Recherche et pandémie
Entrevue avec Meg Holden*
Entrevue et édition : Valérie Vincent (Juin 2020)
Projet piloté par Villes Régions Monde, l’objectif de cette nouvelle rubrique est de mettre en lumière les répercussions de la crise de la COVID-19 sur les projets de recherche en cours des chercheurs du réseau et de certains collaborateurs canadiens et internationaux et de voir si le contexte suscite de nouvelles pistes de recherche en études urbaines.
*Meg Holden est professeure à Simon Fraser University (Colombie-Britannique), elle y dirige également l’Urban Studies Program.
Est-ce que vous pouvez me dire sur quoi portaient vos projets de recherche avant le mois de mars 2020, c’est-à-dire avant le déclenchement de la crise de la COVID-19 ?
D’abord, nous avions un projet d’école d’été avec vous, à Montréal. Nos étudiants et professeurs étaient supposés se rendre à Montréal en mai et vous deviez venir nous visiter à Vancouver en juin afin de d’échanger sur nos deux villes et sur nos façons de concevoir les études urbaines. Évidemment, cet événement a dû être reporté, mais c’est vraiment quelque chose que nous aurions aimé faire cette année.
Ensuite, avant mars 2020, je travaillais depuis un an déjà sur un projet de recherche partenariale que je traduirais en français par « Hey! Les voisins! » (en anglais, c’est « Hey Neighbour! »). C’était un projet qui implique plusieurs partenaires : des gestionnaires de logements sociaux et privés collectifs, plusieurs villes qui ont des politiques publiques pour favoriser la sociabilité dans les quartiers denses, la santé publique et des chercheurs en gérontologie, en études urbaines et en santé publique. On avait fait un projet pilote l’été dernier en recrutant des animateurs parmi les résidents de deux immeubles. C’était en fait deux résidents auxquels on a donné des ressources et des formations pour organiser des événements sociaux et auxquels pouvaient participer les autres résidents. En fait, la question, c’était surtout de savoir, dans un premier temps, s’il existe (dans ces immeubles où les résidents ont généralement peu de liens sociaux) une capacité de mettre en place une sorte de leadership pour créer des liens de voisinage, sans nécessairement que ce soit des liens forts… (en anglais, on dit « weak ties »). Autrement dit, ce sont des liens qui sont ne sont pas forts, mais qui sont tout de même le fondement de base d’une sociabilité à l’échelle d’un quartier urbain. Par exemple, le fait de se saluer ou de savoir le prénom de son voisin c’est la base de la résilience sociale et psychologique. On était donc en train d’élargir le projet à six autres gestionnaires de logement à l’été 2020. Ces gestionnaires administrent près de 200 logements. Ce qu’il faut savoir également, c’est qu’en Colombie-Britannique, en ce moment, on retrouve plusieurs modèles de logements dont la plupart sont administrés par le secteur privé, mais petit à petit, les pouvoirs publics essaient de mettre en place des nouveaux modèles de logements locatifs de type plutôt communautaires. Enfin, nous travaillons sur des logements où on retrouve beaucoup de personnes âgées bien sûr, mais également des personnes immigrantes ou réfugiées et des familles. Il y a également des gens avec des handicaps physiques. Nous avons près de 200 immeubles dans notre projet de recherche partenarial et par conséquent, les profils des résidents sont très variés.
Maintenant, en quoi la crise actuelle change la donne ?
