montréal; à la création de 19 arrondissements; à la mise sur pied de l’Office de consultation publique de Montréal; à l’implication de la société civile dans de nouveaux dossiers; et au statut de métropole octroyé par le gouvernement du Québec. 2) La composition sociale qui continue à se modifier par l’enrichissement des uns et la précarisation des autres; par l’arrivée de nombreux immigrants dont les origines nationales diffèrent de celles des plus anciens; par le vieillissement de la population et par la présence de nouvelles familles avec enfants. 3) L’aménagement du territoire qui a été caractérisé par l’adoption d’un plan métropolitain d’aménagement et de développement, d’un schéma d’aménagement et de développement d’agglomération et d’un plan d’urbanisme; mais aussi par de grands projets qui ont ou auront un impact important sur leur milieu, comme celui du Réseau électrique métropolitain; et par un développement immobilier fortement marqué par la copropriété, qui n’est pas sans lien avec le phénomène de gentrification. Et 4) La ville « intelligente et innovante », qui fait l’objet d’un plan d’action municipal et qui donne lieu à des stratégies de branding comme celui du Quartier de l’innovation. Ce colloque alimenté par les contributions de professeurs.es-chercheurs.es des quatre grandes universités montréalaises et de l’INRS, visait à étayer ces multiples mutations, à relever les enjeux et défis qu’elles soulèvent et à susciter des discussions sur l’avenir de Montréal. Les quatre thématiques ci-haut mentionnées ont donné lieu à quatre sessions, suivies d’une conférence-synthèse.
Première session — Gouvernement, gouvernance et participation
En guise d’ouverture, Benoît Frate (UQAM) a présenté, sur le thème du gouvernement, une communication intitulée « Montréal au 21e siècle : trajectoires juridiques entre structures et compétences ». Il a démontré que la multiplication des lois du gouvernement du Québec qui balisent les compétences de Montréal et des autres municipalités constitue une constellation complexe, traversée par diverses réformes. Il a comparé ces réformes municipales que connaît le Québec avec celles d’autres provinces canadiennes, comme l’Alberta (chef de file en la matière), qui visent à accroitre l’autonomie des municipalités. Il a particulièrement attiré l’attention de l’auditoire sur les projets de loi 121 et 122 qui apporteront des modifications aux compétences des villes du Québec, et en particulier Montréal qui obtiendra un statut de métropole sans cependant tous les pouvoirs souhaités par son maire. Benoit Frate a conclu sa communication en précisant que seul l’avenir permettra de comprendre l’impact de ces réformes sur les façons de faire des municipalités.
Ensuite, Jean-Philippe Meloche (UdeM) a traité, sur le thème de la gouvernance, de « La distribution des ressources entre la ville-centre et les arrondissements ». Le modèle de décentralisation montréalais avec des arrondissements dont les maires sont élus au suffrage universel et qui jouissent d’une certaine autonomie financière a permis à Montréal de se hisser au sommet des villes décentralisées en Amérique, voire dans le monde occidental. Les arrondissements jouent un rôle de première ligne en ce qui concerne les services locaux et le tiers du budget total de la ville-centre leur est versé. Cependant, depuis les fusions de 2002, cette dotation budgétaire paraît toujours inéquitable entre les arrondissements, malgré des mesures pour atténuer ces inégalités. De plus, la part du budget des arrondissements provenant de la ville-centre est passée de 90 % à 75 % entre 2012 et 2017. Ce désinvestissement a toutefois été compensé par la possibilité offerte aux arrondissements de prélever une taxe locale pour défrayer des dépenses particulières.
