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Gouvernance et adaptation aux changements climatiques: études de cas dans deux communes lacustres (Aguégués et Sô-Ava) au sud du Bénin

Janvier 2023

Par Dossa Hyppolite Dansou, diplômé du doctorat en aménagement du territoire et développement régional, Université Laval

Introduction

En réponse à la crise socioéconomique et sociale des années 1980 en Afrique subsaharienne, les institutions internationales avaient exigé des États, en appui aux réclamations des populations locales, plus de démocratie et une décentralisation. Démocratie et décentralisation furent adoptées dans la quasi-totalité des pays africains. La décentralisation créa ainsi des niveaux infranationaux de pouvoir basés sur une nouvelle gouvernance multiniveaux. L’objectif était le développement territorial qui repose sur deux moteurs (gouvernance et production) se nourrissant eux-mêmes des innovations. Parmi ces innovations, celles institutionnelles jouent un rôle prépondérant, car elles sont relatives à la gouvernance territoriale.

Cette ambition incombant aux collectivités territoriales est aujourd’hui confrontée aux effets des changements climatiques récurrents qui hypothèquent ce développement. Comme solutions, les COP 21 et 22 préconisent, entre autres, les innovations territoriales. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) demande depuis 1997 que les communautés locales soient au cœur des stratégies d’adaptation aux changements climatiques. En 2017, une étude de l’agence des États-Unis pour le Développement international sur le Mali recommandait également la gouvernance collaborative pour une meilleure adaptation. Avec ces diverses approches, la décentralisation et la gouvernance multiniveaux semblent être des tremplins pour une adaptation aux changements. Mais alors, comment l’expérience d’une telle gouvernance décentralisée influence-t-elle la capacité adaptative des populations locales aux changements climatiques? Plus spécifiquement, les questions qui ont guidé la recherche sont : 1) comment se présente la gouvernance des pays décentralisés après pratiquement trois décennies de décentralisation? 2) face aux insuffisances de la décentralisation, comment s’organisent les collectivités pour le développement de leur territoire? et 3) comment les solutions innovantes qu’elles apportent favorisent-elles ou non une meilleure adaptation?

Méthodologie

Le premier objectif a permis d’analyser le processus de la décentralisation au Bénin, pays ciblé par cette recherche, et de le comparer avec d’autres pays francophones ouest-africains (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo). La gouvernance et le développement espérés de cette réforme ont été analysés avec la théorie de la gouvernance multiniveaux (Poupeau, 2019) et avec les indices de développement de ces pays. La théorie des innovations territoriales de Torre (2018) a servi de cadre pour les objectifs 2 et 3.

La recherche a privilégié l’étude comparative de cas avec une approche de recherche collaborative. Outre les données recueillies dans 70 documents (articles, lois, rapports, etc.) sur les huit pays, nous avons mené 36 entretiens semi-dirigés, 4 groupes de discussion totalisant 40 personnes et 20 observations dans Aguégués et Sô-Ava, deux des trois communes béninoises les plus pauvres et sujettes aux effets des changements climatiques. Ces communes ont amorcé, après l’élaboration de leurs plans de développement, deux projets[1] d’adaptation. Entre mars 2019 et mars 2020, nous avons ainsi rencontré les autorités locales et nationales, les producteurs locaux, des organisations de la société civile, des groupes de femmes, des bénéficiaires directs et indirects, des partenaires de mise en œuvre et des équipes de gestion locale.

Résultats

L’état des lieux sur la gouvernance montre que sur les compétences prévues, très peu sont transférées aux collectivités (5/11 au Bénin, 4/11 au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, etc.). Les contrôles excessifs de l’État central limitent l’autonomie des collectivités (interventions massives de l’État, plus de 16 contrôles de légalité au Bénin, collectivités traitées comme des agences de services partout). Ces collectivités disposent de très peu de ressources : fiscalités inadaptées, perçues par l’État, faible contribution du budget national aux budgets locaux, soit environ 4 % au lieu de 15 % prévu par l’Union monétaire ouest-africaine. Sur la capacité des collectivités à influencer les décisions du pouvoir central, on constate beaucoup de structures créées par elles et l’État central : Association des municipalités du Mali, Association des municipalités du Niger, Association des maires du Sénégal – Conseil de cercle ou de régions au Mali, au Togo, en Côte d’Ivoire. Cependant, ces structures ont très peu d’influence sur les politiques publiques nationales.

Malgré des indices de développement révélant une évolution de 1990 à 2019 des pays ciblés, l’analyse montre que cette évolution est sans grand impact sur le quotidien des populations. Ces pays demeurent sous-développés dans les classements du PNUD.

Face à cette situation, les acteurs locaux innovent, surtout institutionnellement. À Sô-Ava, la création du Collectif des organisations de la société civile (né de la libéralisation de l’espace public), du Cadre communal élargi de concertation et de l’Union communale des producteurs a favorisé l’avènement du projet Climat’Eau duquel découlent plusieurs innovations. Par exemple, les trois comités de lutte contre les effets des changements climatiques reconnus et soutenus par les autorités, les collaborations multisectorielles et multiniveaux, les trois dispositifs[2] de traitement de l’eau installés pour assainir la rivière Sô et l’augmentation de la production agricole locale.

Contrairement à la commune voisine des Aguégués où les innovations sont portées par des partenaires extérieurs, à Sô-Ava, ces innovations sont soutenues par les acteurs locaux, ce qui a permis leur ancrage territorial et la mobilisation de ressources humaines et financières favorisant ainsi leur adaptation aux changements climatiques.

[1] Projet PADaClim-Bénin cofinancé par Pain pour le Monde et DM-Échange et Mission pour les Aguégués et projet Climat’Eau cofinancé par le Fonds vert du Québec et les partenaires Umalia, Technologies Ecofixe, Collectif des OSC de Sô-Ava, sa Mairie et l’Université Laval.

[2] Technologie de traitement biologique de l’eau importée du Canada et adaptée au contexte local par l’entreprise québécoise Technologies Ecofixe.