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Profil Pro – Rencontre avec Benjamin Docquiere – Conseiller en aménagement et en urbanisme chez Vivre en ville

Par Salomé Vallette

Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, quelles sont les étapes qui vous ont permis d’intégrer Vivre en Ville?

J’ai fait une partie de mes études en France et à l’époque, il y avait un nouveau programme qui était l’équivalent d’un baccalauréat en histoire et d’un baccalauréat en sociologie, donc ça permettait d’avoir deux baccalauréats en même temps et sur deux thématiques que j’adorais. Je n’avais aucune idée où ça pouvait me mener, mais c’est ce que j’avais envie de faire à ce moment-là, j’avais envie de découvrir. En deuxième année, je devais faire un mémoire, qui était une sorte de mémoire de maîtrise, mais en équipe et avec un accompagnement plus grand de la part d’un·e professeur·e. L’objectif, c’était de nous préparer à la méthodologie scientifique de la maîtrise avant même d’y être et d’ainsi savoir si on avait envie de continuer dans une maîtrise de type recherche ou de type professionnel. De mon côté, je voulais parler de justice environnementale, mais la personne avec qui j’étais en équipe voulait plutôt parler de culture. Bref, nous avions deux sujets complètement différents. Puis, nous nous sommes dit : « OK, allons en discuter dans un parc ». Nous avons choisi le parc Clichy-Batignolles, à Paris, une ancienne friche ferroviaire qui a été reconvertie en milieux mixtes. Nous avons commencé à observer ce qui se passait autour de nous, pour nous rendre compte qu’il y avait des populations de profils sociodémographiques et ethniques très différents, qu’il y avait une cohabitation, mais pas tant que ça non plus. Bref, nous avions trouvé notre sujet de recherche : celui de l’intégration des politiques de développement durable dans les projets de reconversion de friches industrielles dans le grand Paris, dans une perspective d’inclusion socioéconomique.

Cette recherche a vraiment été un tournant déterminant, c’était mon premier pas dans les études urbaines. Comme notre projet a duré deux ans, nous nous sommes spécialisés en histoire urbaine et en sociologie urbaine. Une fois le mémoire terminé, j’ai intégré l’UQAM, en 2018, pour faire une maîtrise en études urbaines, parce que je voulais continuer dans ce sujet. C’était passionnant, mais ce n’était pas ma passion non plus. C’est paradoxal : c’est à la fois quelque chose qui m’animait, mais avec lequel j’étais à l’aise d’éteindre mon ordinateur à la fin de la journée. J’avais trouvé un équilibre. J’ai donc commencé ma maîtrise avec plein d’idées différentes sur des thématiques que je voulais traiter, comme le logement. Je trouvais vraiment la question intéressante, pertinente et cruciale, dans le monde dans lequel on vit, surtout avec ce qui se passe les premiers juillet. Finalement, j’ai été confronté à des réalités dans le quartier dans lequel je résidais à l’époque, celui de la Petite-Bourgogne, à Montréal. Il y a à la fois des personnes nouvellement arrivées, des personnes avec un profil sociodémographique extrêmement aisé et d’autres, plutôt défavorisées, et je crois qu’il y a plus de 90 langues différentes parlées dans ce quartier. Je me suis demandé comment tout ce monde peut se nourrir avec une accessibilité vraiment difficile aux aliments sur les plans économique et géographique. Puis, j’ai eu l’opportunité d’effectuer une recherche pour un OBNL (Quartier de l’innovation, qui n’existe plus aujourd’hui) qui travaillait en innovation sociale. L’objectif était d’essayer de lier les enjeux de mobilité à des enjeux d’accessibilité alimentaire. Que ce soit au niveau de l’alimentation marchande ou non marchande ou bien du soutien communautaire, les systèmes de transport, dans ce secteur, ne sont pas faits à l’échelle du quartier. La Petite-Bourgogne est fractionnée par une autoroute, le métro est excentré et la mobilité au sein et à l’échelle du quartier était complètement négligée. Il y avait donc toute une réflexion sur la façon de redonner une mobilité à toutes et à tous dans une perspective de solidarité et de saines habitudes de vie, du point de vue tant culturel que physique et alimentaire. Voilà pourquoi j’ai commencé ma maîtrise en recherche sur le logement, mais j’ai finalement changé pour le profil stage, que j’ai effectué avec cet organisme.

À la fin de ma maîtrise, j’ai vu qu’un emploi était offert chez Vivre en Ville sur les nouvelles mobilités et l’électrification des transports. C’était en partie en lien avec la thématique de ma maîtrise, donc j’ai postulé. Ça a fonctionné, j’ai eu le poste en juillet 2021. Vivre en Ville souhaitait bien se positionner sur ce créneau, car plusieurs questions importantes n’étaient pas, à notre avis, assez souvent prises en compte dans le discours existant : comment intégrer l’électrification dans une démarche de mobilité durable qui inclut tous les modes de transport? Comment intégrer des préoccupations sociales, d’accessibilité et d’équité? C’était un grand défi, qu’on a relevé avec un beau projet, et qui m’a animé pendant un an et demi! Ce projet m’a amené à faire beaucoup de déplacements, de rencontres, d’échanges avec des personnes très intéressantes, qui étaient parfois enjouées, parfois dubitatives devant notre proposition. Par la suite, je me suis un petit peu diversifié. Mon poste a changé au sein de Vivre en Ville. Après presque deux ans comme conseiller en nouvelle mobilité et électrification des transports, je suis devenu conseiller en aménagement et en urbanisme. Je touche encore à la mobilité et à l’électrification des transports, mais je travaille aussi sur les enjeux liés à l’alimentation et plus généralement à la transition énergétique.