Puis, sur le thème de la participation, Laurence Bherer (UdeM) a posé la question suivante : « Qu’est-ce qu’un tiers neutre en matière de participation publique? L’exemple de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) », organisme créé, en 2002, l’année de naissance de la nouvelle ville fusionnée de Montréal. Elle a insisté sur le fait que l’indépendance dont bénéficie l’OPCM face aux élus et aux promoteurs confère à cet organisme la crédibilité nécessaire à l’exercice de la participation publique. Elle a aussi mis en lumière l’importance de cet organisme dans l’implication de la population au développement de Montréal, l’OPCM menant principalement des consultations sur des projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Elle a cependant appelé à l’élargissement de son mandat et à une révision du mode de sélection des projets faisant l’objet de consultation publique, sélection qui repose actuellement presque essentiellement sur le conseil municipal et le comité exécutif de la ville.
La dernière présentation de cette session a porté sur « Les tables de quartier de Montréal : le système d’acteurs et ses marges », sujet au carrefour des thèmes de la gouvernance et de la participation. Gilles Sénécal (INRS) s’est intéressé au système d’acteurs qui gravitent autour de ces organismes de concertation. Il a fait ressortir qu’alors que les tables de quartier ont un champ d’action très large (verdissement, habitation, sécurité, équité sociale…), elles en viennent à se spécialiser sur quelques enjeux qui sont soulevés par le système d’acteurs et principalement par les instances et les organismes du milieu. À la marge de ce système d’acteurs, de simples individus prennent néanmoins la parole sur la place publique et engendrent un processus de mobilisation qui peut avoir une influence sur le choix des problèmes traités par les tables de quartier.
Deuxième session — Changements sociaux et milieux de vie
Xavier Leloup (INRS) a débuté cette session avec une communication sur « L’évolution des revenus à l’échelle des quartiers de Montréal (1980-2012) : enrichissement et précarité dans une économie en mutation ». ll a dressé un portrait de l’évolution des revenus de la population de Montréal dans le contexte d’une économie de cette ville en restructuration et de l’accroissement de la précarité qui s’ensuit. Il s’est notamment attardé au phénomène du travailleur pauvre. En plus d’avoir analysé globalement les données sur les revenus, il les a aussi traitées spatialement, faisant ressortir l’enrichissement relatif de certains territoires et l’appauvrissement relatifs d’autres. Les inégalités spatiales qui s’en dégagent opposent certains quartiers centraux plutôt riches et des zones périphériques plutôt pauvres.
Ensuite, Annick Germain (INRS) a présenté une communication portant sur « Les paradoxes du nouveau Montréal multiethnique ». Elle a esquissé un tableau de la réalité in situ de la cohabitation dans les quartiers multiethniques montréalais. Au travers de ses recherches, elle y a observé que c’est la cohabitation passive pacifique qui est dominante, alors que le discours médiatique et politique semble en décalage avec ce constat. Elle a ajouté qu’il est important de réaliser que l’immigration est une des réponses aux problèmes démographiques que vit la ville de Montréal. Cette immigration permet notamment de contrer le mouvement de population vers les banlieues, car les nouveaux arrivants s’installent en grande partie dans les quartiers de la ville délaissés par leurs précédents occupants, quartiers qu’ils réinvestissent e transforment.
Pour leur part, Sébastien Lord et Paula Negron (UdeM) ont enchaîné en traitant de « Vieillir chez soi dans la diversité des habitats de Montréal : une exploration des enjeux d’aménagement des quartiers vus par leurs habitants ». Alors que la problématique du vieillissement de la population touche l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal, leur recherche a fait ressortir que les quartiers ne sont pas tous vécus de la même façon par les personnes âgées, notamment en termes d’accessibilité et de proximité aux services, compte tenu d’aménagements différents. Ces constats qui soulèvent des enjeux variés en matière de milieux résidentiels propices au vieillissement de la population ont été appuyés sur la comparaison entre quatre territoires montréalais, Rosemont, L’Île-des-Sœurs, Saint-Léonard et Ahuntsic-Cartierville.
