Étienne Tardif-Paradis candidat au doctorat en géographie humaine (Université de Montréal) et en sciences politiques & sociales (Université catholique de Louvain)
Introduction
Dans les deux dernières décennies, les municipalités québécoises ont multiplié les actions publiques en matière de verdissement des espaces urbains (p. ex., politiques publiques, plans directeurs, etc.), pour tendre vers un idéal de développement durable urbain (Poitras, 2009; Thibodeau et Lamontagne, 2011). Au tournant des années 2010, ces actions qui s’appuyaient autrefois sur le développement durable se sont élargies pour incorporer des considérations d’équité et de justice environnementale (p. ex., accessibilité universelle), de résilience et d’adaptation, ainsi que de la « lutte » aux changements climatiques (p. ex., réduire les émissions de gaz à effet de serre) (Sigward et Trudelle, 2016). Dans le contexte montréalais, ces différentes notions sont largement invoquées par les autorités publiques pour justifier le verdissement de différents espaces (p. ex., revitalisation du canal de Lachine) (Ngom, Gosselin et Blais, 2016). Toutefois, certaines de ces actions publiques visant le verdissement des espaces urbains interviennent dans des quartiers dont les contextes socioéconomiques et culturels sont marqués par un processus de gentrification, par exemple le cas bien connu de l’ancien quartier ouvrier de Saint-Henri dans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal (Bélanger, 2010, 2012; Poitras, 2009; Rose, 2004; 2006; Twigge-Molecey, 2014). Au-delà du désir d’améliorer les conditions de vie des populations à l’aide d’une meilleure accessibilité aux espaces verts (p. ex., multiplication des ruelles vertes), ou encore de contrer les effets nuisibles des changements climatiques (p. ex., îlots de fraîcheur), il existe des réalités locales et des besoins socioéconomiques spécifiques à considérer avant de mettre en place des projets de verdissement (García Lamarca, 2020; Wolch, Byrne et Newell, 2014).
La présente synthèse s’appuie sur un mémoire de maîtrise (Tardif-Paradis, 2021) qui s’intéresse à démontrer comment le phénomène d’écogentrification contribue aux inégalités environnementales liées aux espaces verts. Le quartier Saint-Henri à Montréal en constitue le cas d’étude. C’est un quartier où les espaces verts se sont multipliés par l’entremise de politiques publiques de développement urbain. En ce sens, il devient pertinent de se questionner sur la distorsion entre une action publique désireuse de réduire les inégalités environnementales liées à l’accessibilité universelle aux espaces verts et la présence d’un phénomène d’écogentrification pouvant provoquer le déplacement des personnes socialement et économiquement vulnérables. Afin de comprendre cette distorsion, nous proposons de considérer l’écart entre les discours et les pratiques autour du verdissement et des inégalités d’accès aux espaces verts pour les populations les plus vulnérables du quartier. Pour appuyer cette posture, nous avons mis en place un cadre conceptuel ancré dans une perspective de justice environnementale critique.
Cadre conceptuel : accessibilité aux espaces verts et écogentrification en contexte de développement urbain « durable » néolibéral
Notre cadre conceptuel permet d’identifier et d’analyser les injustices environnementales associées au phénomène d’écogentrification au cœur de l’écart entre pratiques et discours des espaces verts urbains. Pour ce faire, nous avons mobilisé des études en géographie humaine et en écologie politique urbaine à travers la perspective de la justice environnementale critique (Anguelovski et al., 2019; Anguelovski et al., 2020; Dooling, 2012). À partir de cette dernière, nous avons porté un nouveau regard sur les notions d’accessibilité et de durabilité urbaine. L’idéal de développement durable urbain est une source d’impulsion importante dans la création d’espaces verts (p. ex., parcs, ruelles vertes, etc.). Notre intérêt ici est de dévoiler les liens unissant les concepts d’écogentrification et de développement durable urbain avec les notions d’accessibilité et de durabilité des espaces verts.
