Image 4 – Élus de la commune de Sô-Ava et différents représentants du projet Climat’Eau à la sortie d’une réunion du conseil communal Crédits photo : Dossa Hyppolite Dossa

Raconte-moi un terrain – Climat’Eau : le multipartenariat au service de la lutte aux changements climatiques et d’une eau assainie dans un milieu lacustre

Entretien avec Mario Carrier, professeur titulaire à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD), Université Laval

Par Claudia Larochelle, professionnelle de recherche CRAD / VRM

Vous avez mené au cours des trois dernières années une démarche d’évaluation de la gouvernance d’un projet visant la gestion intégrée des eaux dans la commune de Sô-Ava au Bénin. Pouvez-vous me décrire les objectifs et le contexte de ce projet?

En 2017, j’ai eu une opportunité d’effectuer une recherche au Bénin, un pays situé en Afrique de l’Ouest, dans lequel la recherche doctorale en aménagement du territoire et développement régional (ATDR) d’Hyppolite Dansou s’est inscrite sous ma supervision. C’était ma première expérience de recherche dans un pays en voie de développement. Ce projet appelé Climat’eau s’est déroulé de 2017 à 2020 et visait à améliorer les conditions de vie de la population dans la commune de Sô-Ava en instaurant des pratiques d’adaptation aux changements climatiques. Il comportait quatre piliers : 1) la sensibilisation aux changements climatiques en développant de nouvelles pratiques d’assainissement du milieu; 2) le traitement des eaux usées du lac Nokoué par la méthode de filtration; 3) la recherche sur la gouvernance participative qui allait être appliquée dans le projet; 4) l’élaboration des bases d’un écosystème d’affaires en lien avec le traitement des eaux usées (figure 1). La composante « recherche » du projet prévoyait l’étude de la gouvernance autour du projet Climat’eau, notamment à travers la réalisation d’une thèse de doctorat en ATDR par Hyppolite Dansou et d’un essai-projet par Jo-Kirby Olongbo, Pingwindé Mounira Elodie Sawadogo, deux étudiantes à la maîtrise en ATDR.

Cette initiative s’inscrivait dans le cadre d’un appel à projets du Programme de coopération climatique internationale (PCCI) du ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, de la faune et des parcs (MELCCFP) du gouvernement du Québec. Pour satisfaire les exigences de ce programme, un consortium de partenaires devait être mis en place. Les deux partenaires de base étaient Umalia (une entreprise québécoise qui œuvre dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises) et la Mairie de Sô-Ava, une commune lacustre de 120 000 personnes située près des villes de Cotonou et Calavi.

À ces deux partenaires devait s’ajouter une entreprise québécoise qui maîtrisait une technologie (dans ce cas-ci, en matière de traitement des eaux usées) reliée à la lutte aux changements climatiques et qui acceptait de faire le transfert technologique avec la population et les entreprises locales. Se sont ralliés deux autres partenaires, le COSC (Collectif des organisations de la société civile de Sô-Ava) et l’Université Laval, que je représentais. Différents partenaires se sont greffés en cours de projet. Par exemple, le ministère de l’Agriculture du Bénin et l’INRAB (Institut national de recherche agricole du Bénin) ont collaboré au projet par l’organisation d’activités de recherche et développement et de formation avec l’Union communale des producteurs (UCP). Par ailleurs, de petites entreprises privées locales ont participé au transfert technologique à travers l’implantation de trois systèmes de traitement des eaux usées dans autant de villages de Sô-Ava (image 2).

Hyppolite avait participé au montage de ce projet qui portait sur le transfert technologique, mais aussi sur l’activation de la société civile autour des enjeux sanitaires. Étant natif de Sô-Ava, il avait participé dans sa commune, dans les années antérieures, à la création d’ONG spécialisées dans le montage et la réalisation de projets locaux.

Une équipe de gestion locale composée de six personnes a été mise sur pied pour assurer l’opérationnalisation quotidienne des activités du projet. Les représentants québécois (Umalia, Ecofixe, Université Laval) ont effectué cinq missions d’immersion dans le projet d’une dizaine de jours chacune. Lors de ces missions, nous demeurions dans la commune de Sô-Ava qui est une commune lacustre (image 5) dont une partie de la population vit dans des maisons sur pilotis. Les déplacements se font principalement en chaloupe, en pirogue ou en bateau moteur. C’est une communauté bâtie le long des berges de la rivière Sô sur une distance de plus de 100 km qui subit les conséquences des changements climatiques en lien avec la qualité de l’eau. Les activités principales de Sô-Ava sont l’agriculture maraîchère, l’élevage, la pisciculture et le tourisme. L’agriculture est la principale source de revenus de la commune, les ménages vendent leurs productions surtout dans les marchés publics des villes, notamment la capitale béninoise, Cotonou, et sa grande banlieue, Calavi. Sô-Ava est surnommée la « Venise de l’Afrique ».

Est-ce qu’il y a eu des imprévus ou des particularités locales qui se sont présentés dans le cadre de la réalisation de la recherche terrain?