Pour clore cette session, Juan Torres (UdeM) s’est interrogé sur « Quelle enfance pour quel Montréal? Les mutations d’un rapport à l’âge et à l’espace ». La prise en compte de l’enfance dans la planification et l’aménagement de Montréal est, selon lui, essentielle, surtout dans un contexte où la Ville a comme objectif l’attraction et la rétention des familles sur son territoire. Juan Torres a démontré dans ses recherches que les enfants accèdent de moins en moins, sans être accompagnés, aux ressources qu’offre la ville, en particulier les écoles : la proportion des enfants inscrits à l’école privée augmente et il y a une progression du nombre d’écoles publiques qui offrent des programmes particuliers (sport-étude, musique, arts), ce qui transforme la relation des enfants avec le territoire, puisqu’ils ne fréquentent plus nécessairement, à pied ou à vélo, l’école de quartier. Par ailleurs, depuis 2016, la Ville de Montréal a sa politique de l’enfant, ce qui constitue le premier pas vers une inclusion des enfants dans la planification de la ville.
Troisième session — Planification urbaine, grand projet et développement immobilier
La présentation de Michel Rochefort (UQAM), « Planifier Montréal et sa région : entre continuité, changements et imprévus », avait pour but de faire un retour, depuis le début des années 2000, sur la planification à Montréal pour arriver à dresser un portrait de la situation actuelle. Après avoir fait mention des grands changements institutionnels qu’a connus Montréal au cours de cette période (notamment, fusions et défusions municipales, création de la Communauté métropolitaine de Montréal — CMM), Michel Rochefort a mis en lumière la lente progression dans la planification du territoire, marquée plutôt par une certaine continuité des plans. Cependant, puisque les préoccupations environnementales occupaient très peu d’espace dans la planification par le passé, elles ont connu un réel bond dans l’ensemble de la région métropolitaine. Malgré ce rattrapage, le conférencier a rappelé que les municipalités régionales de comté (MRC) de la CMM avaient en moyenne 15 ans de retard sur la révision de leur schéma, ce qui l’a conduit à se questionner sur la pertinence, dans ce contexte, de la loi allouant une plus grande autonomie aux villes du Québec. Enfin, il a fait état des grands projets réalisés ou annoncés sur le territoire métropolitain, certains prévus dans les documents d’aménagement et d’urbanisme, d’autres non.
Par la suite, la communication de Florence Paulhiac Scherrer (UQAM) a porté sur un de ces grands projets, à savoir « Le réseau électrique métropolitain (REM) : évaluation des enjeux et conditions d’intégration d’un grand projet de transport au territoire montréalais ». La recherche à la source de cette communication s’est intéressée aux mémoires déposés dans le cadre de la consultation publique du projet de REM. Ces mémoires ont été classés et codés, dans le but d’en dégager les grandes lignes. Il en est ressorti que les plus critiques face au projet étaient les groupes environnementaux, les citoyens et les partis politiques, alors que les municipalités concernées étaient les plus favorables. Les thèmes les plus récurrents dans les mémoires ont été l’évolution de l’offre de transport et l’impact du REM sur aménagement du territoire. De plus, ce qui soulève également une question, c’est qu’alors qu’il porte l’appellation « métropolitain », le REM ne couvre pas l’ensemble de la région métropolitaine de Montréal, mais seulement une partie de l’ouest de ce territoire.
Ted Rutland (U. Concordia) et Hélène Bélanger (UQAM) ont complété cette session en traitant de « « Condoïsation » et gentrification : le rôle des politiques publiques ». Ils ont mentionné les deux phénomènes qui contribuent à la « condoïsation » de Montréal, à savoir la conversion d’unités locatives en condos et la construction de condos sur des friches. Ces deux phénomènes, qui ne sont pas sans être reliés au processus de gentrification, ont été et sont toujours encouragés par une série de mesures municipales : Opération 20 000 logements, vente à rabais de terrains aux promoteurs, plans visant l’augmentation du nombre de ménages et stratégie d’inclusion sociale. Cette stratégie d’inclusion sociale a en effet eu des impacts sur la construction de condos, puisque la construction d’unités sociales dépend du développement de projets de condos, le nombre de logements abordables et sociaux reposant sur le pourcentage du nombre total d’unités prévues. Enfin, les conférenciers ont conclu en mentionnant que la « condoïsation » de Montréal transforme la façon de construire, de posséder, mais aussi de louer un logement.
