Crédit photo: Exile on Ontario St

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Capsule thématique

Les villes résilientes aux changements climatiques

Auteure : Hélène Madénian* (juillet 2017)

Présentation

Les villes sont directement touchées par les changements climatiques. Elles sont parties du problème, en contribuant à plus de 70% des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) (C40, 2016), et victimes directes de leurs conséquences qui peuvent se manifester de diverses manières telles que par des vagues de chaleur, pluies abondantes ou tempêtes par exemple. Il semble donc primordial pour les villes de s’engager dans la lutte contre les changements climatiques en travaillant à la diminution des émissions de GES d’une part, et en mettant en place des actions de mitigation d’autre part. Le but serait pour les villes de devenir des « Climate resilient cities » ou villes résilientes au changement climatique. Ce terme, utilisé dans le discours public, mais peu défini dans la littérature scientifique, renvoie au concept même de résilience urbaine et des enjeux qui y sont associés. Pour mieux appréhender cette notion, nous allons tout d’abord étudier comment les villes ont pris conscience de l’enjeu climatique et de ses impacts, puis nous reviendrons sur la notion de résilience avant de nous concentrer sur les villes canadiennes et plus particulièrement sur le cas de Montréal.

Les changements climatiques : de la scène internationale à la dimension locale

La question des changements climatiques est présente sur la scène politique internationale depuis plus de vingt ans. Cela débute en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, lorsque la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est adoptée par 154 États ainsi que par les membres de la Communauté européenne. Son objectif est de permettre la coopération internationale dans la lutte contre les changements climatiques, dans le but de limiter l’augmentation des températures d’une part, et afin de faire face à leurs impacts inévitables d’autre part. Il y a ensuite la signature du protocole de Kyoto en 1997, dont l’objectif est de réduire d’au moins 5% les émissions de GES par rapport au niveau de 1990 entre 2008 et 2012 ; et l’Accord de Paris, signé lors de la Conférence des Parties (COP) le 21 décembre 2015, dont l’objectif est de contenir le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » (Nations Unies, 2015).

Mais la lutte contre les changements climatiques dépasse rapidement le cadre international pour devenir un sujet de politique locale. Ainsi, lors de la COP 13 à Bali en 2007, la CCNUCC souligne l’importance du rôle des gouvernements municipaux dans la gestion des impacts climatiques. Plus de 200 représentants de gouvernements locaux signent alors « The World Mayors and Local Governments Climate Protection Agreement » qui stipule que les maires et gouvernements locaux acceptent le défi et les responsabilités de mener des actions pour combattre l’augmentation des températures (The World Mayors Council on Climate Change, 2007). Le traité donne aux gouvernements locaux des principes directeurs pour l’adaptation et la préparation aux changements climatiques ainsi que des cibles concrètes de mitigation. La Banque Mondiale renforce cette tendance en 2010 en déclarant que les changements climatiques sont un « sujet urgent pour les villes mondiales » (The World Bank, 2010) à cause de leur contribution significative aux émissions de GES liées au développement urbain d’une part, et, de leur vulnérabilité quant aux changements climatiques d’autre part.

Beijing avec et sans smog 2005. Crédit photo: Bobak Ha'Eri

Beijing avec et sans smog 2005. Crédit photo: Bobak Ha’Eri

En parallèle de ces directives internationales, de nombreux regroupements internationaux de villes autour du sujet des changements climatiques se forment. Ils sont la preuve que les dirigeants de villes semblent plus enclins à se mobiliser et à agir dans la lutte contre les changements climatiques que ne le sont les dirigeants internationaux (Rosenzweig, Solecki, Hammer et al., 2010). Par exemple, le réseau C40, créé en 1995, regroupe plus de 80 méga-villes engagées dans cette lutte. Il leur permet de collaborer de façon efficace, de partager leurs connaissances et de mettre en place et mesurer des actions de lutte contre les changements climatiques notamment par la réduction des émissions de GES en villes. Un autre exemple est le The World Mayors Council on Climate Change (WMCCC), fondé après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto en 2005, qui est une alliance de responsables gouvernementaux locaux engagés et préoccupés par les changements climatiques. Il préconise un engagement accru des gouvernements locaux dans les efforts multilatéraux de lutte contre les changements climatiques et sur les questions connexes de durabilité mondiale. Finalement, en 2013, la fondation Rockfeller lance le programme 100 Resilient Cities pour aider les villes à devenir plus résilientes aux défis physiques, économiques et sociaux du 21ème siècle (100 resilient cities, 2017).