Alors en mars 2020, on a dû abandonner nos activités de recherche pour le printemps et pour l’été. On avait prévu de faire surtout des interventions en personne et ce n’était évidemment plus possible. Donc, en mars et avril, on s’est réunis entre praticiens et chercheurs pour voir comment on pouvait réagir parce que la pandémie a affecté de façon intense les gens impliqués dans notre projet. Nous avons ainsi décidé de créer rapidement un sondage destiné aux résidents des immeubles concernés pour savoir combien d’entre eux n’était pas en mesure, par exemple, de se nourrir convenablement, de répondre à leurs besoins essentiels ou simplement pour savoir s’ils étaient au courant de la pandémie et des mesures à respecter. Il nous a semblé urgent de répondre à ces besoins. Avec ce sondage, nous avons toutefois fait face à un problème de communication puisque, comme je l’ai mentionné, plusieurs résidents de ces immeubles sont âgés et n’ont pas forcément accès à Internet. Afin de tenter d’aller plus loin dans notre démarche, nous avons également créé un deuxième sondage, mais cette fois afin de mieux comprendre comment les gens se sentent affectés par la pandémie.
C’est en cours de réalisation, mais je trouve ça dommage parce qu’en tant que chercheure engagée dans la communauté, j’ai l’impression de faire un projet de recherche dans lequel je soutire de l’information à la communauté, sans vraiment pouvoir redonner. Ce projet avait à la base été conçu pour répondre aux besoins des résidents et pour l’instant, on n’arrive même pas à savoir si on pourra les contacter sans leur faire peur et sans les bousculer davantage. C’est notre défi en ce moment!
D’un côté, on se sent chanceux d’avoir pu mettre en place cette structure partenariale l’année dernière parce qu’on sent qu’on a au moins créé un réseau au sein duquel il y a un réel besoin et, en cette période de crise, les gens sont beaucoup plus à même de constater la pertinence des liens de voisinage. D’un autre côté, on a vraiment du mal à trouver la ligne entre être chercheur-partenaire et être un acteur qui pousse trop sur une population affectée sans nécessairement pouvoir aider.
Quelles sont vos réflexions (même préliminaires) sur l’après-COVID-19? Quels seront les impacts sur la ville ? Est-ce que la situation actuelle vous inspire de nouvelles pistes de recherche ?
Ce qui m’a le plus surprise dans la façon dont on a réagi au Canada, c’est la vitesse à laquelle on s’est empressé à faire confiance au gouvernement et à faire confiance à l’expertise en santé. C’est surprenant parce qu’on croyait, jusqu’à tout récemment, que cette confiance envers le gouvernement et envers l’expertise en générale était perdue à jamais. Aujourd’hui nous sentons, même à l’université, le besoin de faire confiance au gouvernement et à la santé publique.
En ce qui concerne la façon dont on va réagir dans des domaines de recherche comme les études urbaines, la question qui demeure pour moi c’est comment pourrons-nous, en tant que chercheurs en sciences humaines et sociales, mettre davantage de l’avant des questions que nous étudions depuis plus d’une décennie? On entend déjà certaines voix qui disent : répondre à la pandémie, c’est aussi répondre à la crise des changements climatiques, c’est répondre au racisme systémique au Canada et répondre aux grandes inégalités. Je sens vraiment qu’il y a une ouverture pour l’avancement de nos agendas, mais j’ai tout de même des doutes… sommes-nous prêts pour une perspective plus systémique sur les questions sociales ? Je sens que certains efforts sont repoussés et qu’il y a un écart entre la confiance qu’on a envers la science de la santé par exemple et la confiance envers une perspective plus systémique sur les questions sociales. Ça nous ramène aux théories des systèmes de Donella Meadows dans les années 1970 : si tout est connecté et que les conséquences d’un phénomène se multiplient, peut-on trouver des solutions qui sont à l’intersection de ces problèmes ? C’est une façon de penser qui n’est pas évidente et qui demande une capacité à entrer dans l’incertitude. Je ne crois pas que la plupart des gens – surtout les gens en politique – sont prêts à aller jusque-là. Ça revient peut-être à nous, les chercheurs en sciences sociales et humaines, de tenter de retrouver confiance en nos capacités, mais c’est difficile quand il y a des gens qui ont perdu l’espoir de trouver un travail ou de trouver un logement sain et abordable… je trouve que l’écart est grand.