Novembre 2024
Entretien effectué par Salomé Vallette, coordonnatrice de Villes Régions Monde
Transcription faite par Nathan Mascaro, étudiant au doctorat en études urbaines à l’INRS
Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, quelles sont les étapes qui vous ont mené au sein de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal?
Pour contextualiser, je suis Montréalais dans l’âme. J’ai grandi dans Ville-Marie et j’habite aujourd’hui l’arrondissement du Plateau Mont-Royal. Sur le plan professionnel, j’ai longtemps voulu être gérant d’hôtel de luxe. Je me suis donc formé à l’ITHQ, en gestion hôtelière. J’ai réalisé que travailler pour des entreprises privées et dans l’industrie du luxe n’était pas ma vocation. À travers le mouvement étudiant de 2012, je me suis réorienté en sciences politiques à l’UQAM. J’y ai complété un baccalauréat en sciences politiques et un des cours qui m’a marqué touchait à la politique municipale. Un de nos travaux de fin de session consistait à réaliser un compte rendu d’un conseil d’arrondissement. J’ai été frappé par l’aspect théâtral que pouvait revêtir un conseil d’arrondissement à travers le jeu de questions et réponses auxquels s’adonnaient les élu·e·s et les citoyen·ne·s. Un exemple que je cite souvent pour expliquer ce caractère théâtral est celui d’un propriétaire de dépanneur qui se plaignait de la perte d’une place de stationnement devant son commerce. Cette place perdue, qui n’était pas véritablement une place de stationnement, se trouvait dans une intersection et cet espace avait été choisi pour aménager une saillie afin d’embellir et de sécuriser l’intersection. Le maire de l’arrondissement lui avait alors répondu en lui faisant la leçon. Il argumentait que la place n’en était pas une et que les gens qui venaient dans son commerce pour acheter cigarettes et journaux se stationnaient illégalement pour se ravitailler. Il a continué en remettant en cause son modèle d’affaires, parce que ces produits étaient, de toute façon, voués à disparaître! Ce n’est pas une façon adéquate de gérer une plainte d’un citoyen. Ce comportement m’a beaucoup allumé!
Après ce travail de session, mon intérêt pour les conseils d’arrondissement a subsisté. J’ai décidé d’aller à la maîtrise en urbanisme, à l’Université de Montréal, car l’aménagement du territoire était le domaine qui m’intéressait le plus. Pour moi, il s’agit de concilier les divers intérêts présents au sein d’une ville afin d’assurer un développement harmonieux et cohérent.
Alors que j’étais encore étudiant à la maîtrise en urbanisme, je me suis impliqué, en 2017, dans la campagne électorale du Plateau Mont-Royal avec l’équipe de Valérie Plante. Cela m’a donné le goût de la politique! À la fin de ma maîtrise en 2018, j’ai été embauché par Ruba Ghazal, la députée de Québec solidaire, dans la circonscription de Mercier sur le Plateau Mont-Royal. J’appréciais beaucoup mon travail au bureau de circonscription, bien que je ne participais pas directement aux dossiers urbanistiques. J’essayais néanmoins d’élargir mon rôle en contribuant aux mobilisations urbaines à Montréal, tout en cherchant à me rapprocher des dossiers liés à l’aménagement du territoire et à la mobilité. Finalement, avant les élections de 2021, j’ai pris la décision de quitter mon poste pour m’engager à temps plein dans la campagne électorale.
Suite à cette campagne, j’ai obtenu le poste que je convoitais : responsable du soutien aux élu·e·s au Plateau-Mont-Royal. Ce rôle consiste à appuyer les sept élu·e·s de l’arrondissement, soit le maire, trois conseillers municipaux qui siègent aussi au conseil municipal et trois conseillères d’arrondissement qui interviennent uniquement au conseil d’arrondissement, bien qu’elles puissent parfois siéger en commission. Mon travail est de les soutenir sur les dossiers locaux, tout en facilitant la concertation avec les autres arrondissements.
Au cabinet du Plateau, nous sommes trois responsables du soutien aux élu·e·s, chacun travaillant sur des domaines spécifiques, sous la direction d’une directrice de cabinet. Je suis chargé des dossiers liés à l’urbanisme, à l’habitation et à la communication. Concernant les services, les affectations se font sur une période plus longue, avec un champ d’action plus restreint. L’avantage de ce mode de travail est que nous avons le temps d’étudier les dossiers en profondeur, de les documenter et de réaliser des recherches préalables, tout en restant parfois à un niveau général. Les orientations que nous élaborons sont ensuite envoyées à d’autres services pour un traitement plus approfondi, ce qui inclut souvent des présentations devant les élu·e·s. Ce processus donne lieu à des négociations pour déterminer les priorités du mandat sur une période de quatre ans.
Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail? Est-ce que vous rencontrez certaines limites?