Avec ses enjeux et interactions entre niveaux global et local, le sujet des changements climatiques devient en quelques années une préoccupation multi-échelle impliquant davantage les villes en tant que causes, mais aussi solutions au problème. Leur vulnérabilité face à ces changements et leur rôle à jouer dans les actions à mettre en œuvre deviennent des enjeux centraux pour l’action publique. Si bien, qu’on voit peu à peu apparaître les termes de résilience urbaine et de résilience climatique dans la littérature scientifique et le discours public.

La résilience : un concept polysémique

À l’origine, la résilience est un terme utilisé en physique pour mesurer la capacité d’un objet à retrouver son état initial après un choc ou une pression continue (Mathieu, 1991). Le concept a ensuite été utilisé en psychologie puis en écologie (Dauphiné & Proviolo, 2007). Ainsi, d’un point de vue écologique, la résilience détermine la persistance des relations au sein d’un système, et, est également une mesure de la capacité de ces systèmes à absorber des changements d’état tout en continuant à exister (Holling, 1973). En considérant la ville comme un système, composé d’habitations, d’infrastructures, de populations, d’activités et de gouvernance, interagissant pour constituer le fait urbain, on peut alors lui appliquer le concept de résilience (Toubin, Lhomme, Diab et al., 2012). La résilience urbaine décrit ainsi « la capacité de la ville à absorber une perturbation puis à récupérer ses fonctions à la suite de celle-ci. » (Lhomme, Serre, Diab et al., 2010). Comme pour les écosystèmes, on cherche à souligner la capacité de résister aux stress et perturbations causés par des facteurs externes (Jabareen, 2013). Cela concerne à la fois le stress chronique, pouvant être aussi varié que la violence endémique, un taux de chômage élevé persistant, ou encore des pénuries en nourriture et eau, que les chocs aigus et ponctuels tels que tremblement de terre, inondation ou attaque terroriste (100 resilient cities, 2017). Le concept de résilience urbaine a également été étendu aux systèmes sociaux humains, à l’écologie urbaine ou encore à la sécurité urbaine, ce que le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR) résume ainsi : « La résilience désigne la capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposé(e) aux aléas de résister, d’absorber et de corriger les effets d’un danger, et de s’en accommoder, en temps opportun et de manière efficace, notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base » (UNISDR, 2010). Finalement, la résilience urbaine concerne autant les systèmes écologiques urbains, la question des risques et de la réduction des risques de désastre, la résilience des économies urbaines et régionales, et la prise en compte de la résilience dans les institutions et dans la gouvernance urbaine (Leichenko, 2011). La résilience urbaine confronte donc les autorités internationales, nationales et locales à des enjeux nombreux et complexes tant dans leurs définitions que dans la façon d’y répondre, et touche différents champs d’intervention que sont notamment l’urbanisme, l’architecture, l’ingénierie, l’économie, la géographie, ou encore la sociologie (Toubin et al., 2012).

De plus, la question des changements climatiques et de la prise en considération de leurs impacts en ville ajoute de nouvelles données à la réflexion sur la résilience urbaine. En effet, il existe aujourd’hui un large consensus sur la nécessité des villes à : premièrement, devenir résilientes face à une grande variété de chocs et stress pour se préparer aux changements climatiques, et deuxièmement promouvoir un développement urbain durable pour favoriser la résilience aux changements climatiques. Ces derniers soumettent les villes à de nombreux risques dont les plus importants sont : les conséquences de la montée du niveau des océans pour les villes côtières, les conséquences des événements météorologiques extrêmes sur les infrastructures bâties, l’impact de l’augmentation moyenne des températures terrestres sur la santé des populations, et les tensions sur l’énergie et les disponibilités en eau et ressources naturelles (Hunt & Watkiss, 2011). Cette résilience face aux conséquences spécifiques des changements climatiques a entrainé l’émergence du terme « Climate Resilient Cities ». Cependant, s’il apparaît dans de nombreux guides de bonnes pratiques de gestion des villes tels que ceux de la Banque Mondiale ou de l’UNISDR, la littérature scientifique ne fournit aucun cadre pratique pour la mise en application de cette résilience particulière ni aucun outil de mesure (Bulkeley & Betsill, 2013). Nous devons donc nous poser des questions critiques sur les implications de l’utilisation du terme « Climate resilient cities » dans le discours et les pratiques politiques : de quel type de gouvernance s’agit-il ? Une résilience qui se fait pour qui et suivant quelles lignes directrices et bonnes pratiques ?

