Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)
Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, quelles sont les étapes qui vous ont permis de travailler au sein du ministère des Transports?
J’ai commencé mon parcours par une majeure en études urbaines et une mineure en patrimoine urbain à l’UQAM. Cela m’a permis de valider un baccalauréat en études urbaines, et non pas en urbanisme. Tandis que l’urbanisme est davantage tourné vers la pratique et la réglementation, les études urbaines sont plutôt tournées vers la théorie c’est ce qui m’intéressait davantage. En 2013, j’ai continué à l’INRS avec une maîtrise en études urbaines sous la direction de Mario Polèse. Je n’avais pas encore de sujet et j’ai suivi le cours Regards sur la ville avec notamment Richard Shearmur, spécialiste des edge cities. J’ai trouvé ça très intéressant de voir que de fortes densités d’emplois pouvaient se former en dehors des centres-villes et que cela avait un impact important sur la forme urbaine. J’ai approfondi le sujet et j’en ai fait mon sujet de maîtrise en l’appliquant à Montréal. J’ai fait l’analyse de la délocalisation des emplois de services supérieurs dans la région métropolitaine de Montréal entre 1996 et 2011 à partir des microdonnées de recensement du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS). Finalement, la conclusion de mon mémoire révèle qu’à Montréal, les emplois de services supérieurs ne quittent pas le centre-ville, ce sont plutôt les emplois de type back-office [services de soutien] et standardisés, notamment dans les domaines de l’assurance et de la finance, qui partent dans les pôles.
Je n’avais pas pour objectif professionnel de continuer dans le domaine de la recherche, j’ai donc cherché du travail. Cependant, j’ai terminé ma maîtrise en 2015 pendant la période d’austérité du Québec, donc il n’y avait pas de travail disponible. Faire un doctorat n’était alors pas mon projet professionnel, mais mon mémoire avait été bien reçu, j’avais ainsi été encouragé à poursuivre en recherche. Cédric Brunelle, spécialiste en géographie économique, venait d’entrer en poste en tant que professeur à l’INRS et il est devenu mon directeur de recherche. Mais cette fois-ci, si je m’intéressais encore aux pôles d’emplois, c’était plus du point de vue des transports pour observer la formation des pôles d’emplois en fonction des déplacements domicile-travail, ce qui représente un enjeu majeur pour le transport collectif. C’était très enrichissant ! En 2019, j’étais prêt à rédiger et j’ai souhaité me trouver un emploi à temps partiel en complément. J’ai alors vu qu’il y avait un poste de conseiller en mobilité durable chez Vivre en Ville, organisme d’intérêt public basé à Québec, Montréal et Gatineau.
J’ai travaillé trois ans chez Vivre en Ville, de janvier 2020 à février 2023. À la base, j’avais été embauché pour faire une étude de faisabilité sur la tarification kilométrique pour la région de Montréal et au Québec. Je ne connaissais presque rien à l’écofiscalité, mais j’ai tout de même appris à connaître le sujet et à la fin j’étais devenu un expert. Je travaillais principalement sur le financement du transport collectif pour l’Alliance TRANSIT, un regroupement d’organismes qui vise à favoriser le développement et l’amélioration des services de transport collectif au Québec. Nous écrivions des communiqués pour répondre à des budgets, des mesures et des politiques du gouvernement et rédigions des mémoires lorsqu’il y avait des appels à mémoires. Je m’occupais de la partie recherche, car j’étais à l’aise avec les méthodes de recherche rapide. Finalement, j’ai perdu mon emploi puisque mon poste n’était pas financé. J’étais donc au chômage et j’ai alors poursuivi mon doctorat, mais je ne souhaitais plus continuer en recherche universitaire. J’ai donc cherché un emploi et un poste de conseiller en aménagement et en mobilité durable pour la Direction générale du territoire des Laurentides et de Lanaudière du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec s’est ouvert. J’ai postulé et j’ai été embauché à la fin du mois de septembre 2023.
Quels sont les aspects de votre travail ou secteur que vous aimez le plus? Est-ce que vous rencontrez certaines limites?