Dans mon travail, ce que j’apprécie particulièrement, c’est le côté très humain et concret que permet l’échelon municipal, ainsi que la diversité des sujets que je traite au quotidien. Lorsque j’étais au provincial, une des frustrations que je ressentais venait du caractère abstrait et diffus des dossiers, ainsi que le peu de leviers de mise en œuvre concrets dont nous disposions en circonscriptions. Au niveau municipal, c’est beaucoup plus tangible, le citoyen voit le changement. Bien qu’il y ait parfois des lenteurs, les changements finissent par se concrétiser. Par exemple, récemment, la place-école de l’Ange-Cornu a été inaugurée, alors qu’il y a seulement deux ans des véhicules y circulaient. Les professionnels de l’arrondissement, comme les architectes et les urbanistes, choisissent souvent de travailler au Plateau-Mont-Royal en fonction de leurs intérêts et de leurs valeurs ce qui fait qu’on côtoie des professionnels de grande qualité.
L’un des avantages majeurs de mon poste est la proximité avec les différentes directions de l’arrondissement et une diversité de professionnels qui viennent nous présenter leurs dossiers et l’avancement de leurs projets. Ce lien se renforce aussi lorsque nous confions des mandats à la direction pour des projets que nous souhaitons voir aboutir. Par exemple, nous avons récemment modifié notre règlement d’urbanisme pour limiter les possibilités de fusion et de changement d’usage, à la suite d’un mandat que nous avons élaboré au cabinet et transmis à la direction de l’aménagement du territoire et des études techniques. À 31 ans, il est très intéressant d’avoir la possibilité de suivre de près l’évolution de mandats auprès des différentes directions de l’arrondissement.
Concernant les limites, je mentionnerais les contraintes financières et les cycles électoraux. Actuellement, nous avons une assiette fiscale limitée qui limite beaucoup ce que nous avons l’ambition de faire si nous avions des leviers financiers plus diversifiés. Cela nous pousse à être inventifs, notamment en ce qui concerne la tarification en réduisant les tarifs pour les permis pour des coops ou OBNL d’habitation ou en modulant la tarification du stationnement en fonction du poids du véhicules pour que les détenteurs de vignettes paient proportionnellement à l’espace qu’ils occupent sur la rue.
Le cycle électoral constitue également une contrainte. Il influence notre travail, le rythme de livraison des projets et le type de tâches que nous accomplissons. L’année prochaine marquera le début d’un nouveau cycle électoral et notre priorité est de finaliser les projets lancés durant ce mandat. À chaque cycle, notre plateforme électorale locale du Plateau-Mont-Royal mute en un plan stratégique, pris en charge par les équipes de fonctionnaires. Actuellement, notre équipe d’élu·e·s commence à envisager le contenu de la prochaine plateforme électorale. La première année du mandat est souvent consacrée à la continuation des projets entamés. Puis, en milieu de cycle, nous entamons les nouveaux engagements.
Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?
Pour rester à jour dans mon domaine, je m’appuie sur plusieurs réseaux et pratiques qui me permettent de maintenir une veille active et une compréhension approfondie des enjeux urbains et politiques. Je participe régulièrement à des tables de soutien et à des discussions avec mes collègues de différents arrondissements. Ces échanges nous permettent de partager nos dossiers, de nous influencer mutuellement et de diffuser les nouvelles pratiques, revues de littérature, lois et approches émergentes. Il est essentiel pour moi de me tenir informé des évolutions municipales, notamment des nouveaux pouvoirs acquis par les villes et des changements dans les politiques d’habitation. Cela requiert un effort constant d’appropriation et d’adaptation, souvent soutenu par des événements spécialisés, tels que des journées d’étude et des forums de discussion organisés par des laboratoires de réflexion, comme le CIRANO (Centre interuniversitaire en recherche et analyse des organisations), Vivre en Ville ou l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socioéconomiques)
Je bénéficie également d’un réseau d’anciens collègues de la maîtrise en urbanisme, qui travaillent activement dans différents services de la Ville de Montréal. Cela me permet d’échanger de manière informelle sur l’état de la collaboration entre le politique et la fonction publique, d’améliorer nos pratiques et de mieux comprendre comment nos décisions sont perçues et vécues par les fonctionnaires qui mettent en œuvre notre vision. Ce réseau, combiné à des discussions régulières avec des spécialistes du domaine, nourrit ma capacité à anticiper les défis et à proposer des solutions novatrices.
En ce qui concerne l’évolution du secteur dans les prochaines années, je perçois une montée en puissance du palier municipal. Il y a une attention croissante portée aux actions des villes et un désir de plus en plus marqué vers la décentralisation des pouvoirs. Cette dynamique se construit avec des figures telles que Catherine Fournier (mairesse de Longueuil), Stéphane Boyer (maire de Laval) et Bruno Marchand (à Québec), qui représentent une certaine forme d’opposition au gouvernement du Québec. Elles contribuent à rendre les municipalités plus influentes et visibles sur la scène politique. Toutefois, cette montée en responsabilités s’accompagne d’un besoin urgent de leviers financiers pour assumer ces nouvelles charges. Le secteur devra relever des défis complexes, comme l’itinérance, l’habitation et le transport collectif, qui nécessitent la collaboration de plusieurs paliers et acteur·rice·s.