Le concept d’écogentrification émerge d’abord au sein de la littérature en sciences humaines et sociales en s’intéressant au phénomène urbain de la gentrification (Brown-Saracino, 2010; Helbrecht, 2018; Lees et Phillips, 2018), puis à la relation entre ce phénomène et les actions en matière d’écologie urbaine (Checker, 2011; Dooling, 2009; Dooling et Simon, 2012; Quastel, 2009). Traditionnellement, la définition de la gentrification proposée par la sociologue anglaise Ruth Glass renvoie à l’arrivée massive des classes moyennes et supérieures dans des quartiers ouvriers modestes, entraînant d’importants changements urbains à travers l’amélioration des logements et, à moyen terme, un déplacement de la classe ouvrière (Glass, 1964). Cette définition sera largement reprise et retravaillée au sein des études urbaines (p. ex., processus d’exclusion direct et indirect) (Marcuse, 1985; Pinson, 2020). Toutefois, notre définition de l’écogentrification s’inspire plutôt des études en justice environnementale critique, puisqu’elles permettent d’introduire une perspective critique sur les rôles et responsabilités plus floues des acteurs publics et privés. De plus, ces études favorisent la prise en considération de la dimension de relationalité au sein des espaces verts urbains (Anguelovski et al., 2020; Dooling et Simon, 2012). L’écogentrification consiste a priori en un processus traditionnel de gentrification propulsé par des interventions publiques ou privées, dites « vertes », et qui sont mises de l’avant par des acteurs publics comme privés sous le couvert d’une éthique écologique (voir photo 1) (Dooling, 2009; Dooling et Simon, 2012). Ce processus peut engendrer de profondes transformations de nature sociale, culturelle, économique et politique au sein d’un quartier marqué par des clivages socioéconomiques importants (p. ex., modification des pratiques de vie d’un quartier), voire contribuer à la marginalisation et l’exclusion des populations vulnérables, ainsi que l’exacerbation d’inégalités préexistantes (Anguelovski et al., 2019; Anguelovski et al., 2020; Checker, 2011; Dooling, 2009; Dooling et Simon, 2012; Quastel, 2009).
Ensuite, nous avons porté un nouveau regard sur l’idéal du développement durable urbain et les notions d’accessibilité et de durabilité dans le contexte de l’aménagement des espaces verts. Le développement durable urbain ne peut pas être simplement considéré comme un ensemble de pratiques d’aménagement « vert » (p. ex., verdissement et revitalisation), ou encore comme une série de discours fonctionnalistes d’accessibilité aux espaces verts (Cornet, 2020, voir description plus bas). Il doit être remis en question dans ses dynamiques sociopolitiques comme la gouvernance néolibérale, la production des espaces verts répondant à une logique marchande, et les injustices socioéconomiques pouvant en découler (Anguelovski et al., 2020; Brenner et Theodore, 2002; Dooling et Simon, 2012; Hackworth, 2007; Naguib Pellow, 2019; Pinson, 2020; Willis et Satish Kumar, 2020). Dans une perspective de développement urbain « durable », l’accessibilité aux espaces verts renvoie à leurs utilisations et à leur accessibilité physique (proximité) tout en répondant à des fonctions utilitaires. D’abord, la fréquentation de ces espaces par les populations locales a pour fonction d’améliorer leur qualité de vie (p. ex., meilleure santé psychologique et physique) (Cornet, 2020). Ensuite, une proximité réduite (courte distance) entre les espaces verts et les résidences favorise leur fréquentation (Cornet, 2020). Une plus grande densité d’espaces verts et leur multiplication favorisent aussi la fréquentation de ceux-ci (Cornet, 2020). Enfin, la production des espaces verts vient contribuer à augmenter la valeur économique d’un quartier (p. ex., hausse des évaluations immobilières) (Cornet, 2020). Or, notre approche suggère que les objectifs derrière ces fonctions (meilleure qualité de vie, égalité environnementale et croissance économique) peuvent contribuer à des limitations d’accessibilité sur le plan social. Les populations vulnérables qui ne peuvent pas résider à proximité des espaces verts (prix des loyers élevés) ou fréquenter ces deniers sans se sentir jugées (appartenance sociale) sont limitées physiquement (distance) et socialement (exclusion) (Anguelovski et al., 2020; Dooling et Simon, 2012). Ces limitations favorisent les inégalités environnementales associées à l’accessibilité aux espaces verts (p. ex., non-accès aux bienfaits physiques et psychologiques de l’utilisation d’un parc).
Méthode de recherche
Pour rendre compte de la relation entre le développement durable urbain, l’écogentrification et les espaces verts s’inscrivant dans les discours et les pratiques des acteurs publics (surtout municipaux dans le cas qui nous concerne), nous avons mis en place une étude de cas portant sur le quartier montréalais de Saint-Henri. Cette dernière illustre les effets de cette triple relation sur les populations vulnérables du quartier, à partir d’observations directes et d’entrevues semi-dirigées, menées en 2021, pouvant mettre en évidence la nature des réalités des personnes concernées par cette relation, ainsi que dégager une meilleure compréhension de leurs perspectives.
