Place à la Relève!
Le logement social comme levier pour la santé et moyen d’amplifier le care au sein des communautés
Février 2023
Par Marie-Ève Desroches, diplômée du doctorat en études urbaines, INRS
Présentation de la recherche
Au Canada, 43 % des femmes locataires cheffes de familles monoparentales ont un logement trop cher, trop petit ou ayant besoin de réparations[1]. Elles sont à risque d’itinérance. Les logements sociaux devraient être une solution, mais les listes d’attente s’allongent. Plusieurs groupes communautaires voudraient améliorer l’offre de logements sociaux, mais se heurtent à des difficultés liées au financement, à l’accès aux terrains ou à l’acceptabilité sociale de ces projets.
Dans le cadre de ma thèse, j’ai voulu, d’une part, mieux comprendre comment et pourquoi certaines organisations parviennent à créer des logements sociaux. Mon intention était, d’autre part, de déterminer si le mouvement des Villes en santé, qui incite les municipalités à établir des mesures concrètes pour réduire les inégalités de santé, apporte un certain soutien à ces initiatives. Je me suis penchée sur des organisations qui ont récemment établi de nouveaux logements sociaux pour les femmes cheffes de familles monoparentales à Montréal (Mon Toit, mon Cartier), Toronto (Massey Centre) et Vancouver (YWCA). J’ai rencontré une cinquantaine de personnes clés qui m’ont d’abord dessiné les processus pour créer du logement social. J’ai ensuite mené un entretien semi-dirigé pour approfondir leurs visions et expériences.
Le logement au sein des Villes en santé
Les trois municipalités reconnaissent l’importance du logement social pour développer des Villes en santé. Les stratégies municipales associent la construction de nouveaux logements à des moyens pour lutter contre les inégalités de santé (Toronto et Vancouver) ou pour créer des milieux de vie complets (Montréal). Toutefois, ces programmes ne sont pas envisagés ainsi par les personnes impliquées dans leur création. Les personnes interviewées soulignent que les quelques nouveaux logements sociaux ne suffisent pas à répondre aux besoins de la population, d’autant plus que ces projets sont rares.
Ces logements sociaux sont néanmoins reconnus comme des leviers pour la promotion de la santé des ménages qui y résident. L’accès permet premièrement de transformer les conditions d’habitation et ainsi réduire l’exposition des locataires à des risques (moisissures, violences et stress). Deuxièmement, la stabilité que leur procurent ces logements donne la possibilité de prendre en main leur santé (avoir accès à des soins professionnels, améliorer leurs habitudes de vie et suivre des traitements). Cet accès est parfois même facilité par des services et activités offerts sur place. Troisièmement, l’accès aux programmes leur offre un répit et des opportunités pour développer leur autonomie et leur capacité d’accéder à d’autres déterminants sociaux de la santé (revenu, services de garde et alimentation).
Cette reconnaissance du rôle potentiel pour la promotion de la santé n’influence pas l’action des communautés. En effet, la promotion de la santé ne motive pas directement les communautés à s’engager à améliorer l’offre de logements sociaux et les stratégies Villes en santé ne lèvent pas les obstacles au développement. Certains moyens associés entre autres au mouvement des Villes en santé suscitent à Montréal et Toronto la formation de réseaux intersectoriels pour mener ces initiatives et à Vancouver, l’accès à un terrain municipal.
Le care comme moteur et résultat
À l’opposé, le care était central à ces mobilisations communautaires. Le care correspond aux attitudes, activités et relations en soutien à la vie et à la dignité des personnes. Les trois démarches émergent premièrement d’un constat : certaines familles monoparentales ont des loyers trop élevés, des logements trop petits ou vivent de la violence et de l’instabilité. Ce contexte empêche les mères de pouvoir prendre soin d’elles-mêmes et de leurs enfants, ce qui contribue à leur vulnérabilité. Deuxièmement, les organisations reconnaissent que leur communauté n’a pas des moyens suffisants pour répondre aux besoins de ces familles qui frappent à leur porte. Il n’y a pas de ressources pour elles dans le quartier (Montréal), l’organisation ne peut les garder à long terme dans leurs programmes résidentiels (Toronto) ou il n’y a pas assez de logements pour elles (Vancouver).
C’est le désir de renforcer les capacités de leur organisation à prendre soin de ces populations qui rassemble les individus et organisations autour de ces projets. Devant les ressources institutionnelles insuffisantes pour mettre facilement sur pied du logement social, le care pousse les organisations à élargir leur mission et mener des collectes de fonds et incite certains individus à dépasser leur mandat professionnel pour concrétiser ces projets résidentiels. De plus, la sollicitude des communautés à l’égard de ces familles les incite à réellement être à l’écoute des besoins de ces dernières et ainsi résister, dans une certaine mesure, aux normes néolibérales qui freinent et orientent les aides au logement (p. ex., l’abordabilité au prix de marché, l’aide à court terme et la quête des résultats quantitatifs).
Pour aller plus loin sur l’histoire des cas à l’étude, les tensions associées à ces démarches et la démarche de cette recherche doctorale, je vous invite à lire ma thèse Se soucier, bâtir et prendre soin en bande dessinée ou encore les articles qui composent ma thèse.
*Cette recherche a reçu le soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.
[1] SCHL. (2020). Caractéristiques, ménages avec besoins impérieux de logement (Canada, PT, RMR). Société canadienne d’hypothèques et de logement. https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/professionals/housing-markets-data-and-research/housing-data/data-tables/household-characteristics/characteristics-households-core-housing-need-canada-pt-cmas (ligne G-28)