L’immigration et ses mythes
Conférence de Mireille Paquet, professeure à l’Université Concordia (remplaçant au pied levé Victor Piché, chercheur associé à l’Université McGill et chroniqueur au Journal METRO) et de Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
16 mai 2019, INRS
Compte rendu par Léa Dallemane, en collaboration avec Catherine Paquette, étudiantes à la maîtrise en études urbaines à l’INRS et membres de l’équipe des Midis de l’immigration
L’immigration est un sujet largement discuté, donnant lieu parfois à de vifs échanges. Dans la sphère publique, le débat est alors souvent parsemé de mythes touchant à toutes les dimensions de l’immigration. Les élections provinciales d’octobre dernier et le débat autour du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, ont ramené l’immigration au cœur de l’actualité. Ces discussions nous rappellent l’urgence de questionner les mythes de l’immigration ; ce dont s’est chargée l’assemblée réunie lors des Midis de l’Immigration* le Jeudi 16 mai dernier, à l’INRS. La politologue Mirelle Paquet (remplaçant au pied levé le chercheur Victor Piché) a apporté son analyse avec pertinence. Avec elle, le directeur de la TCRI (Table de Concertation des organismes au service des personnes Réfugiées et Immigrantes), Stephan Reichhold a partagé sa riche expertise, le tout animé par Annick Germain.
« Mythes »: de quoi parle-t-on ?
Mythes, fausses informations, préjugés : tout se discute lors de cette rencontre. Spécialiste des politiques d’immigration canadiennes à l’Université Concordia, Paquet énumère trois grands mythes structurants :
- Le mythe de la volonté individuelle de l’immigration. qui suggère que l’effort d’intégration devrait être aussi individuel;
- Le mythe de la sélection efficace ou efficiente établit qu’avec une bonne sélection, il y a une bonne intégration sur le marché du travail;
- Le mythe de la capacité de l’État, qui serait souverain dans la création des flux migratoires.
Présent dans l’assemblée, le professeur de l’INRS Xavier Leloup nous rappelle le mythe de « grand remplacement », ou «du retour » selon lequel les populations rentreraient dans leur pays d’origine, alors que finalement la plupart s’installe. Reprenant cette idée, il développe une vision séduisante selon laquelle, à l’inverse, le Québec entre dans le « mythe de l’installation ».
La fragile information
Reichhold critique le manque d’information, qui nourrit les préjugés au sujet des personnes immigrantes et du système migratoire. En guise d’illustration, il demande à l’assemblée quelle est l’origine la plus présente parmi les immigrants au Québec. Les réponses fusent : « Française ? » « Arabe ? » « Chinoise ? ». Bonne réponse : Chinoise ! D’autres mythes, comme celui véhiculant que l’immigration coûte cher, ou qu’il y a trop d’immigrants, sont aussi le résultat d’un manque d’information.
Nous vivons dans un monde où il est difficile de lire et traduire les données, précise Paquet. Par ailleurs, elle évoque la difficulté de mesurer l’immigration à l’échelle internationale et d’étudier ce qu’il se passe une fois la personne arrivée dans son pays d’accueil. Une démographe présente dans l’assemblée appuiera cette idée en évoquant une étude de l’INED qui a permis de déconstruire les préjugés sur les Africains en France, en réalisant une étude fiable et diffusable (voir cet exemple).
Ceux qui endurent, et ceux qui alimentent les mythes
Reichhold mentionne que le champ des personnes réfugiées et demandeur.euse.s d’asile est exposé à de nombreux mythes. Pour illustrer, il nous donne l’exemple des réfugié.e.s syrien.ne.s, objet d’enthousiasme, alors que les demandeur.euse.s d’asile susciteront des réactions négatives. Selon Paquet, ce sont les populations concernées par ces mythes, mais aussi celles et ceux qui veulent les aider qui en pâtissent. Enfin, pour elle, c’est la société au complet qui subit les conséquences de ces faussetés : « les mythes limitent nos possibilités d’agir ».
Reichhold évoque l’importance des médias sociaux, et le rôle du gouvernement dans la diffusion des mythes. Un intervenant souligne le rôle de l’opinion publique, mis en exergue par les sondages : qui les produit ? questionne-t-il. Germain complète cet argument en évoquant une étude montrant qu’il se cache une autre réalité derrière les sondages d’opinion.
Une histoire de contexte
Nous évoluons dans un contexte d’insécurité culturelle, et l’insécurité économique joue aussi énormément dans le succès du populisme ou de l’extrême droite, nous rappelle Paquet. Déboulonner les mythes, selon elle, c’est s’assurer d’apaiser ces craintes. Germain fait alors part du paradoxe : pourquoi cette hostilité est présente dans une période de croissance économique ? Pour Paquet, « les québécois ont répondu à une activation de l’offre politique ». Avec ces lunettes politiques, elle explique comment la CAQ est allée chercher des électeurs grâce aux questions d’immigration, en s’évadant du bipartisme québécois et de la question nationale.
La politique : seule arme contre les mythes ?
À la lumière de tous les mythes exposés lors de la séance, les panélistes questionnent les solutions permettant d’en contrer la diffusion et la construction. Paquet déplore l’absence de « contre-voix » au Québec, qui permettrait d’exprimer les faits et laisser une place aux chercheur.euses. Germain insiste : ne devons-nous pas mobiliser nos politiciens ? Pour Reichhold, ce n’est pas si facile que ça, car dans la politique, les enjeux stratégiques s’immiscent.
Paquet déplace le débat : la question est éthique, avons-nous le droit de dire des faussetés pour séduire l’électorat ? L’éducation se révélerait ainsi la meilleure arme contre les mythes. Germain appuie : l’immigration, pourrait être une matière à discuter à l’école. Un participant répondra qu’on ne peut mettre l’emphase que sur le savoir, mais se poser des questions d’ordre démocratique.
Cette rencontre nous donne conscience de l’importance de discuter encore les mythes de l’immigration, sujet loin d’avoir été épuisé lors de cette séance. Entre autres, la question de la religion a été évoquée : quelle est sa place dans l’accueil des immigrants, et dans la construction des mythes de l’immigration ?
Podcasts
* Les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration. Depuis 2016, cette initiative étudiante permet de réaliser 6 rencontres par année, 3 à l’automne, 3 à l’hiver.