Notre étude de cas s’inscrit dans un contexte de multiplication des espaces verts et sur une trame de fond marquée par un processus de gentrification déjà bien entamé depuis des décennies. Ce dernier est particulièrement visible dans le déplacement massif des populations économiquement et socialement vulnérables à l’extérieur du quartier (augmentation des loyers et du coût de la vie), puis parallèlement à l’arrivée de nouvelles populations issues des classes moyennes à aisées, et ce, surtout depuis le début des années 2000 avec la mise en œuvre d’importants projets d’aménagement pour revitaliser les espaces publics du quartier (Twigge-Molecey, 2009, 2014). Au-delà des déplacements de populations associées aux changements socioéconomiques, les transformations socioculturelles ont aussi créé des pressions indirectes favorisant ces déplacements (p. ex., identité du quartier bouleversée par les pertes de référents communs pour les résident·e·s traditionnels) (Bélanger, 2010, 2012), ainsi que plus récemment dans l’idéal d’un Saint-Henri plus verdoyant.
Pour opérationnaliser le terrain de recherche, nous avons d’abord identifié le lieu dans le quartier Saint-Henri affichant la plus haute densité d’espaces verts (triangle vert), et c’est au sein de celui-ci que nous avons mené des observations in situ (non participante et participante) des comportements (surtout non verbaux) associés à l’utilisation des espaces verts. Les observations ont incorporé différents instruments (p. ex., journal de bord, prise de photos et interrogation informelle) et se sont déroulées à un rythme d’une visite d’environ six heures par semaine pendant trois mois. Parallèlement, nous avons réalisé une recherche et une analyse documentaire pour bien identifier les politiques publiques municipales en matière de verdissement (p. ex., plan directeur des parcs et des espaces verts) (Le Sud-Ouest, 2019), les principaux projets de développement économique (p. ex., constructions immobilières), les dynamiques sociales entourant les enjeux immobiliers (p. ex., rapports d’organismes communautaires et du conseil d’arrondissement). Ensuite, 15 entrevues semi-dirigées ont été conduites avec différentes catégories d’acteurs impliqués dans le phénomène à l’étude (responsables politiques, promoteurs immobiliers, organismes communautaires et résident·e·s). L’objectif était d’exposer leurs représentations du quartier et de ses espaces verts, leurs perceptions des changements et transformations de nature sociale ou physique à travers le temps, leurs compréhensions des dynamiques et enjeux socioenvironnementaux, puis leurs expériences relationnelles en lien avec les autres acteurs. Enfin, pour traiter les informations récoltées, nous avons employé une analyse qualitative transversale des pratiques et discours pour exposer les dimensions sociale, environnementale, économique et spatiale associées à l’accessibilité et l’utilisation des espaces verts dans un contexte d’écogentrification.
Le mirage de l’accessibilité et les inégalités socioenvironnementales sur fond de processus d’écogentrification
Notre terrain de recherche nous a permis de constater deux catégories de tendances, soit les pratiques et les discours. Premièrement, concernant les pratiques, nous avons relevé quatre grandes observations. D’abord, les profils socioéconomiques des personnes occupant les lieux observés sont caractérisés par la présence des populations de classe sociale moyenne ou aisée, mais surtout par l’absence des populations socialement et économiquement vulnérables, malgré leur présence non négligeable dans le quartier. Par exemple, les organismes communautaires consultés (P.O.P.I.R. et Solidarité Saint-Henri) ou encore Statistique Canada (recensement 2016) nous ont indiqué que 19,7 % des ménages gagnaient moins de 20 000 $ par année, 27,4 % entre 20 000 $ et 39 999 $, 27,9 % entre 40 000 $ et 79 999 $ et 25 % 80 000 $ et plus. La deuxième grande tendance concerne les usages des espaces verts du secteur, soit des utilisations axées sur les activités sportives et de socialisation qui semblent exiger un investissement significatif (p. ex., entraîneurs ou entraîneuses privés, bars et restaurants aux tarifs non abordables en bordure des espaces verts). Ensuite, nous avons constaté une importante proximité entre les espaces verts et les projets immobiliers, voire une incorporation des espaces verts au sein des projets immobiliers d’ampleur (voir les photos 1, 2 et 3). De plus, ces projets utilisent une étiquette écologique pour faire la promotion de leurs logements luxueux. Par exemple, dans le cas du promoteur Mondev, pour le projet de condominiums Galdìn (jardin en gaélique), ce dernier parle d’architecture verte et d’espace vert dans ses publicités (voir image 1 et 2) et ses logements étaient en 2020 d’une valeur de 550 000 $ à 1 350 000 $. La dernière tendance concerne les perspectives et les besoins vis-à-vis des espaces verts urbains selon les différentes catégories d’acteurs. Bien que l’ensemble des personnes interviewées ne priorise pas les mêmes besoins (p. ex., lieux de socialisation vs valorisation des propriétés), il est clair que les espaces verts sont perçus de manière positive par ces différentes catégories d’acteurs, car ils sont vus comme bénéfiques pour la santé physique et psychologique (environnement sain).
