Université de Montréal Crédits photo : Oussama Trabelsi, 2022

Place à la relève! – Exploration de la relation entre la proximité géographique des universités et la transformation des quartiers dans les agglomérations canadiennes entre 1981 et 2016 : une analyse par régressions spatiales par panel

Par Oussama Trabelsi, étudiant à la maîtrise en études urbaines, INRS

Présentation de la problématique

Depuis les années 1960, les universités nord-américaines ont joué un rôle crucial dans le développement économique des villes et des régions. Des modèles d’« institutions d’ancrage » ont été prévus dans les politiques de planification urbaine pour exploiter les ressources financières et techniques des universités au profit de la communauté locale, en particulier dans les zones en déclin économique. Les universités ont contribué de manière significative à l’économie de leurs communautés en tant que grands employeurs et principaux acheteurs de biens et de services locaux. Elles ont attiré également des étudiant·e·s, qui ont constitué un marché de consommation et un bassin de main-d’œuvre. L’accent mis récemment sur « l’économie du savoir » s’est traduit par une augmentation rapide des inscriptions dans les établissements postsecondaires, entraînant une expansion des campus principaux et la création de nouvelles universités.

Cependant, la littérature récente a par ailleurs souligné les conséquences négatives de la présence des universités. La revitalisation urbaine menée par les universités a pu entraîner le déplacement de résident·e·s défavorisé·e·s dans les quartiers, ce qui s’est traduit par une gentrification. Les étudiant·e·s ont également été impliqué·e·s dans une forme distincte de changement urbain appelée « studentification », où la concentration d’étudiant·e·s (d’environ 20 à 24 ans) dans des quartiers universitaires a été associée à une variété de transformations. De plus, les universités ont été associées au processus de « youthification », qui fait référence à la concentration de jeunes adultes (d’environ 25 à 34 ans) dans les quartiers proches du campus en raison de la prévalence des logements locatifs, du marché du travail, de la disponibilité des transports en commun et de la présence de lieux publics tels que des bars et des cafés. Aussi, nombre de personnes ont continué de vivre dans la région après l’obtention de leur diplôme. Les transformations associées à ces deux phénomènes engendrent une augmentation de la location, une hausse des loyers, le déplacement de certaines populations et une détérioration physique due à un mauvais entretien de la part des étudiant·e·s et des propriétaires.

Les recherches existantes qui mesurent l’impact des universités sur le développement urbain et la transformation des quartiers se sont concentrées sur des études de cas menées sur de courtes périodes, en utilisant uniquement des données transversales. Ainsi, elles pourraient ne pas fournir une compréhension complète de la relation complexe et dynamique entre les universités et le développement urbain. En revanche, les modèles de régressions spatiales par panel permettent d’examiner les variations spatiales et temporelles de cette relation dans plusieurs régions et sur des périodes plus longues.

Méthodologie

Cette étude vise à fournir une base empirique pour comprendre l’effet des universités sur le système urbain en examinant les tendances au niveau national et en utilisant une méthodologie cohérente. Nous avons utilisé des modèles de régression spatiale par panel pour déterminer l’effet des universités sur l’évolution des marchés locaux du logement et des caractéristiques socioéconomiques au fil du temps dans toutes les régions métropolitaines de recensement (RMR) du Canada. Cette technique nous a permis d’analyser les effets spatio-temporels, de contrôler les effets fixes, de modéliser les autocorrélations spatiales, d’étudier les interactions spatiales et de prendre en compte les dépendances spatiales. Les RMR ont été divisées en trois types selon la taille de la population, à savoir les grandes, moyennes et petites régions. Nous avons utilisé des données sur chaque secteur de recensement provenant des recensements de 1981 à 2016 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011. Plus précisément, nous nous sommes concentrés sur quatre dimensions : 1) le marché du logement, 2) l’âge de la population, 3) la diversité sociale et 4) l’éducation.

Chaque dimension a été représentée par une variable unique, qui a été utilisée comme variable dépendante à prédire dans les modèles de régression spatiale par panel. Le marché du logement a été représenté par le coût moyen du loyer (en dollars constants de 2016), l’âge de la population a été indiqué par le pourcentage de jeunes adultes de 20 à 34 ans, la diversité sociale a été mesurée par le pourcentage d’immigrant·e·s, et l’éducation a été représentée par le pourcentage de titulaires d’au moins un baccalauréat.

Résultats

Nous avons constaté l’existence d’une relation statistiquement significative entre les indicateurs socioéconomiques et la proximité des universités dans les grandes régions métropolitaines (RMR) entre 1981 et 2016. Les loyers étaient plus élevés, la proportion de la population âgée de 20 à 34 ans était plus élevée, le pourcentage d’immigrant·e·s était plus élevé, et la proportion de personnes détenant au moins un baccalauréat était plus élevée à proximité des universités. L’absence de signification statistique pour les RMR de taille moyenne et petite pourrait être attribuée à la taille relativement réduite de l’échantillon dans ces régions, ce qui pourrait réduire la puissance de l’analyse statistique, ou à l’impact potentiel des différentes conditions économiques locales ou des politiques d’aménagement du territoire dans ces régions.

Toutefois, cette recherche a démontré que certains impacts urbains des universités ont été observés dans l’ensemble du système urbain et ne se sont pas limités à des études de cas individuelles. Les loyers plus élevés et la concentration de résident·e·s en âge d’étudier dans l’ensemble de l’échantillon ont suggéré l’exclusion d’autres populations. L’identification de ces exclusions pourrait aider les urbanistes à développer des villes plus inclusives et des relations université-communauté plus équitables.

Les résultats de l’étude indiquent que la proportion d’immigrant·e·s était plus élevée à proximité des universités dans les grandes RMR entre 1981 et 2016. Cela signifie que les régions abritant des universités ont attiré une population immigrante plus importante par rapport aux autres régions urbaines, notamment parce que le Canada est un pays très attractif pour les étudiant·e·s étranger·ère·s (621 600 étudiant·e·s en 2021). Bien que les immigrant·e·s aient des réalités différentes, certaines actions de revitalisation urbaine menées par les universités peuvent contribuer au déplacement d’une population immigrante vulnérable, comme cela a été le cas à Parc-Extension à Montréal.

Grâce à l’utilisation de modèles de régressions spatiales par panel, cette recherche a également apporté une contribution méthodologique. Les spécialistes de l’urbanisme qui mèneront des recherches longitudinales pourront appliquer les méthodes présentées dans cette étude.

*Cette recherche a reçu le soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) hébergé par le Laboratoire en statistiques spatiales et développement urbain. Sous la direction de Nick Revington et Cédric Brunelle.