Au début, l’objectif était d’étudier la gouvernance du projet Climat’Eau. Comme chercheur impliqué dans le projet, j’ai joué un rôle actif au cours des séances d’information sur les volets recherche sur la gouvernance et écosystèmes d’affaires. À mesure que le projet avançait, la question de la décentralisation est apparue centrale pour Hyppolite dans sa problématique de thèse. En effet, ce sont les nouveaux pouvoirs de gouvernance locale acquis dans le cadre de la décentralisation béninoise qui ont permis aux autorités de monter des projets comme Climat’Eau et d’aller chercher des financements, y compris à l’international comme ce fut le cas pour Climat’Eau avec la subvention du MELCCFP (Québec). Hyppolite a fait le constat qu’il était difficile d’avoir une analyse complète sans tenir compte de ce qui s’était passé depuis 20 ans avec la décentralisation béninoise et l’autonomisation (empowerment) ou le renforcement des capacités (capacity building) des communautés locales qu’elle avait permis.

Par ailleurs, il y a des autorités officielles (maires, membres du conseil, etc.), mais aussi traditionnelles (informelles, spirituelles), dont celles qu’on appelle les « rois » dans les communes du Bénin. Auparavant, le Bénin était constitué de royautés et lors de la décolonisation dans les années 1960, il y a eu ni plus ni moins un collage de ces royautés pour constituer les nouveaux pays. Ces autorités traditionnelles ont encore leur mot à dire. Au Bénin, il y a une certaine reconnaissance institutionnelle de ces autorités par le gouvernement; il est préférable d’avoir leur assentiment lorsqu’il y a des projets qui se font dans la commune.

Quelle approche méthodologique avez-vous utilisée?

Notre hypothèse était que la gouvernance du projet, à travers la forte participation de la société civile et des ONG, mais aussi le partenariat avec les autorités de la commune pourrait expliquer la réussite du projet Climat’Eau. Dans cette perspective, la variable indépendante était la gouvernance locale, territoriale (ouverte, multiniveau) et la variable dépendante était les projets de développement émergeant du projet global Climat’Eau. L’observation participante et la recherche documentaire sont des techniques de recherche que nous avons utilisées pour analyser ce que la décentralisation et un projet comme Climat’Eau avaient permis : les dispositifs de gouvernance locale, les projets déployés sur le territoire, la planification territoriale, etc. Tous les documents utiles pour comprendre le contexte des pouvoirs locaux et de la décentralisation ont été analysés. Ensuite, Hyppolite a réalisé des entrevues semi-dirigées. Étant natif de Sô-Ava, Hyppolite possédait une proximité cognitive et culturelle avec le milieu, son histoire, ses leaders et ses autorités publiques, ce qui a facilité la cueillette d’information, la compréhension et l’interprétation des informations recueillies. Hyppolite a également pu consulter et analyser les rapports d’évaluation du projet Climat’Eau qui ont été réalisés par des firmes indépendantes choisies par le gouvernement du Québec à la fin du projet.

Nous savions que Sô-Ava représentait une « commune modèle » dans laquelle la société civile était très engagée. Ce n’étaient pas toutes les communes qui arrivaient à monter des projets comme Climat’Eau avec des ressources financières et humaines substantielles et des partenariats internationaux. Hyppolite a donc voulu faire une analyse comparative avec le cas des Aguégués, une autre commune béninoise dont le territoire est contigu à celui de Sô-Ava et dans laquelle un projet d’adaptation aux changements climatiques avait été déployé dans les mêmes années que celui de Climat’Eau, mais avec une approche beaucoup plus descendante et un plan communal qui ne bénéficiait pas des mêmes ressources qu’à Sô-Ava pour être mis en œuvre.

Quels sont les résultats du projet?

Les résultats du projet Climat’eau ont été très positifs, en matière d’environnement, d’amélioration de la qualité de l’eau, d’augmentation de la productivité agricole et de la gouvernance territoriale. La recherche d’Hyppolite lui a permis de constater des changements concrets sur les plans de la production alimentaire de certains légumes (effet de l’assainissement de l’eau consécutif à l’implantation de la technologie par Ecofixe), de l’assainissement des milieux physiques, de la protection des terres contre l’érosion, de la quantité de déchets recyclés, de la participation locale aux activités autour de l’assainissement des milieux de vie et des premiers pas vers l’implantation d’un écosystème d’affaires autour de la gestion de l’eau et des énergies renouvelables.

Actuellement à Sô-Ava et au Bénin, les gens travaillent à monter des projets qui permettraient de transférer la technologie utilisée à Sô-Ava pour le traitement des eaux usées à d’autres communes du Bénin, et à reproduire dans d’autres communes les nouvelles pratiques d’adaptation aux changements climatiques et de gouvernance territoriale qui ont émergé avec le projet Climat’Eau. Les résultats observés à Sô-Ava en lien avec le projet Climat’Eau ont été supérieurs à ceux observés dans la commune des Aguégués. Ceci a été attesté non seulement par les acteurs rencontrés aux Aguégués, mais aussi par les rapports officiels d’évaluation. Nous avons pu documenter, analyser et démontrer qu’une gouvernance active, participative et multiniveau pouvait faire une différence en matière de développement. Le fait d’aller chercher des ressources dans les paliers supérieurs et au niveau local permet de créer de la coopération. Laisser les communautés locales prendre des initiatives et innover dans les façons de faire a des impacts positifs. Le concept d’innovation sociale et territoriale (grassroot innovation) est bien adapté pour répondre à des besoins mal compris ou mal satisfaits par les pouvoirs supérieurs, qu’ils soient économiques ou politiques. L’action de la société civile et la mise en valeur d’une gouvernance territoriale contribuent à des innovations institutionnelles, sociales et économiques et à la pérennité de celles-ci dans les milieux locaux où elles ont émergé.