Deuxièmement, concernant les discours, nous avons aussi distingué quatre grandes tendances. En premier lieu, l’ensemble des personnes interrogées lors des observations de terrain et lors des entrevues sont satisfaites des espaces verts, qu’elles perçoivent positivement (p. ex., effets bénéfiques pour l’environnement, la santé et le tissu social). En deuxième lieu, nous avons constaté une importante divergence d’opinions sur l’enjeu du développement immobilier et plus particulièrement sur les effets de celui-ci dans le quartier (p. ex., revitalisation économique du quartier vs déplacements des populations locales économiquement vulnérables). Les personnes interrogées lors des entrevues et des observations participantes ont révélé que la tension sociale associée au développement urbain était attribuée au phénomène de gentrification, mais la signification de celui-ci peut changer considérablement d’une personne à l’autre. Ensuite, la perspective favorable à l’égard des espaces verts était la plupart du temps associée au vocabulaire de développement durable et de durabilité urbaine. La dernière tendance est une perception positive de l’accessibilité physique des espaces verts (proximité), aussi bien en ce qui concerne leur qualité et leur quantité, mais surtout comme un moyen efficace de lutter contre les nuisances urbaines (p. ex., pollution et îlots de chaleur). De plus, nous avons constaté au sein de cette tendance que l’ensemble des personnes interrogées considèrent que les espaces verts sont une ressource urbaine accessible à l’ensemble des populations.
L’analyse transversale de ces pratiques et discours reliés aux enjeux des espaces verts urbains nous a permis de mieux comprendre l’écart entre les discours et les pratiques d’accessibilité aux espaces verts, ainsi que la présence ou le renforcement d’inégalités environnementales au détriment de certaines populations. Le premier constat majeur qui se dégage de cette analyse renvoie à la présence d’un phénomène de gentrification, dont la nature des conséquences est matière à débat et une source de tension sociale. Cela dit, la multiplication des espaces verts (p. ex., le triangle vert avec ses nombreux parcs, les ruelles vertes et l’aménagement du canal de Lachine) ne semble pas amplifier cette tension. La majorité des personnes consultées ne font pas de lien entre ces pratiques relatives aux espaces verts et la présence d’un processus d’écogentrification. Pourtant, bien que ces pratiques favorisent dans un premier temps l’accessibilité aux espaces verts des populations locales, elles viennent plutôt bénéficier aux populations issues des classes moyennes et aisées à plus ou moins long terme (p. ex., augmentation de valeurs des propriétés et de la qualité de vie) et à certains acteurs économiques impliqués dans le développement urbain (p. ex., les promoteurs immobiliers comme Mondev). Ce processus sociospatial contribue à renforcer les transformations sociales (p. ex., changements dans le tissu social), économiques (p. ex., augmentation du coût de la vie) et culturelles (p. ex., différentes utilisations des parcs) déjà en cours, ce qui favorise le déplacement direct et indirect des populations paupérisées à l’extérieur des lieux où l’on trouve une haute densité d’espaces verts.