Les villes canadiennes dans la recherche de résilience climatique

Au Canada, les questions de gouvernance relatives aux changements climatiques peuvent relever à la fois des compétences législatives fédérales et provinciales suivant le domaine concerné. En effet, la loi constitutionnelle de 1867, définissant les domaines de compétences des deux niveaux de gouvernance, que sont le fédéral et le provincial, n’a pas pu, à l’époque, anticiper les problèmes liés à la protection de l’environnement. Dans les faits, ces questions sont plutôt gérées localement par les dix provinces du pays, qui sont également exclusivement détentrices de la compétence pour faire adopter des lois et règlements applicables à leurs institutions municipales. Les seules sources de pouvoirs et de recettes des municipalités sont donc celles que leur confère la législation provinciale. Cependant, étant donné la vaste gamme d’activités fédérales qui empiètent sur des secteurs de compétence locale, les provinces n’ont pas pu empêcher certains rapports de nature ponctuelle entre les ministères fédéraux et les municipalités (Dewing, Young, & Tolley, 2006). Ainsi, depuis le milieu des années 1980, les municipalités utilisent des pratiques de lobby pour faire avancer des sujets au niveau fédéral notamment par l’intermédiaire de la Fédération canadienne des municipalités (FCM). En effet, la FCM, créée en 1901, regroupe les grandes villes et petites municipalités urbaines et rurales et s’assure que les politiques et les programmes décidés au niveau fédéral sont adaptés aux besoins des municipalités. Son Conseil se réunit trimestriellement pour définir les principaux enjeux municipaux nationaux.

Le programme Municipalités pour l’Innovation Climatique (MIC), annoncé le 2 février 2017 (FCM, 2017), par le ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, Amarjeet Sohi, et le président de la FCM, Clark Somerville, répond aux demandes des villes canadiennes d’être accompagnées financièrement dans la mise en place de stratégies pour la résilience climatique. Ce programme quinquennal de 75 millions de dollars, financé par le gouvernement du Canada, va aider les municipalités à se préparer aux changements climatiques et à s’y adapter ainsi qu’à réduire leurs émissions de GES. Il prévoit d’accroître la sensibilisation aux changements climatiques, de fournir une expertise technique aux municipalités grâce à de la formation, de financer des initiatives locales tel que l’achat de véhicules hybrides par exemple, et de partager les leçons tirées des expériences vécues par les municipalités participant au programme. Ce dernier doit permettre à plus de 600 municipalités de renforcer leurs capacités de réduction des émissions de GES et d’adaptation aux changements climatiques.

Chaque ville, suivant les compétences octroyées par sa province, peut également mettre en place des politiques en vue de devenir résiliente. C’est le cas de Montréal, qui a présenté son Plan d’adaptation aux changements climatiques de l’agglomération de Montréal 2015-2020 (Ville de Montréal, 2015a) en 2015. Il dresse, tout d’abord, un état des lieux de la situation en indiquant que la température moyenne sur l’île de Montréal augmentera de 2 à 4 degrés d’ici 2050 et de 4 à 7 degrés d’ici 2100. Ceci aura notamment comme conséquences davantage de pluies abondantes et de vagues de chaleur ou encore plus de tempêtes destructrices de vent, grêle, neige et pluie verglaçante. Dans un deuxième temps, le plan développe les mesures qui vont être prises pour réduire les îlots de chaleur, protéger la biodiversité, gérer les eaux de ruissellement, ou encore augmenter la résilience des infrastructures (Ville de Montréal, 2015b).

Montréal s’appuie également sur l’expertise d’acteurs locaux tel que Vivre en Ville, qui accompagne les municipalités dans la planification urbaine à faible impact climatique (Vivre en Ville, 2017). Finalement, Montréal fait partie de regroupements internationaux tels que le C40 ou 100 resilient cities pour développer sa résilience. En janvier 2016 (Ville de Montréal, 2016), elle a lancé le chantier de sa stratégie de résilience urbaine avec le soutien des experts du 100 resilient cities et a annoncé la nomination de Louise Bradette en tant que directrice de la résilience. Le regroupement 100 resilient cities lui fournira un appui technique pour construire sa stratégie ainsi qu’un soutien financier pour la création du poste de directeur de la résilience.