Quatrième session — ville intelligente et quartier de l’innovation
La première présentation de cette session, « les écosystèmes des villes intelligentes au Québec : une analyse du cas de Montréal », par Mohamed Reda Khomsi, faisait état de la situation de Montréal comme un modèle de ville intelligente au Québec et au Canada. Après une mise en contexte des projets de villes intelligentes à travers le monde, le chercheur a analysé le cas de Montréal, couronnée en 2016 comme la communauté la plus intelligente au monde selon le Intelligent community forum (ICF). Son étude des acteurs de l’écosystème de cette communauté et des actions réalisées a cependant démontré que les retombées de la ville intelligente demeurent très limitées pour les citoyens et sont circonscrites dans quelques quartiers. Néanmoins, Montréal demeure, selon lui, un exemple à suivre eu égard à l’adoption d’une vision de développement claire, à la mobilisation des moyens logistiques, humains et financiers pour réaliser les projets et finalement à l’évolution du modèle de gouvernance qui cherche à offrir plus de place au citoyen.
Dans la seconde communication, « De la Cité du multimédia au Quartier de l’innovation : retour sur les documents de planification visant l’intégration des activités de la nouvelle économie à Montréal », Priscilla Ananian a traité de ces deux secteurs adjacents au Vieux-Montréal qui ont fait l’objet d’un grand nombre de documents de planification et de projets redéveloppement, avec un périmètre d’intervention plus ou moins équivalent à chaque fois. Il s’agit de deux « quartiers » thématiques qui ont eu et ont pour vocation d’attirer des entreprises des nouvelles technologies, avec, à ce jour, un succès très relatif, et qui intègrent aussi une fonction résidentielle. La chercheure s’est questionnée sur le rôle de l’urbanisme dans la fabrication de ce type de quartier promu comme espace d’innovation alors que des entreprises reliées aux TIC s’établissent également ailleurs dans la ville.
Dans la continuité des propos précédents, Richard Shearmur s’est penché sur le Quartier de l’innovation de Montréal avec une communication intitulée « QI : le quartier imaginaire ». Il s’est interrogé sur l’appellation « quartier » du « Quartier de l’innovation » alors que ce territoire aux contours flous est composé de plusieurs quartiers bien différents (comme le Griffintown, le village Shaughnessy, la Petite-Bourgogne). Il a aussi questionné la signification du mot « innovation » accolé à ce « quartier » et a remis en question la nécessité de créer un « quartier de l’innovation » à Montréal, ce qui lui semble tout simplement du marketing urbain à des fins de promotion immobilière. Il a poursuivi en soulignant que ce type de quartier relève d’une planification Top-Down souvent critiquée. Finalement, il a utilisé le qualificatif « imaginaire », car ce projet semble s’appuyer sur un récit et un discours normatif et positif sur l’innovation où il est impossible d’être contre la vertu, alors que le lien entre territoire et innovation n’est pas automatique.
Conférence synthèse — regard de Bruxelles
En guise de conclusion à ce colloque, Bernard Declève (Université catholique de Louvain) a prononcé une conférence synthèse à partir de son regard de Bruxelles. Il a dégagé de l’ensemble des communications un fil conducteur, qui a permis à l’observateur externe qu’il est, de comprendre la réalité de Montréal et d’y tirer des éléments de comparaison avec Bruxelles. Situées dans des contextes géographiques différents, ces deux métropoles font face, selon lui, à des défis et enjeux semblables qu’ils soient d’ordre politique, social, urbanistique ou économique, lesquels seront relevés de manière locale, mais des échanges entre les deux métropoles pourraient stimuler l’originalité des réponses à y apporter.
Cette dernière remarque a dressé la table pour le lancement, qui a suivi, du livre Montréal et Bruxelles en projet (s) : les enjeux de la densification urbaine, publié sous la direction de Priscilla Ananian et de Bernard Declève, aux Presses universitaires de Louvain, 2017