Le deuxième constat majeur concerne la justification de l’aménagement de ces espaces verts par les acteurs publics et privés (p. ex., classe politique et promoteur immobilier), notamment à l’aide d’un discours de développement durable urbain et de diminution des inégalités environnementales. Ces justifications, surtout chez les autorités municipales, s’articulent dans l’idée de répondre aux inégalités environnementales par une multiplication des espaces verts pour en améliorer l’accessibilité (proximité) et donc bénéficier à l’ensemble de la population (meilleure qualité de vie). Toutefois, l’action publique ne prend pas en considération dans son plan directeur des parcs et des espaces verts, ou encore dans les projets d’aménagement antérieurs au plan (p. ex., La ruelle Woonerf), les conséquences que pourraient engendrer les transformations associées à l’écogentrification. Par exemple, une concomitance entre augmentation des espaces verts, projets immobiliers de luxe aux étiquettes vertes et augmentation des loyers. À savoir, une relation pouvant affecter les populations locales économiquement vulnérables. Ensuite, nos observations suggèrent des limitations pour certaines populations dans l’utilisation des espaces verts causée par les tensions sociales (p. ex., incorporation des espaces verts aux projets immobiliers donnant l’impression d’être privés) (voir image 3), ainsi que par une utilisation différenciée des espaces verts (p. ex., sentiment de dépossession et de non-appartenance au quartier). Certaines entrevues viennent confirmer ces observations, surtout celles menées avec des organismes locaux et des résident·e·s de longue date affirmant que les personnes résidant dans les logements (condominiums de luxe) à proximité des espaces verts utilisaient ces derniers comme leurs « cours arrière », tandis que les instances politiques et les promoteurs économiques mettent plutôt l’accent sur les multiples bienfaits des espaces verts et leur accessibilité universelle pour toutes les classes sociales. Cette situation engendre une inégalité environnementale, puisque les bénéfices de l’utilisation de ces espaces verts sont accaparés par les populations possédant les moyens financiers pour vivre à proximité de ceux-ci.
Conclusion
Notre recherche a permis de mettre en lumière l’existence d’un écart entre les discours et les pratiques d’accessibilité aux espaces verts visant à améliorer la qualité de vie de l’ensemble des populations. Ces espaces sont surtout profitables aux groupes socioéconomiques les plus prospères et ne contribuent pas forcément à remédier aux inégalités environnementales d’accessibilité pour les populations socialement et économiquement vulnérables, bien que ces dernières soient reconnaissantes pour les initiatives de verdissement. La démonstration de cet écart nous permet de réfléchir à la présence d’un éventuel phénomène d’écogentrification au cœur de ce décalage, puisqu’en nous intéressant aux limitations d’accessibilité aux espaces verts dans le triangle vert de Saint-Henri, nous avons constaté un développement immobilier « vert » et des actions publiques socioécologiques (équité environnementale et aménagement d’espaces verts) aux objectifs communs (durabilité, accessibilité et développement urbain). Ce phénomène pourrait contribuer aux diverses pressions existantes dans le quartier et ainsi entraîner les déplacements indirects ou directs des populations qui devaient bénéficier des nouveaux aménagements verts.
Cependant, malgré les différents apprentissages que cette recherche propose, il est aussi possible d’y constater certaines limitations conceptuelles et pratiques. Outre la limitation associée au déroulement du terrain de recherche en contexte de pandémie (p. ex., résident·e·s moins enclins à discuter dans les espaces publics), il est important de mentionner que notre recherche s’inscrit davantage dans une posture théorique détachée du quotidien des populations locales. Autrement dit, nous avons décelé un manque d’implication personnelle dans l’engagement sociopolitique du quartier Saint-Henri (p. ex., participation plus fréquente à des activités locales). Cette limite est non négligeable puisqu’elle peut affecter plusieurs éléments touchant à la démarche de recherche (p. ex., cadrage de la problématique et omission de certains enjeux). Pour répondre à cette limitation et favoriser un engagement scientifique plus proche des réalités locales dans le futur (Gintrac, 2012, 2017), nous proposons de nous intéresser à la géographie urbaine critique et plus spécifiquement à la démarche méthodologique de la recherche-action, dont les objectifs sont de favoriser « une pratique scientifique ouvertement engagée, dénonçant les formes urbaines de la domination et souhaitant participer à l’avènement d’une ville plus juste » (Gintrac, 2017, p. 11).
Pour citer cet article
Tardif-Paradis, E. (2024). L’accessibilité aux espaces verts, source d’inégalités environnementales? Le cas de Saint-Henri à Montréal. Dans Répertoire de recherche Villes, climat et inégalités. VRM – Villes Régions Monde. https://www.vrm.ca/laccessibilite-aux-espaces-verts-source-dinegalites-environnementales-le-cas-de-saint-henri-a-montreal/
Texte source
Tardif-Paradis E (2021) L’accessibilité aux espaces verts, source d’inégalités environnementales ? Le cas de Saint-Henri à Montréal. Mémoire de maîtrise. Université de Montréal. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/26494/Tardif_Paradis_Etienne_2021_Memoire.pdf?sequence=4&isAllowed=y
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