Quels sont les aspects de votre travail que vous aimez le plus? Est-ce que vous rencontrez certaines limites?

Ce que j’aime le plus dans mon travail, c’est de voir concrètement des évolutions dans nos milieux de vie. Je pense que c’est la chose la plus satisfaisante. On est dans un domaine d’expertise où malheureusement, on ne peut pas « décrocher » du travail, parce que l’on touche au milieu de vie, puis on est constamment dans celui-ci. Cela apporte parfois des frustrations, puisqu’on cherche continuellement des solutions, mais on ne les trouve pas forcément. Par exemple, quand on veut traverser la rue, quand on monte sur son vélo, on est face à beaucoup de frustrations, mais lorsque on voit que ce sur quoi on travaille a porté fruit sur le territoire, c’est une satisfaction et c’est vraiment agréable de se dire que l’on fait partie de la solution. Nos petites tâches quotidiennes permettent des avancées significatives ou de petites avancées vers plus d’inclusion, vers des milieux de vie plus favorables. Il y a un impact positif sur la vie des gens. Je pense que ça, c’est vraiment quelque chose de crucial pour moi et qui me donne envie de me lever le matin, puis d’aller au bureau. Je ne me dis pas qu’on va révolutionner le monde dans lequel on vit, mais plutôt qu’on va essayer de l’améliorer pour aller vers quelque chose de plus agréable pour tous et toutes. Je pense que c’est la chose la plus gratifiante de mon poste. J’aime aussi la multiplicité des tâches, ça peut être à la fois de la recherche, de la médiation avec des responsables du milieu municipal, de la consultation auprès du grand public, comme ça peut être la participation à des conférences ou l’animation de panels lors de congrès. Il y a toujours une forme de renouveau, quelque chose qui change de l’ordinaire, qui permet de jongler avec plein de tâches différentes et de ne pas ressentir une forme de monotonie au travail. Il y a toujours des défis à relever. Et puis, l’innovation ouvre la porte à tester des choses et à se rendre compte que parfois ça fonctionne, parfois ça ne fonctionne pas. Par exemple, pour un projet précédent, on avait décidé de créer un petit salon de la mobilité électrique à faible empreinte à la Maison du développement durable. La journée même, il pleuvait, il n’y avait personne dans les rues, mais finalement, il y a eu une centaine de personnes au salon. On ne parlait pas de voitures électriques, mais bien de mobilité accessible, universelle, de mobilité inclusive, favorable à un milieu de vie durable. On avait fait un pari, on nous a fait confiance. On savait qu’il y avait des risques que ça ne fonctionne pas et pourtant on nous a tout de même encouragés. J’ai aimé cette possibilité d’expérimenter de nouveaux formats, sans être poussé à la réussite. Je trouve que c’est vraiment gratifiant, dans une entreprise, de savoir qu’on a le droit à l’erreur, puisque l’erreur est valorisée comme du savoir.

Les limites par contre, c’est qu’on aimerait en faire plus, on aimerait avoir plus d’impact, je pense. En fait, c’est une certitude : on aimerait pouvoir travailler sur plein de choses, mais parfois on n’a pas les sources de financement, les ressources humaines ou le temps pour le faire. Donc, je dirais qu’il y a des frustrations concernant nos capacités d’action et sur le fait que notre capacité d’impact n’est pas aussi importante qu’on l’aimerait. Et puis, il y a aussi le fait qu’on devient spécialistes dans nos projets. Je pense que j’aimerais avoir plus de temps pour aller vers d’autres expertises. Je ne pense pas que ce soit propre à Vivre en Ville, mais plutôt au milieu du travail.

Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?

Pour me garder au courant, il y a des infolettres. Je pense que c’est la chose la moins séduisante qui existe, mais en même temps c’est très important de s’abonner aux infolettres de différents organismes ou organisations. C’est assez varié. Donc, il y a les infolettres, mais il y a aussi les alertes Google, qui me permettent de savoir qu’il y a tel article qui vient de paraître et ça me permet aussi d’avoir une revue de presse. On n’a pas nécessairement le temps de lire tous les journaux! Ça permet aussi d’avoir des articles qui traitent seulement de la thématique voulue. Et puis, je dirais aussi que le plus important, c’est d’aller aux événements. C’est parfois difficile de participer à des événements de réseautage lorsqu’on ne connaît personne, mais il faut y aller. C’est important parce qu’on va apprendre ce qui se fait dans d’autres organismes et organisations, mais surtout on va croiser des gens que l’on va finir par connaître et reconnaître.

Puis, comment je perçois mon secteur d’activité sur le long terme? De manière utopiste, j’aimerais qu’on n’ait plus aucun débat sur la qualité architecturale, sur l’importance du transport collectif ou sur les iniquités territoriales, par exemple. J’aimerais que les enjeux auxquels on est confrontés depuis longtemps soient résolus. J’aimerais que ces enjeux deviennent évidents, que l’on comprenne que le logement est une priorité, que le transport collectif est une priorité, que les systèmes alimentaires locaux et durables sont des priorités. J’aimerais donc qu’on arrête de banaliser ces enjeux ou de les penser insolubles. J’aimerais qu’on avance suffisamment dans notre domaine pour que tout le monde ait accès à un milieu de vie de qualité. Bon, de manière pragmatique, je pense que Vivre en Ville va perdurer, parce qu’on a besoin de réformes structurelles et structurantes au Québec pour résoudre ces problèmes systémiques. Tant qu’on n’aura pas la volonté politique des différents paliers de gouvernement pour régler ces enjeux-là, ils perdureront.