Pollutions atmosphérique et sonore en milieu urbain : le cas de la ville d’Abidjan

Par Gaoussou Sylla, Ph.D en études urbaines à l’INRS
Mai 2024

*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.

Contexte de la recherche

Les pollutions atmosphérique et sonore sont un enjeu environnemental et de santé publique dans de nombreuses villes des Nords et des Suds. Elles représentent les première et deuxième nuisances environnementales dans le monde. Dans les centres urbains, l’origine de ces nuisances est principalement la circulation routière.

Parlant de circulation routière, les caractéristiques (âge des véhicules, nature du carburant, présence ou non de feux tricolores, utilisation intempestive du klaxon) des villes des Suds sont bien différentes de celles des villes des Nords. Aussi, les villes des Suds cumulent des sources de pollution potentielle telles que la poussière due aux routes non asphaltées, la combustion de la biomasse ou les activités de rue parfois informelles.

À la lumière de ces constats et surtout devant le manque de connaissances sur les pollutions atmosphérique et sonore dans les villes d’Afrique de l’Ouest, notre recherche de doctorat a porté sur le cas d’Abidjan et visait à modéliser et à cartographier une série d’indicateurs sur le bruit, à savoir le niveau de pression acoustique pondéré A de 30 secondes (LAeq,30s) et de trois polluants atmosphériques, soit le dioxyde d’azote (NO2), les particules de 2,5 microns de diamètre (PM2,5) et les particules de 10 microns de diamètre (PM10). Cette recherche a également permis d’émettre un diagnostic de l’équité environnementale.

Méthodologie

Notre thèse repose sur une collecte extensive de données qui, à partir de plusieurs équipements (vélos hybrides, capteurs mobiles de pollution atmosphérique, sonomètres, montre GPS, caméra d’action) (figure 1), a consisté à construire une base solide de données primaire des polluants gazeux, particulaires et sonores de la ville d’Abidjan. Ainsi, une équipe composée de trois cyclistes a pédalé pendant six jours à Abidjan. Au total, environ 920 km (75 h) ont été parcourus dans les rues de la ville. Chaque jour, la collecte s’est déroulée entre 8 h et 18 h avec une pause vers midi afin de permettre de recharger les batteries des appareils; l’équipe s’assurait ainsi de rouler durant les heures de pointe du matin et du soir. Une fois sur la route, les consignes étaient de rouler à une vitesse raisonnable (15 km/h) afin d’éviter les accidents et de respecter scrupuleusement le code de la route. Cette collecte a été réalisée pendant la saison sèche (du 3 au 10 décembre 2021) à l’échelle de la ville d’Abidjan. Les cyclistes avaient pour objectif de pédaler dans toute la ville, surtout sur les différents types de routes (autoroutes, primaires, secondaires, tertiaires) afin d’y mesurer les niveaux de pollution, à l’aide de capteurs à faible coût qui étaient installés sur les vélos et sur chaque cycliste (figure 1).

Une fois les données collectées, structurées et fusionnées, nous disposions de segments de 30 secondes (pour le bruit) et d’une minute (pour les polluants atmosphériques) à travers le réseau de rues. Ces données nous ont permis d’avoir les niveaux de concentration des différents polluants. Puis, une fois les modèles obtenus, nous avons généré les cartes de prédiction de tous les polluants. Ainsi, les cartes nous ont permis, d’une part, de connaître la distribution spatiale des polluants et, d’autre part, leurs niveaux sur les différents types de routes.

Figure 1 : Présentation des appareils utilisés pour la collecte

Crédits photo : Victoria Jepson, 2022

Résultats et discussion

La figure 2 présente la distribution spatiale du bruit à Abidjan. Le niveau de bruit enregistré lors de la collecte des données à Abidjan est assez élevé, avec une moyenne de bruit du LAeq,30s qui est de 75,7 dB(A), alors que l’Organisation mondiale de la santé recommande 53 dB(A). Les niveaux de bruit les plus élevés se situent dans les communes socialement défavorisées d’Adjamé, de Yopougon et d’Abobo, caractérisées par des populations très denses et des axes de circulation importants.

La figure 3 présente le niveau moyen (91,4 µg/m3) et la distribution spatiale du dioxyde d’azote (NO2) à Abidjan. La carte révèle des variations spatiales importantes : les valeurs les plus fortes sont localisées dans les communes d’Adjamé, de Plateau, de Cocody, de Treichville, de Marcory et de Biétry; les plus faibles, dans les communes de Yopougon, d’Abobo, d’Anoumabo, de Riviéra 5 et de Riviéra Palmeraie.

La figure 4 présente le niveau moyen (23,3 µg/m3) et la distribution spatiale du PM2,5 à Abidjan, alors que la figure 5 présente le niveau moyen (90,6 µg/m3) et la distribution spatiale du PM10 à Abidjan.

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Les cartes d’exposition potentielle aux deux polluants particulaires sont très semblables, sauf pour les communes de Koumassi, d’Anoumabo et de Yopougon avec de faibles valeurs pour les PM2,5, mais fortes pour les PM10.

Quelques enseignements peuvent être tirés de nos résultats : quel que soit le polluant considéré, comparativement à une rue résidentielle, circuler à vélo sur une autoroute ou une voie express, une route primaire, une route secondaire et une route tertiaire fait augmenter significativement l’exposition, bien que dans des proportions différentes. Par ailleurs, les routes non asphaltées (terre ou sable) et la vitesse du cycliste sont associées significativement à une diminution des quatre polluants. Cette situation peut s’expliquer par le fait qu’il y a peu de circulation automobile sur les routes en terre. Cependant, la distance entre la route majeure et la route secondaire la plus proche est particulièrement importante pour le bruit et le dioxyde d’azote, contrairement aux PM2,5 et aux PM10.

Concernant les polluants atmosphériques, les prédictions de trois modèles pour l’ensemble de la ville révèlent que la répartition spatiale du dioxyde d’azote est bien différente de celles des matières particulaires. En effet, les résultats montrent que les matières particulaires sont présentes sur les routes non asphaltées, donc elles sont plus liées à la poussière, alors que le dioxyde d’azote est plus présent sur les routes asphaltées, donc plus lié aux véhicules.

Concernant le diagnostic de l’équité environnementale, compte tenu du manque de certaines données secondaires, nous avons réalisé une analyse exploratoire. Pour l’équité environnementale, la situation semble plutôt nuancée : 1) les rues de la commune la plus pauvre (Attécoubé) appartiennent majoritairement à la classe ayant les niveaux les plus élevés pour les quatre polluants; 2) les rues de Cocody (la deuxième commune la plus nantie) sont majoritairement classées dans la classe affichant les plus faibles niveaux de polluants; 3) par contre, pour les autres communes, il n’y a pas de lien entre les niveaux de pollution et la pauvreté non financière.