Avec le lancement de son plan d’adaptation aux changements climatiques et son projet pour une stratégie de résilience urbaine, Montréal fait la démonstration de son engagement dans la volonté de devenir une « Climate resilient cities ».

Conclusion

Si les concepts de résilience urbaine et de résilience climatique demeurent encore flous, ils permettent de comprendre la nécessité pour les villes d’analyser leur situation de vulnérabilité face aux changements climatiques et de mettre en œuvre des plans d’action pour anticiper les risques à venir. Sans cadre de référence scientifique strict, chaque ville doit définir sa façon de travailler en vue d’atteindre la résilience climatique : à travers des regroupements internationaux de villes, en déclinant des politiques nationales ou provinciales, ou en s’appuyant sur des programmes spécifiques par exemple.

Cependant, les changements climatiques ne sont qu’un type de choc ou stress parmi d’autres que peuvent connaître les villes (Leichenko, 2011). De plus, les chocs climatiques sont généralement combinés à d’autres chocs de type environnemental, économique et politique. Il est donc primordial pour les villes de devenir résilientes à une gamme plus large de chocs et de stress qui se chevauchent et interagissent pour pouvoir enfin devenir des « Climate resilient cities » et ainsi assurer leur durabilité.

 

Bibliographie

100 resilient cities. (2017). What is Urban Resilience? 

Bulkeley, & Betsill. (2013). Revisiting the urban politics of climate change. Environmental Politics(22:1), 136-154.

C40. (2016). Mettons en œuvre l’accord de Paris, avant le déluge ! 

Dauphiné, & Proviolo. (2007). La résilience : un concept pour la gestion des risques. Annales de géographie, 2(654).

Dewing, Young, & Tolley. (2006). Les municipalités, la constitution et le régime fédéral canadien. Bibliothèque du Parlement.

FCM. (2017). Nouveaux programmes pour aider à lutter contre le changement climatique et à renforcer la planification des infrastructures.

Holling. (1973). Resilience and stability of ecological systems. Annual Review of Ecology and Systematics, 4, 1-23.

Hunt, & Watkiss. (2011). Climate change impacts and adaptation in cities: a review of the literature. Climatic Change, 104(1), 13-49. doi:10.1007/s10584-010-9975-6

Jabareen. (2013). Planning the resilient city: Concepts and strategies for coping with climate change and environmental risk. Cities 31, 220-229.

Leichenko. (2011). Climate change and urban resilience. Current Opinion in Environmental Sustainability, 3(3), 164-168. doi:10.1016/j.cosust.2010.12.014

Lhomme, Serre, Diab, & Laganier. (2010). Les réseaux techniques face aux inondations ou comment définir des indicateurs de performance de ces réseaux pour évaluer la résilience urbaine. Bulletin de l’association des géographes français, 487-502.

Mathieu. (Ed.) (1991) Dictionnaire de physique. Paris: Masson, 567p

Nations Unies. (2015). Accord de Paris.

Rosenzweig, Solecki, Hammer, & Mehrotra. (2010). Cities lead the way in climate–change action. Nature, 467, 909–911. doi:10.1038/467909a

The World Bank. (2010). Cities and climate change: an urgent agenda. 

The World Mayors Council on Climate Change. (2007). The World Mayors and Local Governments Climate Protection Agreement.

Toubin, Lhomme, Diab, Serre, & Laganier. (2012). La Résilience urbaine : un nouveau concept opérationnel vecteur de durabilité urbaine ?Développement durable et territoires, 3(1).

UNISDR. (2010). Making cities resilient: my city is getting ready! – campaign kit.

Ville de Montréal. (2015a). Plan d’adaptation aux changements climatiques de l’agglomération de Montréal 2015-202, les constats

Ville de Montréal. (2015b). Plan d’adaptation aux changements climatiques de l’agglomération de Montréal 2015-202, les mesures.

Ville de Montréal. (2016). Groupe élite des 100 villes résilientes : Montréal prépare sa stratégie de résilience.

Vivre en Ville. (2017). Planifier une croissance urbaine à faible impact climatique.

* Hélène Madénian est étudiante en environnement et développement durable (DESS) à l’Université de Montréal. La capsule a été réalisée dans le cadre du cours POL6512 sous la direction de Laurence Bherer.