Profil Pro – Rencontre avec Louis Lalonde – Chargé de projet Route verte chez Vélo Québec

Entretien effectué par Salomé Vallette, coordonnatrice de Villes Régions Monde
Transcription faite par Nathan Mascaro, étudiant au doctorat en études urbaines à l’INRS

Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, quelles sont les étapes qui vous ont mené au sein de Vélo Québec?

Mon plan de carrière initial, lorsque j’avais 16 ans, était de devenir ingénieur forestier! Puis, je me suis rendu compte que j’aimais les questions forestières, mais à travers le prisme des sciences sociales : la forêt comme un milieu de vie. J’ai donc effectué des études en sciences politiques et pour mon mémoire de maîtrise, j’ai choisi de m’intéresser à la gouvernance de la forêt publique québécoise. Sans grand lien avec ce mémoire, j’ai finalement obtenu un emploi chez Vélo Québec, ce qui rejoint mes intérêts personnels pour le vélo et la mobilité. Je suis en poste au sein d’un programme qui s’appelle le mouvement Vélosympathique, qui collabore avec les municipalités, les entreprises et les campus souhaitant favoriser la mobilité active. Ce poste m’a également amené à contribuer à toutes les questions en lien avec la représentation publique en faveur de la mobilité durable dans une perspective de mobilité active. Actuellement, je travaille surtout sur les questions techniques en matière d’aménagement et du prolongement de la Route verte, qui est le réseau cyclable national du Québec de 5 300 kilomètres.

Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail? Est-ce que vous rencontrez certaines limites?

La chose que j’aime le plus dans mon emploi, c’est l’étendue du cadre, des activités et des échelles qui sont mobilisés. L’objectif est de favoriser les liens avec les élu·e·s et les fonctionnaires de manière à trouver des façons de développer le vélo et la marche dans les milieux de vie pour les rendre plus inclusifs, agréables et résilients. Je suis également appelé à intégrer des réseaux de discussion au niveau réglementaire et législatif à l’occasion de consultations publiques, que ce soit à des échelles municipales, régionales ou nationales. J’ai pu me pencher sur la révision du cadre de l’aménagement du territoire au Québec, par exemple autour des orientations gouvernementales en aménagement du territoire en vigueur (OGAT) par exemple, découlant de la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT). Je peux travailler sur des dossiers liés aux plans d’urbanisme et de mobilité à Montréal, qui sont au cœur des travaux de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). D’autre part, je travaille aussi sur la production d’avis techniques. Il s’agit d’effectuer des tracés très précis sur des aménagements cyclables pour la Route verte. Il y a également le travail de coordination avec les gestionnaires. C’est donc très large et différentes tâches connexes s’y intègrent. Je contribue également au Tour de l’île de Montréal et au Tour la nuit.

Ce que j’aime aussi, c’est de travailler et de réfléchir de manière très large à différentes échelles en termes de politique ou de cadre réglementaire, de l’exécution au niveau micro à la compréhension du global. Cette diversité des échelles est intéressante parce qu’elle nous amène à capter des réalités différentes : celle de la personne qui travaille sur le terrain aussi bien que celle du législateur. Et il n’y a pas toujours de canal entre les deux, ce qui peut occasionner des frictions. Ainsi, travailler à plusieurs échelles permet de se saisir des réalités, de réfléchir en conséquence et de capter la pluralité des perspectives.

Ce que j’aime aussi, c’est de contribuer à un changement positif. Pour moi, c’est d’ailleurs le moteur premier de travailler chez Vélo Québec, soit de travailler pour une cause qui contribue à la mobilité durable. La question environnementale m’a suivi dans tout mon parcours. Elle est indissociable de mes choix de carrière. Et plus anecdotiquement, j’adore les gens avec qui je travaille, cela rend le quotidien plus agréable!

Pour ce qui est des limites, je dirais que l’une d’elles est l’immensité de la tâche. On porte une brique à un édifice vertigineux. Il faut y aller une étape à la fois, puis cheminer dans le processus. Je peux comprendre les gens qui, parfois, devant des questions environnementales, développent de l’écoanxiété. Le meilleur remède, c’est de passer à l’acte et moi, j’y arrive à travers mon travail.

Si mon travail m’amène à constater l’ampleur de la tâche, il est aussi l’antidote des limites que je décèle. Un des défis que je pourrais mentionner est relatif à mon parcours en sciences sociales. Lorsque je tombe dans des questions très précises et techniques, c’est une portion qui ne m’appartient plus. Je dois apprendre à respecter l’expertise de certaines personnes. Par exemple, de façon très appliquée, pourquoi est-ce qu’un rayon de virage doit être de 10 mètres? Je ne suis pas ingénieur, donc je ne suis pas censé dire pourquoi. Mais cela n’empêche pas mon équipe de donner un défi à cette expertise pour obtenir une explication! Probablement que, si je remettais les choses en perspective, les ingénieur·e·s constateraient la même limite, n’ayant pas fait d’études urbaines ou de sciences politiques. Donc, c’est une richesse, mais ça peut être un peu vertigineux de contempler l’étendue des savoirs impliqués. Il ne faut pas oublier que c’est un travail collectif.

Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?

Selon moi, la meilleure façon de rester à jour lorsque l’on intègre un nouveau domaine, c’est de s’immerger dans cet écosystème. Chez Vélo Québec, je travaille surtout en partenariat avec d’autres acteurs du milieu qui apportent d’autres conceptions et d’autres expertises à nos connaissances. Cela m’aide à mieux comprendre l’ensemble du domaine. Et puis, il y a aussi les partenariats avec les milieux de la recherche et le fait de participer à des colloques et à des conférences. J’ai eu la chance d’aller au colloque de la League of American Bicyclists, le « Vélo Québec des États-Unis », et si la question de la mobilité était bien présente, la dimension territoriale et les réalités sociales diversifiées engendrent de nombreux questionnements.

Dans ma version idéalisée, le secteur de la mobilité devrait développer des positions conjointes avec d’autres acteurs et arrêter de réfléchir à la mobilité en termes de modes de transport. C’est d’ailleurs ce qui se fait chez Vélo Québec. Par exemple, je fais parfois du vélo, à d’autres moments, de la marche, ou je prends l’autobus, et de manière plus irrégulière, j’ai recours à une voiture. Une réflexion intermodale permettrait de rendre la mobilité durable beaucoup plus attractive. Il est illusoire de penser que les modes en vase clos sont en mesure d’offrir une option compétitive au voiturage en solo, qui s’est constitué comme la réflexion de nos systèmes de mobilité des 60 dernières années. Donc, un décloisonnement de la réflexion sur la mobilité serait une première chose.

Ensuite, je dirais qu’on a besoin d’une réflexion sur la mobilité qui intègre de plus en plus la diversité des personnes qui utilisent les réseaux de transport, que ce soit la diversité capacitaire, linguistique, culturelle ou de genre. Par exemple, le genre s’insère dans de nombreuses habitudes de mobilité à travers les charges domestiques, les destinations et le sentiment de sécurité. Les organisations et certaines entités ont la capacité de réfléchir à la mobilité pour intégrer une plus grande diversité des besoins de mobilité. Il faut sortir du carcan de l’usager unique ou de l’usager type. Ce sont des mythes. L’homogénéité des profils chez les décisionnaires peut expliquer pourquoi nous n’avons pas de réseaux de transport qui s’adressent à l’ensemble de la population. C’est donc un autre aspect qui mériterait d’évoluer dans le domaine de la mobilité.