Dans le milieu universitaire, le côté générique de la recherche ne me convenait pas, je préférais aller vers quelque chose de plus pratique et spécialisé. J’ai donc arrêté mon doctorat. Je m’étais vraiment épanoui chez Vivre en Ville et je voyais que les choses que nous écrivions pouvaient être reprises le lendemain dans les journaux, alors que pour un article de thèse, ça me prenait un an pour l’écrire et personne ne le lisait. Donc, je trouvais qu’en travaillant dans un organisme d’intérêt public, je faisais plus, mon travail avait plus d’impact sur la société même si les organismes vont toujours utiliser ce qui se trouve dans la recherche pour alimenter leurs discours. Ma connaissance sur la mobilité durable s’est vraiment développée en travaillant chez Vivre en Ville et cela m’a beaucoup enrichi. Cela m’a permis de postuler au ministère des Transports et de la Mobilité durable.
Aujourd’hui, je retourne vers des connaissances plus anciennes, que j’ai acquises lors de ma maîtrise en études urbaines. En fait, je travaille beaucoup sur les schémas d’aménagement, à l’échelle des municipalités régionales de comté (MRC) et sur les orientations gouvernementales en aménagement du territoire. Mon poste consiste notamment à évaluer les modifications en matière d’aménagement qui pourraient avoir un impact sur la mobilité durable, dans la mesure du possible. L’objectif est vraiment d’observer les angles morts : ils ont aménagé ceci, mais ils ont oublié toute cette population. Mon rôle est donc d’avoir une sorte de position de garde-fou et d’essayer d’anticiper les enjeux au sein des modifications.
Au début, je me disais que travailler à l’échelle des régions des Laurentides et de Lanaudière n’allait pas du tout être mon genre de territoire, car j’avais principalement travaillé sur l’urbain et le périurbain alors que pour ces régions, il s’agit surtout de petites et moyennes municipalités et de milieu rural. Le territoire commence à la limite nord de la Communauté métropolitaine de Montréal. Par contre c’est très intéressant, puisqu’il n’y a pas de mobilité durable là-bas, ou alors très peu. Certains projets existent, ce n’est pas non plus du « tout-à-l’auto ». Par exemple, la ville de Saint-Jérôme a tout de même un centre dense avec du transport collectif et une gare de train de banlieue, mais il y a trop peu de pistes cyclables et encore moins à l’échelle régionale, mis à part la piste du P’tit Train du Nord. Dans la région, et comme dans toutes les régions du Québec à l’extérieur des grands centres urbains, il n’y a pas suffisamment de spécialistes en mobilité durable, puisque les municipalités sont trop petites et n’ont souvent pas assez de ressources. Mais je pense que les choses vont changer assez rapidement, surtout que, depuis octobre 2022, le ministère des Transports est devenu le ministère des Transports et de la Mobilité durable. Je crois que ce n’est pas juste un titre et que le gouvernement compte vraiment miser là-dessus. Du moins, je l’espère !
Donc, ce que je peux dire en termes d’aspects positifs de mon travail est que cela me permet d’apprendre à connaître un nouveau territoire et une autre réalité, car j’ai grandi à Montréal et j’ai toujours vécu à Montréal. J’apprends donc à connaître une région, une mobilité différente. Le fait de travailler au ministère nous offre aussi une plus grande marge de manœuvre, plus de possibilités et de pouvoir d’action. Nous travaillons avec les MRC principalement, mais aussi avec le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), la Direction [générale principale] de la région métropolitaine de Montréal ou encore l’ARTM [Autorité régionale de transport métropolitain]. Je trouve ça intéressant d’avoir la possibilité de faire entendre sa voix sur les projets municipaux. Si une municipalité ne respecte pas le schéma d’aménagement, on va devoir lui dire. On a un pouvoir législatif. D’autant plus que les projets de transport sont des projets qui façonnent les territoires, les villes et les quartiers pour des décennies. L’ajout d’une autoroute aura un impact sur le long terme et c’est ce qu’on observe à Montréal avec la congestion des autoroutes aménagées dans les années 1950-1960. Si cet aménagement n’avait pas été fait, la ville serait différente, il y aurait potentiellement plus de transport en commun. Imaginez Montréal sans son métro ! En Europe, le choix d’aménagement a été de privilégier la forme des centres urbains et de miser sur le transport en commun, alors qu’aux États-Unis, c’est une réalité différente avec parfois la destruction de quartiers entiers. Donc, les projets de transport ont vraiment un impact sur l’aménagement. Les deux vont ensemble, les déplacements vont avec les infrastructures. En région, la réalité est autre, car la densité est différente. Il faut donc penser le bon mode de transport au bon endroit. Il y a beaucoup d’acteurs ; parfois, on peut penser que ce n’est que de la bureaucratie, mais c’est important qu’il y ait beaucoup d’acteurs, pour améliorer la prise de décision. C’est maintenant que je remarque qu’on n’a pas le choix de prendre l’avis de tout le monde et d’essayer de trouver un terrain d’entente pour une situation.
Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?
Je pense qu’on va dans la bonne direction, peut-être pas assez vite et peut-être pas de la façon la plus optimale au Québec, car je sais qu’on investit beaucoup dans les voitures électriques et que cela fait partie de la solution, mais on ne peut pas pallier les problèmes de congestion, de sécurité routière, d’aménagement, d’espaces de stationnement, d’enjeux environnementaux, par une augmentation du nombre de voitures (électriques) sur les routes. C’est pourtant la direction prise par le monde entier; les villes devront aménager des bornes électriques un peu partout et beaucoup d’argent y sera investi. Selon mes recherches et ce qui est écrit sur le sujet, ce serait beaucoup plus utile si les individus se déplaçaient en transport collectif, à pied ou à vélo qu’uniquement en auto électrique. Ce sont donc plusieurs milliards de dollars qui ne sont pas investis dans le transport collectif, alors que la solution qui a le plus d’impact au niveau environnemental, c’est le transport collectif, et ce, au bon endroit.
En ce qui concerne le transport actif, c’est aussi utile, mais ce n’est pas pour tout le monde et ce n’est pas adapté à tous les territoires. Par exemple, pour des villes de taille moyenne ou plus petite, le développement d’infrastructures cyclables sécuritaires serait intéressant, surtout avec l’augmentation de l’utilisation du vélo électrique. En ce qui concerne les autobus, il faut penser aux enjeux des villes de banlieue, comme la morphologie curvilinéaire des quartiers pavillonnaires qui ne facilite pas les trajets en autobus. Parfois, créer un lien entre deux quartiers réduit aussi drastiquement les temps de déplacement et cela favorise l’utilisation de la mobilité active. Le concept de la ville des 15 minutes s’adapte moins bien à ces territoires par contre, et ce n’est pas tout le monde qui souhaite habiter proche d’un centre-ville. Il faut donc trouver une alternative à la voiture, en termes de transport actif, afin de rendre accessible les pôles d’emplois situés en dehors des centres. Et si ces pôles sont à une trop grande distance, il faut trouver une alternative en termes de transport collectif.
La question de la mobilité durable va aussi avec un changement de mentalité. Que les individus se rendent compte que ce n’est pas viable d’utiliser la voiture tout le temps pour les déplacements, et qu’ils se rendent compte que si on est dans la congestion, c’est qu’on fait partie de la congestion : « ta voiture prend de la place comme toutes les voitures autour de toi, donc tu fais partie du problème ». D’où le fait que je ne souhaite pas utiliser ma voiture quotidiennement pour aller au travail. Toutefois, pour que les individus changent de mode de déplacement, il faut qu’il y ait les infrastructures intéressantes et sécuritaires, des voies cyclables sécuritaires, des trottoirs sécuritaires et bien entretenus, du transport collectif. Si je prends l’exemple du REV [Réseau express vélo] à Montréal, au début l’opinion publique était contre, mais aujourd’hui le REV est saturé aux heures de pointe et il y a de nouveaux commerces riverains qui ont ouvert grâce à l’infrastructure cyclable. C’est ce qu’on appelle un succès! En transport, ça commence par l’offre avant la demande, et la demande va venir après l’offre. Nous ne devons pas attendre après la demande pour offrir quelque chose.
Quant à savoir comment je fais pour demeurer informé des actualités dans mon domaine, au niveau de la recherche universitaire, je lis moins, sincèrement j’ai moins le temps de lire. Je vais surtout lire les résumés d’articles sur un sujet qui m’intéresse beaucoup. Je m’informe davantage à travers les médias et ce que des organismes comme Vivre en Ville écrivent. LinkedIn est une source importante d’information, car je suis plusieurs groupes et organismes, et j’arrive ainsi à comprendre et connaître ce qu’il se passe.